Critiques

Wild

Les récits de « road trip » initiatique sont du pain béni pour le cinéma et la fiction en général, surtout lorsqu’ils s’accompagnent d’une dimension rédemptrice. Bien sûr, leur simplicité d’approche est à double-tranchant : n’importe quel zozo se croit capable de raconter la vie, l’amour et la mort avec un sponsoring du Guide du Routard, une voix-off pseudo-méditative, et une poignée de rencontres hautes en couleurs supposées dire toute la magnifique et imprévisible diversité du monde et de l’humanité… d’où la multitude de loupés indés dans le genre. Mais cela ne rend ses réussites que plus admirables. Et Wild en est une. Mais avant de commencer, un über-warning de la plus haute importance à l’égard du cinéphile curieux : le film n’est PAS une version féminine de l’Into The Wild de Sean Penn ou du Jeremiah Johnson de Sydney Pollack. Il est fortement déconseillé d’attendre de sa part un tel niveau d’ascèse contemplative car c’est la meilleure façon de gâcher son plaisir. Les deux films précités étaient des célébrations assez radicales de la nature, le premier se concentrant sur son impériale insensibilité à l’égard des hommes. Elle était leur personnage central, laissant quelques miettes, dans le cas d’Into The Wild, au petit gars totalement dépassé qu’y jouait Emile Hirsch. Dans Wild, le personnage central, c’est Cheryl, interprété par Reese Witherspoon. « Wild » fait inévitablement référence à la nature, mais peut aussi renvoyer au caractère de ce beau personnage féminin.

Dans Wild, vous n’aurez ni plan de cinq minutes sur des hauts plateaux désertiques, ni pauses métaphysiques sur un brin d’herbe balloté par le vent ou une chaîne de fourmis bousculée par la pluie – on n’est pas dans un film de Terrence Malick. Vous aurez… Cheryl. Cheryl, lancée dans sa version du « road trip » initiatique à la rencontre du monde, un monde sacrément naturel. Cheryl, l’origine de tout et l’auteure (désolé mais « autrice » a quelque chose de vomitif) du roman d’origine, Wild : From Lost to Found on the Pacific Crest Trail, la fille brisée qui a accompli en vrai ce parcours fascinant, et le cœur meurtri dont dépend l’humeur même du film, de la première à la dernière minute (remarque : alors qu’elle avait 26 ans au moment des événements, Witherspoon en avait 38 au moment du tournage). Cheryl navigue entre deux mondes : celui de son itinéraire rédempteur, et celui du passé, de son passé. Quand il transbahute sa caméra à travers le premier, Jean-Marc Vallée (patronyme à propos…) filme la nature avec un indéniable talent. Lui et son chef opérateur Yves Bélanger, qui ont déjà collaboré avec succès sur Dallas Buyers Club, proposent à l’âme bucolique un spectacle magnifique, fruit d’un sans doute énorme travail de repérages et digne de l’Oregon qu’ils ont traversé à la sauvage, fort du choix d’avoir fait la part belle à la lumière naturelle. Mais c’est au second monde que Vallée s’est surtout intéressé, ou du moins tout autant.

Ainsi, quand Joachim Lepastier, des Cahiers du Cinéma, trouve que le rapport au paysage est mal intégré à cette édifiante reconstruction psychologique « car celui-ci n’existe que comme un fond d’écran interchangeable », on peut répondre que… c’est l’idée. Après tout, Vallée n’intègrera à aucun moment du film une quelconque indication géographique, que ce soit sous la forme d’un sous-titre ou d’une vieille carte à la Indiana Jones. Les seuls sous-titres auxquels on aura droit indiqueront le nombre de jours passés… ramenant immanquablement à Cheryl plutôt qu’au décor — comme Gus Van Sant s’intéressait davantage aux liens des deux frères dans Gerry plutôt qu’aux étendues anonymes qu’ils traversaient, quitte à trouver un parallèle cinématographique plus approprié. Cheryl et ses démons, son père violent, le décès de sa mère, son addiction à l’héroïne. Certaines des embûches de sa traversée sont de sacrées putains d’épreuves – montage de tente mythique, prévisible manque d’eau potable, serpent à sonnette blagueur, lapin stalker nocturne, bouseux pervers –, mais elles sont, avant tout, fonctionnelles. Et ?

