Critiques

The Fall Guy

The Fall Guy met en scène Colt Seavers (si ça claque pas, ça !), un cascadeur hollywoodien qui, après un grave accident, abandonne sa carrière pour devenir voiturier (ça arrive). L’histoire prend un étrange tournant lorsque la productrice Gail Meyer contacte Colt pour qu’il l’aide à retrouver sa star Tom, disparue dans le cadre d’une affaire de drogue chelou. Colt se lance alors dans une enquête pour retrouver Tom et éviter ainsi l’annulation du film de Jody Moreno, son ex-petite amie, dans lequel tourne Tom. En dépit des tensions avec Jody, Colt renoue sans mal avec sa profession de cœur, et, au passage, se retrouve impliqué dans une intrigue criminelle rocambolesque. Au fil de ladite intrigue, il renouera également avec Jody, et les deux tourtereaux collaboreront pour démasquer les méchants dans un spectacle mêlant action, comédie, romance, et hommage au métier de cascadeur.

The Fall Guy a un BEAU message : les cascadeurs méritent mieux

Ils méritent juste mieux. Surtout que ce sont EUX qui se cassent un tas de trucs, pas les directeurs de la photographie. Sans leur profession de fous furieux, et en attendant que l’IA et le numérique ne prétendent les remplacer, AUCUN des classiques du cinéma d’action qui ont nourri nos enfances ne serait un classique du cinéma d’action… et pourtant, lesdits fous furieux sont très rarement célébrés. Depuis quand l’auteur de ces lignes, cinéphile nerd devant l’éternel dont Corridor Crew est une des chaînes YouTube préférées, se lamente-t-il que les Oscars n’ont pas encore créé une récompense de la meilleure putain de cascade ? Combien de cascadeurs mériteraient AU MOINS AUTANT de reconnaissance pour leur performance que le minet (ou la minette) qu’ils ont doublé ? Peu importe que l’on ne soit pas supposé les remarquer : les « stuntmen », héros anonymes du septième art, méritent mieux. Ils méritaient aussi qu’on leur consacre un bon gros blockbuster hollywoodien aux airs d’hommage azimuté. Alors : une nouvelle ère a-t-elle commencé ? Avec The Fall Guy, le processus de rectification d’une injustice historique a-t-il enfin commencé ?

La bonne nouvelle est que le film met en surbrillance quelque chose d’essentiel : le cinéma, ce n’est pas JUSTE ce qu’on voit, ou croit voir, à l’écran. Chaque conception de scène, chaque conception de plan, même, a une histoire, parfois une histoire plus épique encore que l’action du film en question, notamment parce que les mesures de sécurité ont beau s’être améliorées au fil des années, faire ce que font les cascadeurs demande toujours d’eux qu’ils soient… c’était quoi, l’expression, déjà ? Ah oui : des fous furieux. Derrière chaque scène d’action que bon nombre de spectateurs consomment sans se poser plus de questions, il y a eu un danger, et il y a eu un professionnel prêt à faire la nique audit danger, notamment en repoussant ses propres limites. Le message de The Fall Guy va, par ailleurs, au-delà de la simple reconnaissance : en dressant un portrait non seulement affectueux mais aussi RIGOUREUX des cascadeurs, il souligne également l’importance de la sécurité et de la préparation dans la réalisation des cascades, et offre des pistes de réflexion intéressantes sur l’effet qu’a ce souci de pragmatisme sur la créativité d’un film. On parle d’un art dans l’art : chaque mouvement est chorégraphié avec précision, chaque saut, chaque explosion est le résultat de semaines, voire de mois de planification. The Fall Guy montre combien l’être cascadeur requiert un mélange unique de courage, de compétence et d’ingéniosité. Dans un film d’action, ou plus généralement n’importe quel film comprenant une ou plusieurs scènes d’action, sa fonction est aussi vitale que celle du réalisateur, du scénariste, ou des acteurs, et c’est pourquoi Ryan Gosling rendant explicitement hommage, lors d’une première du film, aux « cinq cascadeurs qu’il a fallu pour faire son fall guy », en mentionnant leurs noms, était un geste si fort. Attention : l’auteur de ces lignes ne rejoint pas pour autant l’avis selon lequel le cascadeur devrait soudain être considéré comme le VRAI héros du cinéma, méritant PLUS ENCORE de reconnaissance que les acteurs qu’il double : d’une, le cinéma, c’est du chiqué, c’est BASÉ sur notre acceptation du chiqué ; de deux, comme ça a été suggéré plus haut, dans le monde du cascadeur, l’anonymat fait partie du deal. Une doublure dont tout le monde connaitrait la tronche, ça n’aurait aucun sens. Restons calmes, restons cohérents : personne ici ne déplore le fait que les ingés son ne sont pas TOUS des stars internationales ou que les scriptes ne sont pas des milliardaires. Les ACTEURS sont les stars. Simplement, cela n’empêche ni la reconnaissance DU MILIEU… ni une meilleure rémunération.

