Critiques

Terminator Dark Fate (+ vlog)

Selon Terminator Dark Fate, l’avenir est sombre. C’est dans son titre, d’une originalité foudroyante. Y a moyen que le film de Tim Miller soit un chef-d’œuvre méta… si le « destin sombre » dont il parle est, en fait, celui d’Hollywood. Parce que s’il y en a qui pédalent sévèrement dans la semoule à l’heure actuelle, ce sont les petits cocaïnomanes des studios. Terminator Dark Fate est présenté comme le meilleur opus de la saga depuis le grandiosissime deuxième par ses promoteurs, sans doute un peu galvanisés par les encouragements de papy Cameron, qui a affirmé la supériorité de ce nouvel opus sur les précédents, qu’il s’agit d’un retour aux sources… en espérant que personne ne se rappellera qu’il avait dit la même chose de Terminator Genisys, en 2014. Hum. Allez vous faire voir chez les Grecs, leur répondent à raison les détracteurs du film, avec toute l’animosité du gars qui en a marre qu’on se foute de sa gueule. Ce truc est un viol ! Un nouveau ! Personnellement, j’ai un peu failli le boycotter. Mais je suis faible. Enfin, au moins, je me suis fait un avis.

Lien vers mon vlog consacré à Terminator Dark Fate

2019, c’est pas 1991.

Et ma première impression est queeeeee Dark Fate est bourré de problèmes. Le premier est qu’il prétend être un retour aux sources, passant au sanibroyeur les trois précédents volets de la saga comme s’ils avaient été d’infâmes insultes, sans se donner les moyens de ses ambitions, si bien que ces prétentions deviennent vite un gros bâton tendu pour bien se faire battre. « Vous vous souvenez des deux premiers films ? Eh bien, me voilà ! », dit-il. Te voilà, vraiment ? Ok. On va te comparer à eux, du coup. Et là, sans surprise, patatras.

Dark Fate est un monument de conformisme, un reconditionnement de l’intrigue du Jugement Dernier avec trois GROS trains de retard, et où rien ne marche. La supersoldate révèle à la Latina qu’elle vient du futur, que ce futur est une robot-apocalypse, et que ladite minette va jouer un rôle déterminant dans la résistance humaine, et quelle est sa réaction ? Pas très loin de… « oh, ok. Comme dans les précédents Terminator, quoi ? ». Dans les deux premiers film, l’évocation même de l’avenir post-apocalyptique était angoissante. Le premier Terminator avait des accents horrifiques, et l’antagoniste du deuxième avait quelque chose de délicieusement sinistre ; le Rev-9, méchant de cet opus-ci, manque autant de charisme que son interprète Gabriel Luna, lui-même à peu près aussi charismatique que Diego (pas son frère), ce qui en dit long, mais il manque aussi d’une aura. Même la terminatrix de Terminator 3 : Le soulèvement des machines, était plus menaçante ! La direction artistique du film pue notre décennie du recyclage : en plus du terminator noir (tan-tan-taaaan), on voit dans un aperçu du futur une sorte de machine avec des tentacules toute droit sortie de Matrix. T2, Cameron, à son acmé, a fait sauter les standards du film d’action hollywoodien ; Dark Fate ne fait rien sauter du tout, n’atteignant pas même la moyenne des productions Marvel. (…) Rien que « Legion », c’est pourri, comme nom, comparé à Skynet. Nulle crise de nostalgie, ici : 2019 n’est juste pas 1991, et Tim Miller n’est juste pas James Cameron.

Un emballage bien fragile

Le précédent film de Miller, Deadpool, est fun, mais il ne laissait en rien croire que le gars avait les épaules pour mettre en scène un pareil film. Deadpool n’a absolument RIEN de virtuose dans la forme, OR, un Terminator se revendiquant le « vrai » troisième volet en avait besoin, de virtuosité. Et au final, on a presque l’inverse. Le réalisateur ne s’en sort pas bien mieux que celui de Terminator Genysis, Alan Taylor, autre faiseur passé par Marvel comme par hasard, avec Thor 2. Passées les vingt premières minutes, qui ont une certaine gueule, avec l’arrivée mouvementée de la protectrice et sa première confrontation au Rev-9, où les mandales ont un impact, ça commencera à patiner pour ne pas s’arrêter : en matière de spectaculaire, la mise en scène ne convaincra jamais plus vraiment, livrant des scènes d’action souvent brouillonnes, peinant à respirer à cause d’un montage « surcuté », parfois mal découpées, plombées par des doublures numériques trop visibles… et pas vraiment aidé non plus par des scénaristes qui ont trop maté les Fast & Furious. La scène illisible du zéro gravité dans l’avion-cargo, le parachutage de la jeep tout droit sorti de F&F7Le Jugement dernier envoyait l’artillerie lourde, mais son action, tout en étant mille fois plus spectaculaire que celle de Dark Fate, n’en faisait jamais TROP. Avec le dernier acte de Dark Fate, on bascule dans la bouillie digitalo-hystérique, dans les airs, dans l’eau… mon dieu, ce passage dans l’eau.

