Critiques

Valérian et la Cité des mille planètes

Dans un très, très, TRÈS lointain futur, les agents spatio-temporels Valérian (Dane DeHaan) et Laureline (Cara Delevingne) doivent protéger Alpha, une gigantesque station spatiale où cohabitent dans la paix et le bien-être des milliers d’espèces de touuuut l’univers, partageant en symbiose leurs connaissances et cultures, riches de leurs différences. Lorsqu’Alpha est menacée par une mystérieuse force, Valérian et Laureline se lancent dans une mission périlleuse pour sauver la station et dévoiler une conspiration qui pourrait changer le destin de la galaxie À JAMAIS. Autant dire que c’est du lourd. Avertissement #1 : l’auteur de ces lignes n’ayant pas lu la bédé Valérian, il critiquera le film sans faire le moindre cas du matériau original, si ce n’est pour s’assurer, à certains moments, que c’est bien Luc Besson qui a imaginé telle intrigue débile, et non Pierre Christin (ce le sera bien). Avertissement #2 : la longueur extrême de cette critique s’explique par le fait qu’elle a été rédigée sur plusieurs jours, faute de temps. Je sais, ça vous fait une belle jambe, mais je tenais à le dire quand même. Bon. Un film ne peut être vraiment réussi s’il ne surprend pas un tant soit peu son public. Ce dernier aime les jolies images, l’action effrénée, les blagues qui font mouche et les « beautiful people », comme on dit, mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est ce moment où il se dit « putain, je l’avais pas du tout vue venir, celle-là ». Ça ne l’empêchera bien sûr pas de se précipiter en nombre pour voir des merdes mainstream du genre Pirates des Caraïbes 12 ou Transformers 8, mais comme dirait l’autre, on fait avec ce qu’on a. Et quand tout ce que notre pauvre public voit n’est que de l’archi-revu, n’allez pas nous faire croire que ça lui fait frétiller la mangouste. Si le visionnage de Valérian nous a rappelé quelque chose de précieux, c’est combien il peut-être désagréable de constater qu’un film est mauvais quand on est entré dedans avec l’intime conviction que ce serait le cas.

Ce n’est pas comme si on était fermé à l’entertainment familial et ne jurait que par les films d’auteur birmans de 3h50 en sépia… il y a juste des limites. Des limites que Luc Besson a allègrement dépassées, en cette année 2017. D’ailleurs, on ne parlera plus de Luc Besson mais du grobesson, non pas par « grossophobie » mais pour surligner au stabylo l’avachissement spirituellement répugnant de celui qui fut, il y a trente ans, un symbole du renouveau du cinéma français, un cinéma français affranchi de la ringardise qui le caractérisait dès qu’il s’aventurait hors du registre du drame historique à rouflaquettes, de la bouffonnerie populaire, où de la comédie de mœurs. Comme si le Luc Besson du milieu des années 90, filmeur tout-terrain bourré d’hormones et de visions électriques, alors au sommet de sa carrière, avait fait un pacte avec le Diable : récolter les fonds pour mettre en scène son tant fantasmé Cinquième Élément, et en échange se transformer en grobesson, créature malfaisante entièrement vouée à l’abrutissement de ce cinéma grand-public qu’il avait, autrefois, si bien servi. Parce que oui, quelque chose a merdé en chemin. Peut-être le jeune Besson n’avait-il en tout que trois-quatre histoires originales à raconter, et une fois ce réservoir épuisé, n’eut-il pas l’élégance de se cantonner à la réalisation de films écrits par des scénaristes autrement plus talentueux que lui ? Toujours est-il qu’avec Jeanne d’Arc, pudding ridicule qui a établi l’inévitabilité de la lourdeur dans son cinéma, comme si Richard Cleyderman essayait de jouer du Tchaïkovski, et Taxi, premier opus d’une interminable série de merdes d’action pour public de téci (Mozinor a tout résumé dans son brillant détournement La méthode Besson), Luc, tel Jekyll cédant à l’emprise vénéneuse de Hyde, a laissé les commandes au toxique grobesson. Définitivement ? Peut-être, peut-être pas… mais dans tous les cas, c’est ainsi depuis plus de vingt ans. Car comme prévu, avec Valérian, le grobesson nous a bricolé un nanar jovial et bariolé, pas mal d’un point de vue technique, mais accablant sur le plan cérébral. Or, nous ne sommes pas des bêtes.