Problème : il faudrait aussi songer à de meilleurs FILMS.

Parce qu’un grand cascadeur ne fera pas forcément un grand film sur les cascades

DONC, il est grand temps que l’industrie cinématographique accorde aux cascadeurs la place qu’ils méritent, voilà qui a été posé, et The Fall Guy est un pas fort louable dans cette direction… MAIS. Mais… de bonnes intentions ne font pas un bon film. Mais… David Leitch. David Leitch… ou le cinéma d’action hollywoodien sympatoche des années 2010. Leitch est un des deux ex-cascadeurs de talent à qui l’on doit le premier, glorieux John Wick (2014) : voilà son argument de vente, à chaque fois qu’il revient avec un nouveau film, inévitablement d’action, depuis dix ans passés à surfer sur la vague. Seulement, les géniteurs du premier JW ont surtout passé ces dix dernières années à faire MOINS BIEN que le premier JW, ou trop ressemblant pour être honnête, comme s’ils n’avaient rien d’autre que cette rachitique formule (voir le sympatoche Nobody et s’interroger). Contrairement à Chad Stahelski et son scénariste Derek Kolstad, qui ont précipité la franchise JW dans les égouts depuis l’interminable troisième opus, le cas Leitch inspire une certaine tolérance car lui, au moins, a le mérite de TENTER des trucs un peu différents, à l’exception de son sympathique Atomic Blonde, sous-wickerie au même titre que Nobody. C’est juste… souvent trop long, étranger à la finesse, et pas toujours du meilleur goût, visuellement. C’est juste… du cinéma qui inspire à la fin un penaud « moui, c’était sympa » au popcorneur frustré. C’est juste… du cinéma qui vaut un 6/10, en étant de bonne humeur. Qu’il taffe pour Marvel (Deadpool 2), s’attelle à un Fast & Furious (Hobbs & Shaw), ou rende hommage aux cascadeurs de cinéma, comme il le fait dans ce nouveau Fall Guy : 6/10, si noble soit son propos. La constance de mes notes sur www.senscritique.com est sans appel.

Verre à moitié plein : on peut y voir le signe que le Leitch ne sait apparemment PAS faire de merdes, contrairement à un Doug Liman, comme ce dernier vient de le démontrer avec son récent remake de Road House, ou à un Matthew Vaughn, comme ce dernier vient de le démontrer avec son récent crime contre l’humanité qu’est Argylle. Verre à moitié vide : Leitch ne sait pas non plus faire de VRAIS BONS FILMS tout seul. Le spectacle va être généreux mais brouillon, parfois incroyablement brouillon, se fendre de quelques morceaux de bravoure qui feront parler (ici, la scène du crash de bagnole sur la plage, avec ses innombrables tonneaux), mais nichés entre des moments de beauferie autrement moins mémorables, et il va reposer énormément sur le charisme de ses acteurs, ici un Ryan Gosling dont le génie comique n’est même pas exploité comme il aurait dû l’être, comme il l’est dans The Nice Guys, dont Leitch empruntera l’humour pour un résultat bien moins convaincant que quand Shane Black est à l’écriture (cf. tout le passage où le protagoniste joué par Gosling hallucine une licorne, c’est le coup de la grosse mouche à l’arrière de la bagnole, mais en moins fun). C’est une amélioration par rapport à Bullet Train, dont le scénariste a fait du sous-Tarantino au point de me rappeler les pires heures des années 90… mais ce n’est toujours pas ça.