L’équipée de Reese

De fait, une immense partie de la réussite de Wild dépendait de la prestation de cette chère Reese, jadis « american sweetheart », à présent en quête de quelque chose de plus authentique… et autant dire que ce n’était pas gagné d’avance. Par souci d’éthique, j’avoue n’avoir jamais fait grand cas de l’actrice, mais ce n’est pas seulement une affaire de goût : suffisamment jolie pour passer en lead mais pas assez pour devenir une véritable star hollywoodienne, Witherspoon n’avait jusqu’ici pas mené une carrière qui lui avait donné l’occasion de briller – elle était top dans le méchant Freeway, puis après, direction films d’ados à la Sexe Intentions, comédies nulles à la Legally Blonde, et seconds rôles dans quelques films plus sérieux comme Walk The Line. Wild rappelle qu’il n’est jamais trop tard : de quasiment tous les plans, effaçant sous une belle maturité de quasi-quarantenaire sa bouille d’adolescente caractéristique qui lui permet, en même temps, d’être crédible à la fois en étudiante dans les flashbacks et en adulte vaccinée, l’actrice brille d’intensité dans ce qui est sans doute son meilleur rôle.

Son haut degré d’implication au niveau de la production a sans doute joué : on sent la performance habitée sur un tournage mouvementé qui n’aura pas pris de gants avec son actrice, la faisant crapahuter jour et nuit sous le cagnard et le million de tonnes d’un sac à dos réellement chargé, t-shirt trempé de sueur et valises sous les yeux mises en valeur par la lumière naturelle, marque visuelle forte du film. Bon, sa chevelure blonde n’est pas aussi cradingue qu’elle aurait dû l’être dans de pareilles conditions, mais on ne va pas cracher dans la souplette : blondie s’avère in fine crédible en ex-junkie passée guerrière revenue de l’enfer avec 1500 kilomètres dans les pattes. L’expérience se lit sur son visage, alors que de son propre aveu, l’actrice n’était pas foutue d’allumer un feu de camp avant le tournage. C’est, certes, ce qu’on appelle une actrice. Mais surtout, contre toute attente, une très bonne actrice.

Dans Wild, l’état sauvage n’est donc pas une finalité mais une épreuve, un passage obligé dans la vie d’une femme en quête tant de direction que de sens. Si Jean-Marc Vallée n’est pas revenu avec trois mille heures de rush comme Pollack de retour de Jeremiah Johnson, son film ne néglige pas pour autant le décor en ce que ses moult embûches sont autant de coups de semonce pour l’héroïne, la forçant à aller de l’avant plutôt que de se lamenter sur son sort. C’est pourquoi les décors sont interchangeables — tant qu’ils restent aussi canons les uns que les autres —, puisqu’ils restent, avant tout, un arrière-plan. L’itinéraire de Cheryl aurait pu se faire dans n’importe quel autre coin à randonneurs de la planète ; l’important, c’est de marcher.

Une nature somme toute magnanime

On peut même dire que ledit état sauvage n’est pas sauvage à 100% puisqu’après tout, Cheryl embarque avec elle un réchaud, un filtre à eau, et tous plein d’autres gadgets modernes dans le genre. Certains seront peut-être même désappointés par le confort relatif de l’aventure, s’attendant peut-être à une débâcle proche de celle que vit le protagoniste de 99 Francs à la fin de son évasion censée être paradisiaque, un plan pourri où blondie aurait fini rapatriée d’urgence en hélicoptère avec un double-combo dysenterie-malaria de derrière les fagots, rappelant, comme disait Sean Penn, que la nature, c’est PAS ta copine. Certes. Sans donner l’impression que le PCT (Pacific Crest Trail) est une balade de santé, Wild n’en fait peut-être pas assez sur ce plan, d’autant plus que son héroïne démarre parfaitement inexpérimentée. Peut-être les déboires cités plus haut relèvent-ils du minimum syndical dans une pareille aventure : [spoiler jusqu’à la fin du paragraphe alert !] dans l’ensemble, la protagoniste croisera des gens somme toute sympas qui lui donneront souvent des coups de main salutaires, l’exception à la règle étant le bouseux pervers susmentionné, qui la fait détaler au milieu du film. En fait, c’est surtout elle qui se fait des frayeurs, que ce soit quand un lapin rôde autour de sa tente en plein milieu de la nuit (mais QUI ne s’est pas fait au moins une fois une frayeur de ce genre, dans ce type de situation, à commencer par votre serviteur ?), ou quand elle se retrouve dans la camionnette de W. Earl Brown et le prend pour un maniaque alors qu’il lui proposait simplement de partager un morceau de réglisse.

