Critiques

Wedding nightmare (Ready or Not)

Réjouissant OVNI que ce Ready or Not, ou Wedding Nightmare en français (non, ça ne s’arrange pas avec le temps), que l’on dirait presque surgi de nulle part. « Presque » car dans les semaines qui ont précédé sa sortie, le film a bénéficié d’un petit buzz sans lequel seule une poignée de pèlerins, tout au plus, se serait rendue en salle, et sans lequel l’auteur de ces lignes se serait attendu, tout au plus, à un amusant nanar d’horreur estival – réalisateurs inconnus, casting vide de stars, pitch grotesque. Un buzz… amplement mérité. Ready or Not est topissime. « Topissime », semi-néologisme ici bien pratique parce qu’il exprime un enthousiasme débordant, mais sans prétention. Ce n’est pas un GRAND film, c’est juste… réjouissant, à 90%. Ce n’est pas génial, et en même temps… ça l’est, à sa façon. Vous voyez le genre ? Mais si, vous le voyez.

C’est que ça se joue parfois à l’association aventureuse d’une poignée d’éléments forts, et à la singularité assumée de cette association, une singularité capable d’éclipser le mauvais et de fortifier le bon. L’idée de départ de Ready or Not pourrait se résumer à l’équation suivante = You’re Next + Get Out + Eyes Wide Shut + Rosemary’s Baby + Cabin in the Woods. You’re Next pour son jeu de massacre en maison de campagne et sa belle-famille un chouïa suspecte ; Get Out parce que c’est ce qu’on ne cesse de souffler nerveusement à l’héroïne très, très tôt dans le film ; Eyes Wide Shut pour son aristocratie d’argent inaccessible au commun des mortels et euh ses masques chelou ; Rosemary’s Baby pour sa belle-famille et sa secte glauque (sans le bébé) ; Cabin in the woods pour son ultime twist. Oui, ça fait un peu beaucoup, à tel point que ça aurait pu, que ça aurait DÛ donner n’importe quoi. Seulement, ce n’est pas le cas. Et c’est précisément cela, cette inattendue réussite, qui éclipse les couacs que je ne manquerai pas d’aborder.

Pile le bon esprit

Tout ceci est beaucoup une question de ton, vraiment. Aucun des films précités ne contient d’élément humoristique prépondérant, pas même You’re Next, dont les rebondissements sont pourtant jubilatoires, mais leur mélange n’aurait rien donné de comestible sans une bonne dose d’humour. Les co-scénaristes Guy Busick et Ryan Murphy (non, un autre Ryan Murphy) (heureusement) ont compris cela, au bénéfice d’un produit final dont la folie douce, le macabre ravi, et le léger goût pour le burlesque se manifestent très tôt, envoyant leurs premiers signaux dès la scène du mariage, à la fois lumineuse et un peu glauque… Insistons donc sur le fait que Ready or Not n’est pas un film d’épouvante raté sous prétexte qu’il ne fait pas peur. Ce n’est PAS un film d’épouvante mais une comédie noire riche en hémoglobine. Pour autant, ces conteurs malins et leurs coréalisateurs ont également eu l’intelligence de ne pas traiter leur sujet comme une bouffonnerie : à aucun moment le spectateur n’a l’impression de voir une parodie de You’re Next, Get Out, Eyes Wide Shut, ou Rosemary’s Baby. Le film est BOURRÉ de répliques qui font mouche dans le registre caustique teinté d’absurde, mais c’est un VRAI thriller, avec de VRAIS enjeux, et une dose de violence bien salissante qui fera à quelques reprises grincer certaines dents – voir toute la partie dans la grange, par exemple. La coexistence de l’humour et du drame n’a jamais été une mince affaire, et nombre de conteurs s’y sont cassés les dents, les deux finissant souvent par se parasiter, mais Ready or Not, lui, combine intelligemment gore graphique et comique récréatif (« You think it’s a game ?! » « Yes… “hide and seek”, remember ? »).