« Ça », c’est un piano bien accordé. « Ça », c’est un cocktail savamment dosé. « Ça », c’est une blague dont la chute cartonne. Comme Bullet Train, The Fall Guy RÊVE de « ça ». Il LUTTE deux heures durant pour l’avoir, pour être COOL, comme le suggère son utilisation beauf de tubes des 80’s censés lui donner un aspect décalé irrésistible, sauf que non (Against All Odds de Phil Collins, vraiment ?!). Il se voit sympatoche, alors qu’il pourrait être TELLEMENT PLUS ! Quelques éclairs d’inspiration lui donnent des ailes. « Nihilism is the sexy bacon ». Le sens de l’humour du montage. Des moments où l’alchimie entre les personnages de son bestiaire et leurs interprètes-BFF brille vraiment. Tout le passage assez cool sur l’usage du split-screen. Le duo trop éphémère que forme Colt avec cet autre personnage de cascadeur joué par le toujours top Winston Duke. Reconnaissons que le divertissement est, grosso modo, divertissant. Mais les éclairs, qui font rire plutôt que vaguement sourire, comme le règlement de compte passif-agressif entre Colt et Jody Moreno sur le tournage de son film de SF, sont trop rares. La satire de l’industrie du cinéma ne casse absolument aucune brique, même pour le spectateur qui n’en attendait pas le mordant d’un The Player ; elle se résume à une enfilade de clichés qui ne surprennent ni n’amusent vraiment. La romance un peu gauche entre le protagoniste Colt et Jody Moreno, elle, est BIEN plus heureuse, on peut même parler d’agréable surprise dans une farce bruyante qui semble parfois plus préoccupée par ses scènes d’action que par ses personnages… mais elle ne peut pas non plus transformer l’eau en vin : la relation entre les deux personnages, quoique touchante et émaillée de beaux moments de comédie, ne suffit à emballer le public, d’abord parce que la jadis somptueuse Emily Blunt s’est fait démolir le portrait au nom de la névrose californienne de la jeunesse éternelle, et que ça se voit gros comme le nez au milieu de la figure, et que ça emmerde le fan d’Edge of Tomorrow que je suis, désolé pour le coup de superficialité (NON, ce à quoi elle ressemble sur l’affiche n’est donc PAS dû à Photoshop), ensuite parce que la progression de la relation n’est pas toujours organique, la faute à un scénario brouillon aux effets mal dosés. Par exemple, l’intrigue criminelle complètement bidon avec Aaron Taylor-Johnson, tout juste un prétexte à une enfilade de « boum-boum », est un modèle de « tout ça pour ça ? ». Par ailleurs, dans TFG, le « boum-boum » se contente généralement de distraire, là où un HOMMAGE au métier de CASCADEUR par le réalisateur de JOHN WICK aurait dû être FARCI de « boum-boum » D’ANTHOLOGIE, aurait dû faire ressentir au cinéphile l’improbable frisson qu’il a ressenti devant le premier Police Story, où Jackie Chan traverse littéralement un bidonville en bagnole ! Au lieu de ça, on a des trucs qui ne ressemblent à rien, comme la baston du night club en survêt fluo, ou encore cette affreuse course-poursuite sur un pont de Sydney, par exemple, avec ses airs à 90% numériques alors que c’est tout l’inverse, soit une atroce ironie de notre époque, ou encore le climax, interminable, où Leitch a dû avoir sacrément confiance en lui pour se dire qu’il ne risquait aucunement d’emmerder son monde.

Du vrai qui a l’air faux

Arrêtons-nous brièvement sur l’ironie susmentionnée. Bien que l’essentiel des cascades ait été réalisé « pour de vrai », avec des cascadeurs accomplissant des prouesses physiques justifiant amplement le visionnage du making-of (Ryan Gosling a même carrément donné de sa personne, pour tordre le cou à l’image de la starlette fragile qu’incarne plutôt bien le personnage de Tom !), certaines scènes de TFG donnent l’impression de voir un de ces films où un max du boulot a été fait en postprod, comme s’il avait été réalisé par George Lucas, par exemple, parce qu’on a l’impression de voir de CGI à TOUS les coins de rue. Cette ironie est d’autant plus frappante que le film est censé célébrer le travail de cascadeurs TOUT, sauf numériques. Et ça ternit l’authenticité de scènes qui auraient dû nous faire écarquiller les yeux, créant un décalage un peu absurde entre l’intention de Leitch et le résultat perçu à l’écran. La question est alors : d’où ? Était-ce… voulu ? Ce couac met en lumière un dilemme moderne du cinéma d’action : la tentation du recours massif aux CGI (quitte à tuer les graphistes à la tâche) pour amplifier l’effet spectaculaire… alors que le tout peut être raisonnablement fait avec des cascades old school. Et ça a pour effet immédiat de diminuer l’impact des performances réelles aux yeux du public, lui rendant difficile de discerner le vrai du faux. En cherchant à rendre les scènes d’action encore plus impressionnantes, TFG finit par intégrer une couche de fausseté qui trahit sa démarche initiale, car la magie des cascades réside avant tout dans leur réalité tangible. C’est pourquoi l’hypothèse selon laquelle Leitch aurait orchestré cela à dessein parait peu réaliste. L’excès d’effets spéciaux peut nuire à l’expérience cinématographique, un vétéran comme lui ne peut qu’en être conscient. TFG aurait pu bénéficier d’une approche plus subtile, en utilisant les effets numériques UNIQUEMENT pour compléter et sécuriser les scènes, sans les dominer, à la Mad Max: Fury Road ou à la Top Gun: Maverick. Mais de toute évidence, David Leitch n’est ni George Miller, ni Joseph Kosinski…

En fin de compte, The Fall Guy souffre de vouloir être TROP de choses à la fois sans exceller dans aucune. C’est un joli portrait de cascadeur, d’UN cascadeur, dont l’erreur est de vouloir être davantage, BIEN davantage, d’en faire des caisses pour y parvenir, et de louper, faute de vision cohérente, de rigueur, et d’ambition, son hommage à la profession. Un film sympatoche mais oubliable se prenant régulièrement les pieds dans son exécution bancale. Le don de Leitch à trousser de l’entertainment haut en couleurs est indéniable, mais sans une intrigue et une base narrative solides, des personnages correctement développés, une identité visuelle aussi claire que son envie d’amuser, et, accessoirement, un propos, c’est un film qui ne dépassera pas le seuil du « moui, c’était sympa ». Il se passe quelque chose d’étrange quand démarre le générique de fin, une des quelques vraies réussites du film : d’un côté, on apprécie de voir cet assemblage généreux de scènes de tournage donnant un aperçu de ce qu’ont accompli les cascadeurs sur ce film qui leur est dédié ; de l’autre, on trouve étrange d’en tirer plus de plaisir que de la plupart de scènes d’action de The Fall Guy. En gros : la profession méritait mieux, David Leitch.

Notes

– Au rayon couacs scénaristiques : durant la grande scène d’action finale, le personnage de Ryder hésite à tuer Colt parce que ce dernier serait « son meilleur cascadeur ». N’était-il pas prêt à le faire brûler vif, quelques scènes plus tôt…? Je dis ça, je dis rien, hein.
– Ryan Gosling ne ressemble pas un peu beaucoup à Philippe Lacheau, dans ce film ?
– Ci-dessous, quelques jolies captures d’écran.

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