Que le lecteur ne soit pas floué par les moyennes critique (3,1/5) et public (3,9) dont Valérian bénéficie sur Allociné. La critique parisienne ne mange certes pas dans la patte velue du grobesson, et Valérian est incontestablement son film le mieux reçu depuis un bail, mais la réception dont ont bénéficié les mauvais films qu’il a réalisés ces quinze dernières années indiquent quand même une certaine complaisance, que ce soit Angel-A, son essai foireux de romance mystico-existentielle, Arthur et les Minimoys, son essai foireux de conte pour enfants à la Pixar/Dreamworks, Adèle Blanc-Sec, son essai foireux de film d’aventures à l’ancienne, The Lady, son essai foireux de biopic politique, Malavita, son essai foireux de comédie de gangsters, ou encore Lucy, son essai foireux d’Akira… dans le sens où les PIRES parviennent à approcher la moyenne alors qu’ils ne méritent même pas UNE étoile. Restez donc sur vos gardes : que la profusion d’action effrénée, de décors bariolés et d’effets spéciaux topissimes ne vous trompe pas sur la marchandise. Think safe. Pensez John Carter.

Valérian est un plantage d’autant plus prévisible que le grobesson, par péché d’orgueil, a été SEUL à l’écriture du scénario, pétrissant ses intrigues et ses personnages de ses grosses pattes graisseuses et malhabiles… allez, parce qu’il ne mérite pas mieux, prenons nous-y point par point, comme sur jeuxvideo.com, plutôt que de nous emmerder à faire compliqué.

Vous venez d’entrer… dans la dix-huitième dimension

Il est normal de commencer par là, surtout avec un pareil film. Tout le monde dit que Valérian est un régal pour les yeux. Alors : c’est indéniablement joli à regarder… MAIS. Si les prodiges des effets numériques actuels ne vous laissent pas de marbre, et si vous êtes amateur tant de space operas que d’explorations interstellaires, alors vous en prendrez effectivement plein les yeux grâce à des effets spéciaux qui n’ont absolument rien à envier à ce qui se fait de mieux de l’autre côté de l’Atlantique. On en qualifiera même certains de somptueux. En gros, les quasi-200 millions d’euros du budget (!) n’auront clairement pas été gaspillés en frais de bouche.

MAIS… le problème est que deux-cents millions d’euros, ça ne rend pas talentueux. Bien sûr, ça permet de se payer les services de pointures, mais si l’on est au sommet de la pyramide et qu’on a des goûts de chiotte, on engagera des pointures compatibles avec lesdits goûts de chiottes. La majorité des critiques s’accordent à dire que Valérian est un bel objet dont l’écueil principal est son scénario médiocre. C’est partiellement vrai. Parce qu’il n’est pas TOUJOURS beau à voir. Être globalement plaisant à l’œil n’est déjà pas si mal, mais l’on ne parlera franchement pas d’ivresse de tous les instants. La vérité est que la direction artistique de Ben Mauro est assez inégale, la faute à une sorte d’obsession un peu puérile pour le chatoyant qui vaudra aux plus fragiles d’entre nous une petite overdose, d’ici la fin du film. Par exemple, toute la partie sur l’idyllique planète Mül est d’un kitsch hideux qui rappelle les démo 3DS Max des années 90 et le climax de Contact, lorsqu’Ellie Arroway rencontre l’espèce alien dans une imagerie douteuse (raté qui n’enlève pas grand-chose à la beauté du film, au demeurant). Disons que comme le bestiaire et les costumes, ça passe ou ça casse. Dans le cas du bestiaire, ça passe avec les Boulan-Bathors (quel nom de merde, en revanche !) et Bubble, ça casse avec les Shingouz et les Pearls. Dans le cas des costumes, ça passe avec la combinaison tout-terrain des protagonistes (bien qu’un peu pompée sur Mass Effect), ça casse avec les uniformes verts des officiers d’Alpha. Les robots-SS k-trons ont une certaine classe, bien que n’importe quoi en noir fait forcément malfaisant ; le vaisseau des héros, lui, est une sorte de Millennium Falcon de sous-préfecture (je sais, la bédé Valérian a inspiré Star Wars, blablabla, rien à cirer). À vrai dire, le costume qui nous a le plus convaincu est la petite tenue estivale de touriste que porte Laureline lors de la première opération. Elle est trop choupie. La tenue, hein, pas l’opération. Hum.