L’absence d’identité musicale forte illustre elle aussi très bien l’insipidité de l’entreprise. J’aime bien Junkie XL, mais le gars n’est pas arrivé à la cheville de Brad Fiedel, sur ce coup. Depuis Terminator 3, aucun compositeur n’a réussi à faire oublier les fulgurances métalliques des deux premières BO. Certains comparent Dark Fate à Star Wars : Le Réveil de la force en ce qu’il est, lui aussi, un nouvel opus pompant éhontément l’intrigue et même certaines scènes de ce qui a glorieusement précédé. Mais si Le Réveil de la force manquait cruellement d’originalité, il était au moins porté par le savoir-faire d’Abrams, anti-visionnaire, mais excellent faiseur. Au risque d’étonner certains, j’affirme garder un meilleur souvenir des Sarah Connor Chronicles que de ce film en matière de spectaculaire.

Comme un air de déjà vu

J’ai traité le scénario du présent film de « reconditionnement » de celui de T2 – à un détail près sur lequel je reviendrai. Tout est prévisible, parce que déjà vu. Grace, la protectrice, est une version augmentée – et vaguement féminine – de Kyle Reese. La protégée Dani est un mix insipide de Sarah Connor et de John Connor. Le Rev-9 est comme la version emo chicanos d’un T-1000. Bien sûr, ce n’est pas le premier Terminator à recycler l’intrigue du premier volet : Cameron lui-même l’a fait avec Le Jugement dernier ! Mais c’était la première fois, ça avait du sens, et ça aurait dû s’arrêter là. Les volets suivants, eux, ont banalisé le dispositif, avec le temps, et se sont soumis à un fétichisme de fanboys – and girls. Dans Renaissance, c’est John Connor qui dit « I’ll be back »… et Kyle Reese qui dit « come with me if you want to live »… dans Genisys, c’est Sarah Connor qui prononce ces mots à Reese… et plus le temps passe, plus c’est artificiel. « I’ll be back », dit cette fois-ci Sarah Connor ! « Tes parents adoptifs s… euh, ton père est mort » ! « I won’t be back ! », précise cette fois-ci le T-800 : ouais, ça devient un peu lourd, là, quand même.

En parlant du T-800, ou plutôt T-850, ce dernier se résume à un ressort comique. Certes, l’humour était présent dans T2, et ça frôlait parfois la limite dans T3, mais il n’avait jamais été QUE ça, dans les précédents volets. Ce n’était pas qu’un bouffon. On parle du putain de véhicule en acier trempé de la franchise, transformé ici en foutu drapier laveur de vaisselle et buveur de coronas (sic) ! Bref, on ne parle plus d’hommages méta, mais de flagrante impuissance créatrice… celle de notre époque.

Terminator en réduction

En plus de manquer d’originalité à une exception, le scénario de Dark Fate ne vole, lui non plus, pas bien haut. Alors que la narration des deux premiers films étaient des modèles de fluidité, celle de Dark Fate est sens-dessus-dessous, trop dispersée pour impliquer émotionnellement le spectateur et développer convenablement ses personnages. Le scénario souffre de passages à vide, comme la traversée de la frontière avec le gentil passeur mexicain (re-sic), et paume carrément son chemin à quelques reprises, la palme revenant à la sous-intrigue de la bombe à impulsion électromagnétique qui ne sert À RIEN. La progression dramatique est si bancale que le « climax » dans le barrage ressemble à une énième scène d’action. Si le Rev-9 est un échec, c’est aussi parce qu’il a été mal écrit. Son côté 2-en-1, dont la logique n’est jamais expliquée, fait plus gadget qu’autre chose, sa capacité de dédoublement ne le rendant pas bieeen plus dangereux que ça. Et que fait Dark Fate dans ses quelques temps morts ? Un peu n’importe quoi. Je vous ai dit que le T-800 ne sert ici à rien ? Le pire arrive quand le film décide de lui donner une « famille » pour l’étoffer un peu… idée intéressante en théorie, ici traitée tellement par-dessus la jambe que ça en est ridicule.