Il aurait par ailleurs été un peu triste d’occuper un décor aussi grandiose et photogénique que le manoir d’influence médiévale Casa Loma pour y tourner une bouffonnerie. S’il y a bien quelque chose que les plus gros détracteurs de Ready or Not ne pourront nier, c’est que le film est esthétiquement superbe. Avec l’aide du chef décorateur Andrew Stearn, également occupé ces temps-ci par The Handmaid’s Tale, les deux réalisateurs ont mis au point un univers clos où s’épanouit librement l’opulente excentricité du clan Le Domas, et qui profite à un peu TOUT ce qui apparait à l’écran, à commencer par la superbe robe immaculée de l’héroïne. Si leur utilisation de la caméra à l’épaule est un peu excessive car pas toujours justifiée par l’action, elle est parfaitement adaptée à l’utilisation de la lumière naturelle, dont le recours surprend dans un registre habituellement moins exigeant sur le plan formel : l’union des deux donne du corps au décor, plonge le spectateur un peu plus profondément dans les méandres de ses corridors et passages secrets sans jamais avoir à lui expliquer où l’héroïne se trouve puisque l’idée est de le paumer à peu près autant qu’elle dans un décor dont l’aspect labyrinthique est accentué par son état de panique. Une caractéristique rare indique l’humilité de cette petite virée rondement menée et flanquée, tout au plus, d’un léger passage à vide à mi-parcours : sa faible durée, quatre-vingt-dix minutes (!). Et sans matière grasse, hein. Ou si peu.

Le spectacle sera donc tendu ET serré. Et entre deux éclats de rire, on ne pourra s’empêcher de stresser pour Grace, l’héroïne, d’autant plus que le film a l’air suffisamment méchant pour tuer cette dernière, se dit-on tout du long…

Et elle descendit des cieux !

Venons-en donc à l’autre élément crucial au succès de Ready or Not : le combo Grace + Samara Weaving, son interprète, « scream queen » de classe A et révélation d’actrice dont le film marque la tonitruante entrée sur le devant de la scène. Minute nerd énamouré : Weaving est, dans Ready or Not, une vision absolue, fusion surnaturelle de Margot Robbie et d’Emma Stone en ce qu’elle est à la fois classiquement canon, comme Robbie, et pleine de cette expressivité cartoonesque et de cet impeccable timing comique qui avaient placé Stone sur une comète avec Easy A. Une vision capable de conserver sa grâce dans une robe de mariée déchiquetée et barbouillée de sang – qui passera de l’immaculé au noir de crasse à mesure qu’elle s’endurcira, symbole parmi tant d’autres. Et dotée d’une énergie folle, qui se révélera un appui capital au film lors de son passage à vide susmentionné. C’est bien simple : forte d’un personnage jamais caricatural et aussi authentique dans la vulnérabilité que dans son instinct de survie, Weaving campe l’héroïne de « survival horror » la plus « badass » qu’on a vue au cinéma depuis 10 Cloverfield Lane et son combo Michelle + MEW.

Une des innombrables raisons d’éviter la bande-annonce de Ready or Not avant d’aller voir ce dernier est qu’elle commet le double-péché a) de trop en montrer – mais c’est devenu la norme dans les bandes-annonces hollywoodiennes dont la seconde moitié est généralement à éviter –, et b) de tromper un brin le spectateur sur la marchandise. La tromperie était de faire croire au public que Grace allait passer la seconde partie du film à dégommer du richard en montrant son seul meurtre de TOUT le film. Et cela a HÉLAS marché, certains critiques étant passés complètement à côté du film pour cette raison alors qu’il n’a rien à voir avec un You’re Next. Son héroïne a beau être une mariée, on n’est pas dans Kill Bill. Sa survie dépendra à plusieurs reprises d’une aide extérieure, puis carrément d’un Satan ex machina, à la toute fin. Elle aura beau se rebiffer et en imposer vers la fin, elle n’en restera pas moins la victime des excentricités meurtrières du clan Le Domas. Alors… déception ? Pas vraiment. En fait, c’est mieux comme ça. Le film aurait perdu beaucoup de son originalité, en plus d’enfiler une perle féministe bien lourde, si sa blondinette taille mannequin s’était transformée en une nuit en guerrière amazone. Ça ne l’empêchera pas de filer quelques mandales et de se débattre comme une championne, mais ces scènes ne seront pas si nombreuses, ni même les moments forts du film – surtout pas tout ce qui se passe avec le majordome…

Pile ce qu’il faut de profondeur

L’intérêt du scénario est ailleurs. En fait, sans jamais trahir l’esprit de déconne qui l’anime en partie – car les motivations de la famille Le Domas ont quand même quelque chose de parfaitement ridicule –, Ready or Not prend la peine de soigner son histoire.