En traitant ce sujet, on aborde la question plus vaste de l’univers dans lequel barbotte le film. On nous aura saoulé pendant plus d’un an avec la richesse de ce dernier, ses milliers d’espèces extraterrestres et ses mondes aux codes esthétiques d’une variété sidérante, avec à la clé la promesse d’un tout miraculeusement cohérent… résultat ? Tout en faisant de notre mieux pour ne pas être cyniques, force est de constater que le succès est pour le moins discutable. Désolé, mais un pangolin qui chie des perles dans un puits pour apporter la félicité, ça ne renverse pas exactement le monde de l’imaginaire et le fait qu’il soit entièrement numérique n’arrange certainement rien, une loi devrait imposer aux réalisateurs de recourir aux animatronics dans ce genre de cas ! Désolé, mais une mosaïque riche en couleurs de créatures plus ou moins inspirées ne suffit pas à faire une faune vivante. D’aucuns argueraient qu’on peut dire la même chose du monde de Star Wars, mais Star Wars n’a pas la prétention d’Alpha, la « cité des mille planètes » (quel titre bidon, au passage !). Avec Alpha, sans compter sur de la géopolitique à la Babylon 5, on était en droit d’attendre quelque chose de plus… sophistiqué, interconnecté. Nada : dans une scène, on verra telles bestioles, dans la suivante, telles autres, et ainsi de suite, sans aucune interaction palpable. En même temps, ça s’accorde plutôt bien, quoique involontairement, avec l’éloge du multiculturalisme que le grobesson tisse en sous-texte, puisque ça en exprime la plus problématique vérité, chacun vivant dans son coin… mais ça fait un piètre lot de consolation. Sans atteindre l’artificialité parfois catastrophique de la prélogie Star Wars, le monde de Valérian ne prend jamais vraiment corps, pour la simple raison que le chef d’orchestre a orchestré comme un manche.

Et que ceux qui parlent de « jamais vu » aillent jouer avec des silex dans un bain de sans-plomb 98. Les Pearls (Mülois, ça aurait été plus fun, quand même) sont des Na’vis de supermarché (franchement, qui ne pensait pas à Avatar dans la douleur ?), l’empereur Boulan-Bathor est un sous-Jabbah the Hut, et les trois Shingouz puent Men in Black à plein nez. Puis, où est l’originalité, dans un film qui enfile les clichés, visuels comme littéraires, de la fable écolo futuriste à deux balles, avec sa société matriarcale (tant qu’à faire) de bons sauvages qui cultivent la terre en paix et sa dénonciation archiiiiii-subversive d’un corps d’armée fascisant ? Nulle part.

Un casting dans la semoule

Le grobesson n’a pas la réputation d’un directeur d’acteurs hors-pair. Les grandes filles qu’il a révélées par le passé, Anne Parillaud et Milla Jovovich, ne sont pas devenues de grandes actrices ; Isabelle Adjani et Scarlett Johansson ont davantage porté Subway (maillon faible de la période Dernier CombatLéon) et Lucy que l’inverse ; ne reste guère que Natalie Portman au rayon des réussites qu’on ne peut lui enlever, comme par hasard dans son meilleur film à ce jour (sans doute à jamais ?). On n’avait AUCUNE raison d’espérer être soufflé par le boulot des acteurs sur Valérian.

Et on avait raison : c’est assez catastrophique. En même temps, pas besoin d’être oracle pour le voir venir : le problème apparaissait dès les premières images promotionnelles du duo DeHaan/Delevingne. Le premier, avec sa bouille de poupon pourri-gâté qui torture des insectes dans l’intimité fétide de sa chambre d’ado, s’annonçait aussi crédible en héros d’action que Cyril Hanouna le serait dans le rôle-titre du reboot de Thor. Pas vraiment une critique de l’acteur : DeHaan campe à merveille des rejetons… torturés, justement, et brillait en citadin snob dans l’étrange A Cure for Life, sorti six mois plus tôt, mais il y a des rôles qui ne conviennent juste pas. Quant à Cara Delevingne, fille de/mannequin anorexique/fashionista exhib qu’on avait vue jouer les fantasmes juvéniles au rabais dans l’oubliable La Face cachée de Margo et une Enchanteresse tout aussi oubliable dans la débâcle Suicide Squad, ce n’était pas exactement gagné non plus. Une surprise n’aurait pas été de trop, mais le message de la présente critique n’est-il pas qu’il ne faut jamais TROP espérer ? Bingo : DeHaan est un miscast absolu, crédible ni en soldat casse-cou, dont on ne ressent pas une seule seconde les prétendus neuf ans d’expérience militaire (rires), ni en serial-tombeur de nanas des quatre coins de la galaxie (sérieusement, les gars ?), et traverse le film mollement, comme de la gelée, l’air absent dans ses scènes d’action (en même temps, jouer sur fond vert avec rien n’est pas un rêve d’acteur…), comme s’il savait, au fond, qu’il n’avait rien à foutre ici. Petite surprise ceci dit : la petite Delevingne, qui se montre bien plus impliquée, a à demi-convaincu votre serviteur pour la première fois de sa carrière, dans le rôle un poil mutin de Laureline – aidée par le traitement sans doute préférentiel dont elle a bénéficié de la part du grobesson, toujours plus à l’aise avec ses fantasmes féminins. Mais ce petit plus ne change rien à ce qui est un des plus graves problèmes du film, l’absence d’alchimie quasi-absolue entre les deux acteurs : pas vraiment aidés par des dialogues nullissimes et un character development inexistant sur lesquels nous reviendrons plus bras, les deux jeunots, qui sont censés incarner le cœur du film et un des ressorts comiques principaux avec leurs échanges ping-pong supposément pleins de répartie, ne fonctionnent pas une seconde ensemble. Zéro tension sexuelle, zéro dynamique d’acteurs devenant amis pour la vie sur le tournage : on est dans l’anti-Harrison Ford/Carrie Fisher, Ryan Gosling/Michelle Williams, ou même Andrew Garfield/Emma Stone. Même Keanu Reeves et Carrie Ann-Moss avaient plus d’électricité, c’est dire si ça a merdé. En gros, n’importe quel autre couple de bôgosses vivant en Californie aurait fait mieux, d’autant plus qu’avec leurs physiques androgynes et leurs grands yeux bleus, DeHaan et Delevingne ont plus l’air d’être frère et sœur…

Comme souvent chez Besson, les seconds rôles forment une jolie bande de bras cassés (aaah, les gars de Stanfield dans Léon ! Chris Tucker dans Le Cinquième Élément ! Vincent Cassel et Faye Dunaway dans Jeanne d’Arc ! Morgan Freeman et Choi Min-shik dans Lucy ! Tout le monde dans Adèle Blanc-Sec !). Clive Owen, autre fabuleux miscast du film, ridicule d’entrée de jeu dans l’accoutrement militaire susmentionné, ne sait quoi faire de son personnage archi-caricatural de commandeur ambivalent (oui, parce que Besson croit que ça va être une surprise d’apprendre que c’est le méchant à la fin, alors que c’est grillé dès sa première scène), alors du coup, il la joue au premier degré, grave comme une crise cardiaque, là où Gary Oldman avait su quoi faire de son maigrement écrit mais sardonique Zorg. Les caméos, que ce soit Ethan Hawke en maquereau de cabaret sur ressorts, Alain Chabat en pirate steampunk, John Goodman en voix, Rutger Hauer (sérieusement, again ?!) en président de trois secondes, ou notre Kasso national en… ben, on ne sait pas quel rôle, sont autant d’opportunités gâchées. Ola Rapace, avec sa gueule sèche d’Européen d’origine incertaine qui aurait tout à fait eu sa place dans Nikita, ravive le souvenir de Luc Besson, mais dans une apparition dérisoire. Si bien qu’aussi dur que ce soit de l’admettre, Rihanna est peut-être la seule rescapée du naufrage, après Delevingne… oui, « WTF », on sait. Que voulez-vous ? Avoir du mal à la prendre au sérieux en tant que chanteuse n’interdit pas de lui trouver un certain talent de doubleuse de créature extraterrestre, si ridicule fut le personnage.

Des choses qui ne s’écrivent pas

Qui dit ridicule dit scénario de Besson (vieux proverbe gaélique). Une évidence que même les fanboys hardcore demeurés du dernier rang auront du mal à nier, préférant se concentrer sur les belles images et l’humour trop fun plutôt que de débattre. Fait : Valérian est un film profondément débile aux deux-tiers (en gros, on sent la proche parenté avec Taxi), et tout juste médiocre au tiers restant. Comment dire ? C’est juste mal. Oui, le jugement est presque moral. Aux inconditionnels de SF qui tiennent malgré tout à aller voir le film, allez, disons que ce dernier n’est pas une catastrophe ferroviaire historique du niveau de Jupiter Ascending (car certains critiques craignaient qu’il soit le Jupiter Ascending de 2017)… mais sur le plan scénaristique, ça vole très, très bas. Au risque de décevoir les amateurs de la méthode Besson, pas de pute, ni d’audi, ni de Chinois, ni de gros Black, mais à la place, un petit Blanc, des canards simiesques qui ont le sens du business, une danseuse de cabaret en gelée bleue, et plein de vaisseaux qui font bziouuuu.

Rien de mauvais en soi, hein. Un Ridley Scott ou un Cronenberg de la grande époque auraient sans doute pu faire quelque chose de brillant de chacun de ces éléments. Mais manipulés par the infamous grobesson, ces derniers se retrouvent pris au piège d’un gloubi-boulga décousu, aller simple pour l’enfer des nanars, enchaînement paresseux de péripéties téléphonées et de clichés du genre, garni de personnages qui tiennent sur un ticket de métro à eux tous. Le commandeur, qu’on a déjà cité, immédiatement identifiable comme un méchant alors que le grobesson croira VRAIMENT ménager le suspense jusqu’au dernier acte… le trio de canards poilus de l’espace débarquant de nulle part en pleine scène d’action pour révéler à l’héroïne des informations déterminantes à un moment-clé comme par hasard… le suspense en plastique autour du détonateur dont personne ne doute qu’il va être stoppé à l’avant-dernière seconde… le climax avec les Pearls où touuuuut est bien expliqué eeeeexplicitement au cas où le public n’aurait pas saisi les ramifications complexissimes de l’histoire… ce « gros ouvrage », scandaleux euphémisme s’il en est, frappe dès l’introduction des héros : d’entrée de jeu, avec son Valérian dragueur et sa Laureline mutine, le duo joue un numéro d’« attrape-moi si tu peux » auquel le public est censé être réceptif sans le moindre travail d’écriture en amont qui nous aurait familiarisé avec ces personnages, à la Han Solo et Leia, encore une fois (pas un problème d’ordre, d’un point de vue dramatique, là ?). Désolé, mais ça ne marche pas, la sauce du duo Valérian/Laureline ne prendra pas une seule seconde. Le personnage de Bubble, avec qui Valérian développe une relation moins rachitique qu’avec Laureline (c’est dire), est bien gentil, et l’on apprécie les efforts de Rihanna, mais tout ce que l’on tire de son dialogue interminable avec le héros est un message pro-migrants super-subtil (« À quoi ça sert, d’avoir ma liberté, si je n’ai pas de papiers ? »… sérieusement pour la troisième fois, gars ?), et surtout, on a du mal à croire qu’il espérait nous émouvoir avec sa mort (oui, puisque gros plans dramatiques et affreux violons d’Alexandre Desplat… déjà pas le compositeur du siècle, et qui livre ici sa plus mauvaise bande originale, sorte de mélasse archi-convenue qui pique l’ouïe… tant qu’à faire, Besson devrait vraiment reprendre Eric Serra). Désolé, mais ça ne marche pas : on n’est pas bouleversé par la mort d’un personnage qu’on connait depuis dix minutes écrites par Luc Besson. Les braves Pearls ont perdu leur monde et veulent le récupérer, et, pour ça, ont besoin de tout un tas de trucs super importants, sauf qu’un méchant veut les empêcher de mettre la main dessus parce qu’il est méchant et qu’il n’aime pas les gentils… en quoi c’est intéressant, déjà ? Ah, ouais : en rien. Rien à cirer. Ce n’est assurément pas ça, qui a séduit Luc Besson dans sa jeunesse, mais le foutu monde aux milles planètes. Et ce déséquilibre est fatal.

L’intrigue principale, celle du méchant général génocideur tentant piteusement de couvrir son crime, intrigue qui se « révèle » progressivement comme si tout le monde n’avait pas compris depuis trois heures ses tenants et aboutissants, ne suscite aucun intérêt tant elle est basique, et tant l’antagoniste manque au tableau. Mais par-dessus le marché, la narration, le storytelling comme on dit à Hollywood, semble avoir été élaborée par quelqu’un qui n’a même plus en tête les rudiments de l’écriture scénaristique. Le grobesson, alors qu’il n’a clairement pas encore convaincu le public avec son intrigue principale, interrompt d’une traite la machine pour une demi-heure (quarante minutes ?) de digression dédiées au seul sauvetage de l’héroïne : c’est quoi, le rapport ? Aucun. Alors, à quoi ça sert ? À montrer quelques espèces extraterrestres de plus et faire un tour au Moulin Rouge d’Alpha pour une petite scène de danse à l’érotisme super-beauf et à la justification scénaristique inexistante ? Ben… ouais. Osons le dire : Valérian est un film pour blaireaux.

Alors, face à ce spectacle un peu lassant de nullité, on a le choix entre déprimer et s’amuser en listant les conneries. Deux exemples, juste pour rire. Le premier : lorsque les exilés de Müls kidnappent le commandeur, Valérian enfile une armure incroyablement puissante qui lui permet de traverser à peu près tous les matériaux et se déplacer littéralement dans l’air ; une fois cette scène d’action passée, l’armure ne sera étrangement plus utilisée, même lorsqu’elle aura toutes les raisons de l’être (sans doute le grobesson ne pouvait-il pas la ressortir car cela aurait rendu les héros trop puissants et tué tout le suspense…). Le second : lorsque Laureline est kidnappée par les Boulan-Bathors, Valérian, tacticien de génie, cogite tout un plan pour infiltrer en loucedé le camp où elle est retenue, histoire de ne pas créer d’incident diplomatique… puis, une fois qu’il la retrouve, zigouille tout ce qui bouge ?! D’aucuns rappelleront qu’il a été poussé au crime par le danger imminent dans lequel se trouvait Laureline, mais le fait demeure que le grobesson nous a emmerdés pendant une demi-heure avec ce plan pour, au final, ne rien en faire d’intéressant. Montrant qu’il avait juste besoin d’un prétexte pour s’amuser avec son personnage de Bubble.

Il est une chose qui a sauvé, par le passé, des films à l’intrigue aussi merdique et au propos aussi limité : l’humour. Une arme puissante. Ou bien… un boulet accroché à la cheville, si l’on s’y prend mal. De toute évidence, il était naïf d’attendre de Valérian de grands moments d’hilarité, connaissant l’humour bessonnien d’école primaire, pas très loin de celui d’un Roland Emmerich. Mais de là à ne retenir, de tout le film, que DEUX passages, quand la créature qui a attaqué l’autobus des héros (…) retombe au ralenti sur sa planète (allez, c’était cocasse !), et quand le Boulan-bathor un poil gay oblige Laureline à essayer des vêtements ? Parce que oui, c’est tout. On a déjà abordé la question de l’interprétation : des acteur plus appropriés et un duo doté d’une meilleure synergie auraient peut-être pu rendre l’humour tolérable ; c’est con, on n’en saura jamais rien. Des blagues pas drôles aux envolées lyriques de Laureline sur l’amour qui brise tous les murs et traverse toutes les frontières, tout est consternant de puérilité, dans le sens où ça ne donne pas vraiment envie de retourner en enfance le temps d’un film. Le grobesson n’a jamais été Dostoïevski, mais depuis Taxi, c’est devenu le Benjamin Button des scénaristes : vingt ans après Le Cinquième Élément, il pond des trucs qui donnent l’impression d’avoir été écrits par une collégienne fan de Shakira.

L’a-t-il encore ?

On a gardé le meilleur pour la fin. Vous pensez : Luc Besson, c’est avant tout la réalisation. Le cinéphile enfant des années 80 n’a pas oublié les dernières plongées du Grand Bleu, la scène du restaurant dans Nikita, l’assaut final de la police dans Léon, la poursuite en voitures volantes du Cinquième Élément… ni même le climax du siège d’Orléans dans Jeanne d’Arc (ce qui ne le rend pas moins mauvais). Mais a-t-on mentionné des films ultérieurs à la fin des années 90 ? Nope. Le grobesson, qui a conservé de Luc son sens du rythme et des gros plans mémorables, n’a pas fait QUE de la merde depuis quinze ans non plus : a-t-on trouvé hideuse la photographie noir et blanc d’Angel-A (Jamel Debbouze y ressemblait presque à quelque chose, c’est dire !) ? Most definitely not. Adèle Blanc-Sec et ses Arthurs sont-ils parfaitement dénués de morceaux de bravoure techniques ? Certes non. Allons même jusqu’à dire que Lucy était très plaisant à l’œil, et pas seulement grâce à ScarJo.

À l’image, Valérian est un divertissement bien troussé. C’est… enlevé. Euh. Pro. Il y a une vraie maîtrise de l’espace cinématographique qui évite au public de se perdre dans les méandres d’un univers pourtant profus. Le réalisateur trouve l’occasion de nous rappeler son savoir-faire à quelques reprises, comme dans la scène du marché en réalité un peu plus que virtuelle, seul moment qui sollicite les neurones, d’ailleurs, ou encore le début de la poursuite des Pearls, où Valérian traverse dans l’armure précitée de multiples couches d’Alpha ; deux fois où l’on n’a pas l’impression d’avoir « déjà vu ça ailleurs en mille fois mieux ». À part ça, l’attaque du conseil de sécurité interespèces par les Pearls, avec leur espèce de glue bleue, n’est pas mal. En d’autres termes, sa mise en scène, faute d’avoir évolué puisque l’homme lui-même régresse, a encore un peu de jus dans le poireau.

Mais… les dernières productions Marvel et DC Comics ne sont-elles pas, elles aussi, réalisées avec un savoir-faire certain ? Les gros studios prennent peut-être leur public pour un con, mais confient-ils pour autant le job à des incapables ? Certainement pas. En fait, une mise en scène au grand minimum carrée fait partie de ces quelques choses sur lesquelles ont peut parier sans risque avant d’aller voir un blockbuster américain. À aucun moment l’on ne se dira : « quelle est la bande d’amateurs qui a réalisé ce truc ? ». On pourra, en revanche, se demander pourquoi ils ont confié l’écriture du scénario au petit-neveu du producteur, ça, oui. Mais au moins, ça restera joli. Le fossé qualitatif entre la forme et le fond est de plus en plus voyant ; ce même été 2017, même les brillants Matt Reeves et Chris Nolan n’auront pas évité cet écueil avec La Planète des Singes – Suprématie et Dunkerque. Partant de là, qu’attendre de Valérian ? Qu’il ressemble à quelque chose, vu de loin ? C’est bien peu. Trop peu. Tout ce que le grobesson a fait, c’est une réalisation dans la moyenne des superprods hollywoodiennes. Autant dire qu’on ne va pas l’applaudir pour ça. Rien ne choque, mais… rien ne reste non plus. C’est… insipide. Et long. Ce mois-ci, Nolan nous a sorti un film historique d’une heure quarante. Le grobesson, lui, un pudding SF polychrome de deux heures vingt. Cherchez l’erreur.

Les défenseurs du film et amateurs de SF prêts à toutes les concessions pour prendre leur pied font l’éloge du prologue « feel-good » du film, monté sur le Space Oddity de David Bowie. La vision d’une humanité qui aurait surmonté ses différences et serait enfin unie dans le progrès en a émoustillé quelques uns, et c’est compréhensible. Mais on est aussi en droit de voir l’emploi BIEN trop facile d’un irrésistible monument de pop-rock sur lequel à peu près n’importe quoi aurait de la gueule, y compris ce prologue aux airs de pub pour une banque (« construisons dans un monde qui bouge ! »), avec son défilé de grosses bestioles de l’espace aux physiques chelous-rigolos. Dès le départ, le film sera infoutu d’assumer le « sérieux », du moins l’ambition de son point de départ, et fera dans le cartoon ultra-light. Il ne faut pas oublier qu’une scène avant l’arrivée dans le cabaret de Rihanna, on entendra dans la rue du Wyclef Jean. La quatrième sera la bonne : sérieusement ?!

Sérieusement. Mais le grobesson s’en fout. La postprod’ est très probablement la seule partie qui l’a VRAIMENT tenu à cœur, comme ce nerd de George Lucas. Le tournage ? Meh. Des acteurs désorientés jouant devant des fonds verts. Ah, si, une chose : il a habillé sa Cara. Comme le styliste Boulan-Bathor. Cara et son physique un poil androgyne, sur qui le créateur a projeté son increvable fantasme de grande fifille tout-terrain. Mais le pire est qu’on le comprend. Le fait, un peu déprimant, est que l’actrice et sa performance constituent l’élément le plus solide, ou du moins le moins faible, du film. En fait, Laureline aurait dû être dans le titre. C’est Valérian, petit con superficiel joué par un acteur à côté de la plaque, qui est de trop. Certes, Laureline et Valérian, c’est moins vendeur…

Tout ça pour quoi ?

Valérian incarne, dans sa bien trop longue durée, le drame persistant du blockbuster actuel : incapable de raconter des trucs dignes du prodigieux niveau technologique de ses effets spéciaux. Parce que… franchement, à quoi bon avoir la possibilité, tant fantasmée, de concevoir à l’écran les mondes les plus fous, si c’est pour les placer en arrière-plan d’histoires complètement débiles ? Comme la plupart des mastodontes du box-office US, Valérian est davantage un gâchis de millions qu’un progrès quelconque dans l’histoire du blockbuster de SF. Le grobesson se dit déjà prêt à écrire le scénario du deuxième volet. Peut-être aurait-il dû, avant ça, prendre plus d’une heure à écrire le premier… ? Face à ce désastre, certains optimistes essaient de jouer la carte de l’utilité : faire du divertissement mainstream pour avoir la possibilité de produire des petits films plus originaux et risqués, c’est très bien. Sauf que ça ne marche pas, dans le cas de Valérian, puisque ça ne marche pas dans le cas du grobesson, puisqu’il ne fait rien de bien depuis vingt ans. Ce qu’il fait ? Beaucoup de thunes avec des films merdiques pour continuer à en réaliser et en produire. Yay. Et encore : ce nanar-là est un four au box-office. Tout ça pour ça.

Ci-dessous, quelques captures d’écran, pour le plaisir malgré tout :

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