Le film tente piteusement de se donner une substance. L’idée de mettre les travailleurs mexicains au chômage à cause de l’automatisation, en gros, des robots, est la seule idée… disons, substantielle : les robots, le futur, tout ça. C’est sans doute les raisons du titre du film : quoiqu’elle fasse, l’espèce humaine prise dans le piège de l’assistanat technologique finira tôt ou tard avec une saloperie comme Skynet dans les pattes, quel que soit son nom. Le problème, c’est que ce constat n’apportera rien au schmilblick.

Cynical Fate

Et puis, si Dark Fate mérite son titre, c’est pour une autre raison… : son assassinat de John Connor. Oui, oui, je sais. Jamais je n’aurais cru écrire un truc pareil.

Bon. Théoriquement, il n’y a pas de MAUVAISE IDÉE, euh, en soi (si ?). La mise en scène de la mort du personnage, au tout début, avec rajeunissement digital et tout le tralala, produit son petit effet. À partir de là, de deux choses l’une : soit on rejette l’idée-même de le tuer, soit on l’accepte… mais à condition que ça serve à quelque chose. Et ici, quiconque accepte de jouer le jeu avec l’esprit ouvert finira l’expérience avec l’esprit bien, bien refermé. Le deuil de John Connor et le ressentiment de sa mère vis-à-vis du T-800 donnaient à cette dernière un beau potentiel dramatique, mais la mort de John sera traitée par les scénaristes et même par le réalisateur comme secondaire. Incroyable. Il aurait dû y avoir quelque chose de super fort entre Sarah et le T-800, mais c’est bien moins satisfaisant que l’évolution de son attitude vis-à-vis de l’autre T-800 dans T2. Du coup, rien ne justifie cette mort. Genisys en avait fait un méchant, décision déjà bien pourrie ; voilà que Dark Fate le zigouille (c’est quoi, le deal, il y a un plan machiavélique, un complot mondial ?) ! Genisys violait la franchise en faisant de John un antagoniste, mais il semblait l’assumer ; Dark Fate fait à peu près pareil en tuant le John de T2, mais en prétendant revenir aux fondamentaux !

Le retour de Cameron aux commandes commence donc sur un gros « fuck you ». Et dire que ce con avait reproché à Alien 3 de tuer Hicks et Newt !

Sarah Connor, un film à part entière

C’est d’autant plus regrettable que ce qui sauve la partie Sarah Connor, et permet d’apprécier un peu Dark Fate, c’est, sans surprise, Linda Hamilton. Voix rocailleuse, impuissance rageuse, colère ravalée : l’actrice fait le show. Nulle question ici d’ancienne gloire rabougrie dont on aurait préféré garder intact le souvenir ; on se demande plutôt COMMENT grand-mère n’est pas plus souvent au cinéma. Par moments, Hamilton semble carrément jouer dans un AUTRE film, le sien. Disons même que sa lassitude face au spectacle éculé qu’elle endure, c’est un peu celle du spectateur, qui préfèrerait traîner avec elle. Hamilton et Schwarzie en T-800 repentant auraient dû être le cœur du film, en admettant qu’on accepte ce qui les « réunit » ; une sorte de road movie crépusculaire ; ça ne l’est pas, et à la place, on n’a trop peu. Ce qui ne veut pas dire RIEN, attention, car ils ne sont pas LES SEULS à divertir le public : applaudissons donc McKenzie Davis, de la jolie série Halt & Catch Fire. Si la partie « road movie » du film fonctionne, c’est grâce à Hamilton ET elle, même si la tension entre leurs personnages au début est un peu artificielle. La jeune actrice finit par toucher dans le rôle de Grace, ce qui n’était pas du tout gagné pour moi, qui craignais un fantasme féministe de guerrière invulnérable : on a, in fine, un personnage à la fois crédible en combattante ET vulnérable, très bien joué sur les deux plans par son interprète. Rien à voir avec la Latina, quoi.