Certains reprochent au film de manquer, au contraire, de substance. Les scénaristes ont-ils suffisamment exploré ses thèmes, de l’effet corrupteur de l’argent à la dégénérescence dynastique ? Je reviendrai dessus, mais peux déjà dire que non. De toute évidence, ils auraient-ils pu faire mieux qu’une poignée de répliques du genre de « it’s true what they say, the rich really are different ». Quelques flashbacks explorant les origines de la malédiction aux côtés de l’arrière-grand-père Victor et de l’obscur Le Bail auraient été les bienvenus, par exemple. Et à l’exception des personnages de l’époux Alex et du grand-frère Daniel, force est de reconnaître que les membres de la famille Le Domas tiennent sur des tickets de métro. Mais une partie de ces doléances est aussi déplacée que le reproche fait au personnage de Grace de ne pas être une vengeresse tout-terrain.

J’ai mentionné la durée anormalement courte du film. En y ajoutant une dizaine, quinzaine de minutes, il y avait effectivement matière à trousser une exploration décalée des thèmes susmentionnés, à travers des flashbacks dédiés aux origines du clan maudit, par exemple. Cela aurait été autrement plus mémorable que des dialogues explicatifs car il est généralement préférable de communiquer des informations au spectateur via l’image plutôt qu’une exposition orale balourde – cf. la très parlante expression « show, don’t tell » des anglophones. Mais j’ai bien dit « généralement ». Oui, il aurait été amusant de voir le Diable cuisiner sa petite malédiction à la lumière d’une bougie dans une vieille bicoque de style gothique, mais au bout du compte, cela aurait DESSERVI le film : l’idée, avec cette malédiction, est qu’on ignore si elle est réelle, ayant en fait toutes les raisons de croire l’inverse, c’est-à-dire que les Le Domas ne sont qu’une bande de tarés ayant poussé le vice superstitieux au maximum de ses capacités dépensières.

Oui, les personnages autres que Grace, Alex et Daniel tiennent sur un ticket de métro… mais d’une part, le film ne se prétend pas une étude de caractères, et d’autre part, ce n’est pas synonyme de mauvaise qualité d’écriture : tout dépend de leur caractérisation. À leur degré de développement, le beau-père (Henry Czerny, réjouissant d’hystérie) fonctionne très bien en connard mégalomaniaque dont les nerfs s’avèrent bien moins solides qu’ils ne le semblaient, la belle-mère (Andie McDowell faisant plutôt pas mal sa Jessica Lange) fonctionne très bien en Lady McBeth pragmatique, la belle-sœur cadette Emilie (Melanie Scrofano, qu’il est amusant de voir complètement nulle au tir alors qu’elle joue Winnona Earp) fonctionne délicieusement en boulet cocaïné de la famille, tante Helene fonctionne très bien en vieille sorcière acariâtre que son passé noir sang étoffe un peu, Charity et Fitch fonctionnent très bien en pièces rapportées prêtes à tout pour bien se faire voir des beaux-parents… pas besoin de plus que ça pour un thriller azimuté d’une heure trente. Aucun personnage ne commet d’actions qui manquent de sens ; chacun a des motivations claires auquel il se tient. Ajoutons à cela que chacun a droit à une poignée de répliques mémorables, et le compte y est (le « I don’t know what I’m doing ! » d’Emilie étant de très loin la meilleure).

Par ailleurs, eux non plus ne doivent pas nourrir d’attentes disproportionnées chez le popcorneur amateur de carnages, comme celle de les voir se transformer en ennemis mortels, par exemple, car Ready or Not n’est pas non plus Chasse à l’Homme avec JCVD. Les membres de la dynastie Le Domas auraient pu, au fil des générations, tirer de la tradition du jeu un goût raffiné pour le meurtre et sophistiquer cet art, c’est sûr… mais ils ne l’ont pas fait. Ready or Not n’est pas non plus les Chasses du Comte Zaroff. Ses zigotos subissent le jeu presque autant qu’ils ne l’infligent aux pauvres hères qui ont tiré la mauvaise carte. Certains y jouent avec un zèle qui peine à dissimuler leur nervosité, d’autres s’avèrent avoir ça dans le sang, certains le font par principe, d’autres sans vraiment y croire, voire en s’emmerdant royalement. Dans certains cas, on a affaire à des dégénérés purs et simples. Après tout, à la fin du film, on pourra littéralement parler de « fin de race »…