Le film le reconnait lui-même à travers la réplique d’un jeune campeur qui lui dit, en substance : « toi, on te traite comme une princesse, alors que nous, on ne nous dépanne même pas d’une boîte de sardines ». Et à la fin, [spoiler jusqu’à la fin du paragraphe alert !] amateurs de réalisme accablant, désolé, mais vous n’aurez rien de tragique à vous mettre sous la dent. L’héroïne ne restera pas non plus vivre au fin fond des bois parce qu’elle y aura trouvé son vrai pays. Non, elle retournera simplement à la civilisation, rayonnante et requinquée par son périple dont elle tirera un journal plein d’anecdotes, de poésie, et de trucs de fille. De sa traversée d’un décor impitoyable qui aurait pu, dans un autre film, virer à l’épouvante (Wolf Creek, anyone ?), Cheryl ne gardera à l’écran, au rayon bobos, que deux mini-frayeurs et un ongle de pied cassé.

En dépit de son drame originel, Wild est un film infiniment positif. « À cause », devrait-on peut-être dire : c’est l’aune de ce drame que le film prend, vers la fin, des airs de feel-good movie. Une histoire d’affirmation de soi, de triomphe face aux embûches de l’existence, de passage de l’ombre à la lumière. Non, ce n’est pas un spoiler, c’est toute l’idée du bordel.

Voyage sensoriel au bout de la soi-même

La réalisation de Jean-Marc Vallée marque très tôt des points avec son choix fort caractériel du filmage caméra à l’épaule, première caractéristique. Ce parti pris insuffle une véritable énergie à l’image, en plus d’épouser l’effort physique de son héroïne. Mais après la performance de Witherspoon, l’autre réussite de Wild réside dans son montage. On dit de certains films qu’ils se sont « faits » au montage : ce n’est ici pas le cas, mais on en a quand même parfois l’impression tant ce dernier a comme une vie à lui. Wild est doté d’une structure narrative en flashbacks, choix étonnant dans ce registre, qui laisse attendre une structure plus linéaire : les souvenirs viennent sporadiquement à l’héroïne alors qu’elle sillonne les plaines de l’Oregon (le PCT traverse la Californie, l’Oregon, et l’état de Washington) et n’a un peu que ça à faire, comme des vagues sur une plage. D’aucuns argueront que ça n’a rien de révolutionnaire. Sur le papier, c’est effectivement assez bateau. Mais pas à l’écran. D’autres emmerdeurs ont reproché aux flashbacks d’apparaître de manière parfaitement aléatoire, sans ordre chronologique ni éléments déclencheurs du présent, s’attendant peut-être à quelque chose du genre de… Cheryl voit un moineau sur une branche, ça lui rappelle un moineau aperçu dans son enfance au moment où son père alcoolique battait sa mère à coups de pelle dans le jardin, par exemple ? Mais désolé, les amis, ce n’est pas comme ça que fonctionne notre cerveau, je suis sûr que l’interweb vous l’expliquera mieux que moi. Le montage du film épouse la mécanique indéchiffrable de la mémoire humaine sans prétention mais avec un joli sens de l’aventure.

Les souvenirs, ainsi que leurs apparitions par flots accidentés, sans effets superflu, font une bonne partie de la force et du charme hypnotique du film. Difficile de savoir à quel point ce qu’on voit du découpage final était écrit dans le scénario du talentueux écrivain Nick Hornby (High Fidelity, About a Boy) tant tout s’entremêle à une fréquence et avec une organicité impressionnantes ; ce faisant, le passé devient omniprésent (« omnipassé ? »), expression naturelle de la prison mentale dans laquelle l’héroïne se trouve enfermée et dont elle se libère laborieusement… en somme, dans Wild, on parlera effectivement  plus de souvenirs que de flashbacks. C’est son identité. Il ne faut donc pas voir d’effets de scénario là-dedans. Wild est « juste » un drame formellement un peu chargé. Parler de manipulation émotionnelle serait idiot, c’est du cinéma. Vallée et Hornby content leur drame initiatique comme ils ont voulu le conter, on y adhère, ou on n’y adhère pas ; c’est une simple affaire d’état d’esprit. Et j’ai, pour ma part, été conquis par l’esprit de Wild. Peut-être parce que je suis un irrécupérable romantique. Et quoi de plus romantique, au sens premier du terme, qu’un souvenir ?

Par ailleurs, la force des flashbacks repose en bonne partie sur la performance de Laura Dern, qui joue la mère un poil fantasque de l’héroïne (alors qu’elle n’a que neuf ans de plus que Reese Witherspoon, c’est dire à quel point elle a atrocement vieilli… on voit difficilement le rapport avec la Laura Dern de Jurassic Park). Son tempérament chaleureux et sa chevelure folle de grande fille qui ne sait pas vraiment comment se tenir sont les caractéristiques premières d’un très beau personnage, figure maternelle mémorable en ce qu’elle se montre positive dans les circonstances les plus déprimantes (« there’s a sunrise and a sunset everyday, and we choose to be part of it or not ») et accorde sa fantaisie au monde de ses enfants tout en se montrant, de bout en bout, responsable. Pour tout dire, l’actrice mérite davantage l’Oscar du meilleur second rôle féminin que Patricia Arquette pour le surestimé Boyhood. Sans une telle performance, et sans ce personnage qui croyait avoir tout le temps devant lui pour changer de vie, erreur tristement courante, Wild n’aurait pas eu un tel impact émotionnel, l’essentiel de sa dramaturgie jouant sur le deuil difficile de sa fille. Son destin tragique a un véritable impact non seulement sur le cours des choses, mais aussi sur notre expérience du film.

Qui dit sens dit mélodie

Wild n’a donc rien d’austère dans sa forme. Vallée y a même accordé une certaine importance à la musique, avec une bande originale de qualité allant de Leonard Cohen à Bruce Springsteen en passant par Portishead et Billy Swan : son film n’est pas un de ces longs clips, la majeure partie de ses scènes sont même dénuées d’accompagnement musical, laissant place au majestueux silence du décor, ce qui, à la fois, étonne et fait parfaitement sens… MAIS quand la musique parle, Vallée y investit tout son sens du rythme, et ça donne de très émouvants moments. Par exemple, on gardera en mémoire tout ce magnifique passage monté sur l’El Condor Pasa de Simon & Garfunkel, déjà entendu au début de la traversée, murmuré, et qui reviendra hanter le générique de fin de son humeur élégiaque (avec un des plus beaux cuts au noir de l’année), et que l’on pourra ainsi voir comme l’envoûtant leitmotiv musical de l’héroïne. La musique de Wild joue donc, malgré tout, un rôle important dans un film dont la Cheryl originale a rapporté que tout au long de sa traversée, elle n’aura justement cessé de fredonner sa « mixtape-radio-station ». Et elle rappelle, au passage, le pouvoir guérisseur de la musique et sa capacité à inspirer, accompagnatrice du rêve et de l’espoir. En fait, Wild, c’est un peu une version trentenaire et énergique d’Une Histoire Vraie, de David Lynch. Ok, j’exagère peut-être un peu.

Une économie d’information risquée

L’interprétation de Wild est donc un élément clef du film… mais avec un scénario davantage développé et mieux équilibré, allez, j’ose le dire, Wild aurait pu être un chef-d’œuvre, ce qu’il n’est pas. Hélas, il privilégie bien trop l’affect au détriment de l’explicatif, maintenant le passé de son héroïne dans un flou problématique. Bien sûr, l’essentiel est là : on sait que Cheryl en a bavé, qu’elle est à la croisée des chemins, qu’elle se lance dans cette aventure pour se prouver quelque chose, et que son avenir semble dépendre du succès de cette expérience. On s’émeut naturellement lorsqu’est révélée l’origine de sa dépression. Mais quid d’elle ? De la femme ? De sa vie passée ? Comment est-elle passée de la fille studieuse à la junkie nymphomane ? Quand a-t-elle commencé à sauter tout ce qui bougeait ? Et OÙ se trouvait son ex-mari dans les moments clés du drame ? À un moment, il est mentionné qu’ils ont passé sept ans ensemble… mais les flashbacks qui lui sont consacrés ne donnent pas cette impression. On aurait aimé voir davantage ce personnage, dont il est difficile de mesurer l’impact dans la vie de Cheryl, d’autant plus qu’il est joué par l’excellent Thomas Sadoski de The Newsroom. Même chose pour ce qui semble être la meilleure amie de Cheryl, Aimee. Ils ne sont que des vignettes dans un flot de souvenirs essentiellement consacrés à la môman. Ces zones d’ombre peuvent donc poser problème en ce qu’elles limitent notre capacité à comprendre l’attitude de l’héroïne, jamais vraiment remise en question dans son statut de femme-courage, et rend difficile la tâche de décider si on l’apprécie vraiment ou pas, au-delà de la simple compassion.

Ceci étant dit, on peut aussi voir dans cette incomplétude un refus intéressant, de la part de Vallée et Hornby, de TOUT expliquer, d’apporter une réponse à TOUTES les questions, de trop prendre le spectateur par la main. On peut voir dans la mort de la mère un moteur dramatique suffisant. Partant de là, en dépit de ses dérives narco-sexuelles, Cheryl devient un personnage attachant, dont la voix-off nourrit efficacement la personnalité et le caractère bien trempé, que ce soit dans les récitations de vieux poèmes ou dans des craquages de plombs étonnamment comiques (« 36 fucking days ! »). À ce sujet, nombres de ses déboires sont assez drôles, d’abord par nécessité dans un film autrement assez pesant, ensuite parce que tellement identifiables pour qui a fait un minimum de randonnée. On sait que Cheryl existe dans le monde réel ; elle existe suffisamment à l’écran ; on aurait simplement souhaité ne pas se contenter du minimum dans ce domaine.

De l’utilité d’une pareille expérience

Wild ne fonctionnerait pas si l’on ne s’identifiait pas à son héroïne – j’ai parlé plus haut d’appréciation du personnage, pas d’identification –, du moins en de pareilles circonstances. Oui, elle et son projet sont un brin déséquilibrés. Mais n’avons-nous pas tous rêvé, plus ou moins consciemment, de nous lancer dans une authentique aventure, un périple initiatique qui, en plus de nous délivrer d’un quotidien dans lequel nous nous enkystons lentement, nous ramènerait à des considérations autrement plus fondamentales que les caractéristiques du nouvel iPhone, et nous donnerait l’infiniment précieuse occasion d’en apprendre davantage sur nous-même, sur ce que nous valons vraiment, et sur le sens que nous donnons à la vie ? Certains rétorqueront que non, qu’ils sont très bien là où ils sont, qu’ils n’ont jamais ressenti ce besoin de quête de soi dans lequel ils ne voient qu’un caprice adulescent. Ce seront des créatures sociales exemplaires à l’existence parfaitement réglée selon la mécanique bien huilée de la cité. Grand bien leur fasse. Mais pour certains autres, et j’oserai dire la majorité, une entorse au règlement, aux codes de la vie dans une société d’adultes dits responsables, s’avèrera davantage vital à leur équilibre que la routine et la modération. [Spoiler d’une ligne alert !] Rappelons-nous la réplique de l’héroïne : « When I’m done, I’ll only have two dimes to my name, but I’ll have to start living. And I’m nowhere near ready ». Reese Witherspoon, en plus de conférer au personnage le supplément d’âme qui pardonne ses zones d’ombre et de capturer habilement son mélange volatile de candeur et d’entêtement, de vulnérabilité et de persévérance, incarne avec authenticité ce besoin vital. Pour ce faire, un prérequis essentiel : être capable de ressentir le besoin… de découvrir.

En dépit de la beauté de ses décors naturels, le film de Jean-Marc Vallée peut ainsi être vu comme une odyssée intérieure déguisée en aventure en extérieurs. Son équipée sauvage n’est pas aussi « dans ta face » qu’un Into The Wild mais là n’était pas son objectif. L’exploration de Cheryl, des traits cachés de son esprit, de ses démons et de ses rêves de meilleurs lendemains, voilà quel était son objectif. Et il n’en est pas moins, in fine, une explosion de beauté cathartique pour toute âme rêvant de renaissance et d’horizons lointains. Après Dallas Buyers Club, le présent film confirme le talent de Jean-Marc Vallée à mettre en scène des récits d’accomplissements personnels.

Notes

– Vallée a confisqué à Reese Witherspoon tous les manuels supposés l’aider à monter des choses essentielles au randonneur comme la tente ou le réchaud. Sa frustration à l’écran est authentique. Ouais, ça aide.
– Ci-dessous, quelques captures d’écran, juste parce que.

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