« Où sont les femmes ? », qu’il disait

En parlant de féminisme et de Latina. J’ai évoqué la politique. On peut trouver ça parfaitement naturel à notre époque, voire annonciateur d’un avenir radieux, difficile de nier cette dimension dans un Terminator garanti 0% de testostérone, les deux seules figures « masculines » étant des robots : avouez que ce n’est pas très subtil. Exit les histoires d’amour avec des bôgosses virils, et même la moindre référence à un mec. Pourquoi ? Parce que ce que les anglophones appellent « empowerment ». Un des énormes plantages des scénaristes de Dark Fate est d’avoir pris pour un super twist leur révélation que Dani, la minette, est en fait la future libératrice plutôt que la mère du futur libérateur : ouais, non, désolé les gars, on le voyait venir à mille kilomètres, votre truc, puisque les personnages ne parlent JAMAIS de l’hypothétique progéniture de Dani. Le silence de la protectrice à ce sujet est justifié de façon assez ridicule – elle avait peur de brusquer la pauvre choute. En fait, ça semble n’avoir qu’UNE utilité, purement idéologique : « the future is female ». C’est elle, la « jefe » ! Les femmes ne sont pas que des ventres ! Hallelujah !

Sauf que personne n’a dit le contraire. Surtout pas les premiers Terminator. En fait, Dark Fate parait le négatif photo de ces films. La Sarah Connor du premier film était authentique, sa progression crédible ; la chica de Dark Fate, elle passe en 48h de hamster sans histoire à super-castagneuse auteure d’un carton plein avec un fusil d’assaut trois fois trop gros pour elle. Autant dire qu’elle et son interprète Natalia Reyes forment LE maillon le plus faible du film, le miscast devenant carrément douloureux lorsque Reyes apparaît en chef de guerre galvaniseur – là, j’ai eu l’impression de mater un show de la CW. Et que Sarah Connor OSE dire, à la fin, « she’s John » ? Sérieusement ? Et on ose répéter « tu ne dois pas mourir, Dani, tu es la clef du futur, Dani ! », dans un film qui a flingué John Connor ? Tant qu’à faire, la Moon Bloodgood de Renaissance aurait été mille fois plus crédible qu’elle. Terminator n’est pas une saga politique – et je fais une distinction avec ce que peut avoir de politique le propos original sur l’IA. Si les premiers films étaient « féministes », alors on parle de quelque chose de bien moins forcé que ce qu’on a là… quelque chose qui n’est pas contaminé par une idéologie.

 

Le meilleur Terminator depuis T2, entends-je… ?

Deux-trois mots à l’adresse de ceux qui voient dans Dark Fate le « meilleur film de la saga depuis Terminator 2 ». Je vais me faire l’avocat non pas du Diable, mais de trois films houspillés. Déjà, ceux qui le comparent au Jugement dernier devraient, euh, REVOIR T2… à l’âge adulte, peut-être, je ne sais pas. Ensuite… c’est pas si simple que ça. Le Soulèvement des machines était un divertissement fort honorable, dont je rematerai plus volontiers la course-poursuite en camion que celle du début de Dark Fate, et surtout, il se finissait quand même sur un « bang », cet excellent twist de fin, bien amené, qui osait enfin le saut de l’ange dans l’apocalypse. Renaissance nous montrait ce que les fans attendaient depuis vingt-cinq ans, John Connor face aux machines dans un déluge pyrotechnique old school, avec, en bonus, le personnage intéressant de Marcus, qui apportait quelque chose de neuf au cirque – s’il avait marché, peut-être l’avenir de la saga aurait été moins… dark ? Genisys, c’était de la fanfic grand-guignolesque d’adolescent moins malin qu’imaginatif, MAIS c’était plus généreux en action que Dark Fate, comme pour compenser sa crétinerie, ET il essayait au moins d’être un peu à la page des dangers de la technologie !

Dark Fate, avec sa prétention de revenir à un âge d’or dont il n’est CLAIREMENT pas digne, n’a même pas ça. Oui, il est supérieur au délire d’Alan Taylor, et il l’est PEUT-ÊTRE aussi au trop austère Renaissance, mais ça ne saute même pas aux yeux. Et ça se joue de peu avec Le Soulèvement des machines. Je trouverais même ce dernier supérieur s’il avait ramené Linda Hamilton – parce que la mort de Sarah Connor dans le film ne servait à rien. Chacun de ces films a son lot d’idées foireuses.

Dans tous les cas, on tient là un énième cas de suite en trop, et une énième manifestation de l’impasse créative dans laquelle est piégée la saga depuis quinze ans. Vous voulez une VRAIE fin à la saga Terminator ? Matez la fin alternative de l’édition spéciale de Terminator 2, qui montre une Sarah Connor épanouie en grand-mère en temps de paix ; la guerre est finie, elle n’a pas besoin d’être artificiellement rebootée. Oh, et… onc’ James, quand est-ce que tu vas plutôt nous ramener Michael Biehn au cinéma, au fait ? Plutôt que de zigouiller des idoles ?

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