Deux frères

Un des quelques personnages étoffés du film, et le plus réussi après Grace, c’est donc Daniel, campé avec un sacré charisme par un Adam Brody qu’on ne voit clairement pas assez au cinéma, et dont l’alcoolisme dépressif « fait » littéralement certaines scènes. Cela peut étonner, de prime abord, car Daniel est le personnage le MOINS déséquilibré de sa famille, or on s’attendrait à ce que les plus mémorables soient les plus dingos, mais justement : son « charme » tient à son état profondément désabusé de type sain d’esprit qui se SAIT entouré de malades et se SAIT condamné par le sang à les côtoyer ; cela fait de lui à la fois un personnage auquel on peut s’identifier ET un cas intéressant. L’acteur lui prête un flegme vraiment inattendu.

Son petit frère et le mari de Grace, Alex, est le dernier des trois personnages du film à bénéficier d’un certain développement. Il est la source d’un des principaux reproches que les détracteurs de Ready or Not font au film, son revirement final contre Grace, qui manquerait selon eux cruellement de cohérence puisque le personnage a passé l’intégralité du film à essayer de la sauver… mais si ce revirement peut décevoir, il n’a, en revanche, aucun problème de logique. Alex aura beau se comporter comme une baltringue, il n’en sera pas moins crédible dans son aveuglement. Premièrement, toute l’aide énamourée qu’il apporte à l’héroïne, au début du jeu, ne doit éclipser le fait qui l’a sciemment conduite dans la gueule du loup. S’il était aussi brouillé avec sa famille qu’il le laisse entendre, il aurait épousé Grace à Las Vegas, mais non : au bout du compte, il a choisi de rester collé à sa famille. Ensuite, lorsqu’elle lui demande pourquoi il lui a fait courir ce risque, le petit gars lui répond qu’il ne voulait pas la perdre… signe que son intérêt personnel primait déjà sur la vie de sa fiancée. Mais de cela, peut-être n’est-il même pas pleinement conscient. Il SAIT que Grace PEUT tirer la mauvaise carte, mais quand Daniel le lui rappelle, répond que les chances sont dérisoires, ce qui est à la fois vrai, et un vœu pieu. Un aveuglement destiné à ne pas voir le triste fond de son propre caractère : ce qui compte, pour lui, c’est d’AVOIR Grace, sans vraiment la respecter en tant que personne, puisqu’il prend à sa place la décision de risquer sa vie. Qu’il se retourne contre elle à la fin, quand il comprend l’avoir perdue pour de bon, n’a, de fait, rien d’incohérent. Ajoutons à cela la peur du Diable, et c’est parti.

Tradition du pouvoir, pouvoir de la tradition

Certains suggèrent que Ready or Not traite des rapports de force sociaux au point de poser une critique explicite de notre société de classes. C’est discutable, que ses scénaristes soient d’obédience marxiste ou non. Oui, le film confronte d’illustres membres de l’aristocratie d’argent à une plébéienne retorse, mais n’oublions pas que cette dernière nous est présentée fort heureuse de rejoindre les « 1% ». Le film ne nie pas le pouvoir corrupteur de l’argent, il se voit chez les « pièces rapportées » de la famille Le Domas, la belle-fille et le beau-fils, qui sont prêts à tout pour ne pas retourner à leur condition de simples mortels, mais parle-t-on spécifiquement du pouvoir né de l’accumulation capitaliste de richesses ? Certes, le film rappelle vaguement l’extrême violence que peut porter en elle une structuration verticale basée sur la SEULE taille du compte en banque, le problème premier du pouvoir étant sa légitimité, et l’argent ne lui en accordant aucune, MAIS la critique du film semble davantage viser le pouvoir dynastique, avec cette famille de dégénérés qui évoque une lignée monarchique aux gènes étrillés par les mariages consanguins – j’ai bien parlé de « fins de race », plus haut. Les nantis du film ne sont pas des self-made-men/women, et même eux sont, par moment, dépassés par la violence susmentionnée, ébranlés, sinon terrifiés, par la volatilité de leur puissance. Le film en profite même pour rappeler que la piétaille elle-même contribue à l’entretient de cette violence à travers les personnages des trois domestiques, qui ne sont pas forcées d’y jouer MAIS existent pour servir leurs maîtres, et le zèle du majordome, qui n’a pas à craindre pour sa vie quand bien même la malédiction serait réelle, et pourtant joue comme s’il en était. Il est intéressant de noter que le film a été produit par James Vanderbilt, de la richissime dynastie Vanderbilt, dont les récentes générations, quoique probablement plus équilibrées que les Le Domas, ont été plus douées à dilapider la fortune amassée par leurs ancêtres qu’à la faire fructifier…

Mais si Ready or Not dit quelque chose de substantiel, c’est surtout sur l’idée de tradition, comme je l’ai évoqué plus haut. Arrêtons-nous un instant sur cette dernière, sur ce qu’elle a d’essentiel. Elle rassemble les gens autour, et permet le fonctionnement organique des sociétés sur la base d’us, coutumes et valeurs morales (le terme de religion vient du verbe latin « religare », relier), et met en valeur les modèles à suivre pour les plus jeunes (mais pas seulement, voir le rôle structurant de la figure du héros). Elle est la source des normes inhérentes à toute société humaine, la somme des enseignements de siècles d’expérience. Une culture n’a pas à justifier son existence d’un point de vue rationnel et matérialiste, ou alors les mathématiques araseraient la diversité culturelle en même temps que le relativisme arase les valeurs. Ready or Not n’est en rien une critique de la tradition (nul féminisme revanchard ni brûlot anti-mariage). LE PROBLÈME est que, sans vouloir jouer le jeu des déconstructivistes, on ne peut ignorer les risques inhérents au respect aveugle desdites traditions. Certaines peuvent se perpétuer à notre détriment, entretenues par le conformisme naturel de notre espèce, qui nous conduit parfois à répéter les erreurs de nos prédécesseurs, confondant bien-fondé et popularité. C’est ce qu’aborde Ready or Not, entre autres, et l’air de rien. La tradition du jeu est-elle bonne ? Assurément, non. Tout en respectant l’idée de spécificité culturelle, on peut s’autoriser un petit coup d’universalisme en condamnant toute tradition qui requiert un sacrifice humain. Tuer quelqu’un, tout du moins un innocent, et hors du cadre de la justice si l’on approuve la peine capitale, est condamnable. Ainsi la première caractéristique des Le Domas n’est-elle plus le conservatisme, mais l’immoralité, soit l’inverse.

L’idée du respect aveugle d’une tradition se complique davantage encore lorsqu’est versée dans la tambouille une bonne dose de surnaturel. Ce que l’illustre arrière-grand-père Victor a fait avec le mystérieux Le Bail ne fut rien de moins qu’un pacte avec le Diable, la fortune de son clan dépendant dès lors de la disposition de ses descendants à jouer le jeu… jusqu’au bout. C’est ce point, l’implication radicale de ces derniers, qui, en plus de faire le sel du film, pose la question du bien-fondé d’une tradition en rappelant le pouvoir aliénant du mysticisme.

L’inadaptation d’une tradition antédiluvienne aux changements d’époques est un argument favori des tenants du « progrès ». Elle a le mérite d’être posée par le film à travers l’attachement radical du patriarche Tony à jouer le jeu dans les conditions originales, en employant des armes archaïques, par exemple (hache, arbalète, etc.), et en refusant tout recours à la technologie contemporaine comme les caméras de surveillance, afin de se mettre à la place de l’arrière-grand-père Victor, un peu son prophète à lui. Cela parait noble, au départ : les Le Domas sont une dynastie, une dynastie est une micro-société, et une société a besoin de règles. Puis l’on se rend compte que tout ne se tient pas parfaitement puisqu’il laisse en même temps son majordome traquer Grace à l’aide de sa BMW très contemporaine. Le respect peut être aveugle… comme il peut être d’une hypocrisie confondante. Jusqu’à un certain point du jeu, les « chasseurs », Le Domas de sang ET pièces rapportées, ont le mérite de suivre la tradition du jeu à la lettre, motivés par Tony. Mais à la fin, quand cette petite troupe réalisera que rien ne va plus, que l’aube approche dangereusement et que leur proie continue de leur échapper, la tradition pourra aller se faire cuire un œuf d’autruche. Tous n’auront pas fait preuve de la même hypocrisie que Tony Le Domas. D’amusants mini-débats auront éclaté durant la nuit, à mesure que la situation se corsait, entre les « anciens », comme ce dernier et tante Helene, et des esprits plus pragmatiques, ou plus cyniques, comme Emilie et Fitch, incarnant, à leur manière, le camp « progressiste ». Mais le résultat sera le même. Ready or Not n’est peut-être pas une thèse, mais sa géniale réplique « It’s not tradition that he was born before cameras » vaut à elle seule bien des monologues sur le sujet…

Cerise sur un gâteau déjà savoureux

Les dernières minutes du film valent à elles seules une critique à spoilers tant elles sont réjouissantes. À ce stade, le troisième acte s’est montré légèrement inférieur aux deux précédents (l’exact inverse de You’re Next) : tout ce qui s’est passé aux abords du domaine des Le Domas, avec ce majordome complètement incapable (cf. la scène de la voiture), a manqué tant d’énergie que d’inspiration, et la répétitivité des captures de Grace a un peu cassé l’irrésistible dynamique qui caractérisait le film jusqu’à un certain point tardif… PUIS arrive l’aube, et cet hilarant moment où les tarés réalisent que leur malédiction n’était qu’un énorme foutage de gueule… PUIS arrive l’ultime twist, qui voit tout ce petit monde exploser dans de grotesques geysers de sang, façon True Blood, révélant finalement qu’en fait, NON, la malédiction n’était PAS un énorme foutage de gueule, que le Diable existe, qu’il s’est un jour nommé Le Bail, et que les Le Domas, tout immoraux fussent-ils, avaient raison… de respecter la tradition. Ah ouais, carrément !

Le troisième acte, et le film dans son entièreté, bénéficient de ce twist à plus d’un titre. Tout d’abord, il surprend, et sans que cela ne se fasse au détriment du récit : cette issue était tout à fait envisageable dans la logique interne de l’histoire, le spectateur n’y croyait juste pas vraiment. Jusqu’aux explosions d’hémoglobine, Ready or Not avait l’air d’une critique de la superstition et du respect aveugle des traditions ; après, le film l’est toujours, mais avec un « yeaaaaaah ! » en plus, surtout quand on pense à la géniale accolade de Le Bail à Grace, l’air de dire « bon boulot, gamine… ». Ensuite, il n’enlève rien à ce que l’on prenait pour le climax du film, la fausse révélation que les Le Domas croyaient à une chimère, ni à ce délicieux moment où ils se sont sentis bien cons : l’effet demeure. Ces deux retournements font l’effet d’une cerise sur un gâteau déjà savoureux. Pour finir, il brouille quand même un peu son propos sur le respect des traditions : les Le Domas restent-ils à ce point déments si le réel est, lui-même, dément ? L’attitude radicale de ceux qui y croient dur comme fer, comme le patriarche, ne se trouve-t-elle pas quelque peu justifiée, y compris moralement, sa survie et celle de sa famille entière dépendant du sacrifice de Grace ? Après tout, le respect des traditions n’est-il pas en partie une question de vie ou de mort pour une culture, et donc, dans un certain sens, pour son peuple ? En fait, ce twist, tout en étant inattendu comme celui d’un Cabin in the Woods, par exemple (toutes proportions gardées), nourrit bien davantage le propos de son film…

À voir, donc, et pas qu’une fois

Vous l’avez compris, Ready or Not, sous ses dehors de thriller horrifique, n’est pas une coquille vide exclusivement dévouée au divertissement. Sa boucherie grotesque est un spectacle « pulp », oui, mais pas seulement. C’est du popcorn, pas du pop-con. Le tout est d’accepter que c’est AVANT TOUT du popcorn, du fun avec un F majuscule. Du fun qu’il est bon de soutenir, en cette sinistre époque d’adaptations médiocres, remakes, reboots, et rereboots. En allant le voir une deuxième fois, par exemple. Certains défenseurs des studios Disney, dont l’hégémonie ne signifie objectivement rien de bon en matière de production culturelle, invoquent ce film comme une preuve que la diversité de l’offre dans le cinéma hollywoodien demeurera inchangée. Problème : Ready or Not a été produit par Fox Searchlight AVANT le rachat de la Fox par l’Empire. Bien essayé. Prions maintenant pour la suite.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *