Spider-Man : No Way Home
Peut-être faut-il être davantage en phase avec notre époque que je ne le suis pour trouver… pas seulement mérité, mais carrément logique le carton de Spider-Man: No Way Home. UN carton, c’est parfaitement compréhensible. On avait Marvel et son désormais fameux « MCU », plus encore la star que les stars hollywoodiennes qu’il réunit. On avait la conclusion d’une trilogie consacrée à l’un des superhéros les plus populaires de tous les temps, l’homme-araignée, dont les deux précédents opus avaient cartonné, puisque, eh bien, des films du MCU. On avait l’immense soif de blockbusters en une année jusqu’alors à peine moins pourrie pour l’industrie cinématographique que 2020 l’avait été : Black Widow, opus en retard de plusieurs années, avait été un non-événement, Shang-Chi n’avait pas donné naissance à une future STAR des Avengers en dépit de son succès commercial acceptable dans cette conjoncture, similairement à The Eternals, qui ne laissera derrière lui qu’une trace ténue. Que le film fasse un carton était inévitable. C’est ça : UN carton. Ça n’aurait pas été exactement mérité, comme c’est le cas de la plupart des films du MCU à mon sens, mais ça se serait tenu. Pas LE carton.
Un nouveau paradigme bien craignos
D’aucuns diront que c’était inévitable, pour toutes les raisons précitées, bien sûr, mais aussi à cause du changement de paradigme amené par l’ère des plateformes, dont l’avènement a été accéléré par la visite-surprise du COVID et appuyé par le fait que dans le domaine des blockbusters, le MCU est devenu, en dix ans, the only game in town ou presque (la baisse de revenus due à la fermeture des salles n’y changeant rien) : la sortie de Spider-Man: No Way Home n’était pas « juste » la sortie d’un film ; c’était un événement socioculturel, a fortiori pour la génération Z qui a grandi avec.
Donc, oui, un changement de paradigme, rien que ça. Et ne possible tragédie dans l’histoire du septième art selon les plus réacs d’entre nous, dont je fais partie, laissant se profiler un avenir où les salles de cinéma ne sortiraient plus que des gros machins pour survivre et où la majorité des petites ou moyennes productions devraient compter sur les plateformes pour exister. Les magazines, et pas seulement ceux de cinéma, je pense aussi à l’excellent dossier du numéro de Books de février, se sont suffisamment répandus sur les échecs douloureux des grosses productions n’étant PAS des films de superhéros, du Dernier Duel à Matrix Resurrection en passant par Nightmare Alley et West Side Story – auxquels s’ajoutent celui, très injuste, de The Suicide Squad, soit un film de superhéros, mais un interdit aux moins de dix-sept ans aux USA et flingué par sa sortie hybride (salles ET plateforme). Peut-être est-ce en partie une affaire de mauvaise promo. Peut-être les jeunes ont-ils le cerveau grillé. Mais… à ce point-là ? LE carton ?!
J’étais pourtant ouvert
Parce que soyons francs, Spider-Man: No Way Home est tout, sauf un chef-d’oeuvre. Et j’y suis allé avec la meilleure volonté du monde. Je peux être super bonne poire avec ce genre de films, ne les mettant pas tous dans le même panier comme Martin Scorsese l’a fait, animé par un dédain très peu inspiré (qu’on trouve ça scandaleux ou non, un Black Panther n’est pas MOINS du cinéma qu’un Fenêtre sur cour, la grammaire est la même). Si la majorité des films du MCU sont à mon sens médiocres, j’en placerais peut-être une minorité dans des tops annuels, comme le premier Iron Man, le premier Avengers, ou encore Captain America : Le Soldat de l’hiver. Les deux premiers films Spider-Man de la trilogie avec le terne Tom Holland ne m’avaient pas emballé, on était loin de la maîtrise et du caractère des deux premiers Spider-Man de Sam Raimi, mais c’était du divertissement regardable, je leur ai donné de justesse la moyenne sur Sens Critique. J’y suis allé l’esprit ouvert. Et comme craint, Marvel aura décidément bien merdé jusqu’au bout, en cette année censée marquer le début d’une nouvelle ère, avec son insipide Black Widow que ne méritait certainement pas Scarlett (le film aurait de toute façon dû se faire dix ans plus tôt, avec la Scarlett d’Iron Man 2), son Shang-chi à moitié ruiné par son dernier acte aux airs de pudding numérique, ses Éternels mous du genou, et maintenant, ÇA – Loki étant probablement sa seule réussite de l’année, mais ce n’est pas du cinéma, bien que la frontière entre les deux soit de plus en plus poreuse (certains voient les films du MCU comme les épisodes de la série la plus chère de tous les temps). En gros…
Coup de gueule
Avec le film de Jon Watts, réalisateur des TROIS opus de la trilogie, situation assez rare dont a émergé une continuité… mais une continuité dans la fadeur, on retrouve les défauts standards du film MCU. D’abord, la mise en scène du gars, justement, qui est atrocement générique : rien ne dépassera, rien ne ressortira, ladite fadeur sautant aux yeux, les agressant presque sexuellement (phénomène scientifiquement avéré) lors du combat entre notre valeureux homme-araignée et le Bouffon vert face auquel on ne peut que douloureusement regretter que Sam Raimi n’ait pas été aux commandes. Ensuite, l’humour potache, à la « American Pie » mais sans l’obsession lubrique, ici plus lourd que vraiment drôle : on pouvait s’attendre à l’habituelle overdose contractuelle de blagounettes, mais dans le film de Watts, 90% font plouf, et pas seulement avec ce pauvre sidekick de Ned. Le coup de la mémé asiat’ un peu énervée qui chouine non-stop dans sa langue, on nous l’a fait combien de fois, dans la comédie US ? Et dire qu’un des deux scénaristes du film, Chris McKenna, a écrit d’excellents épisodes de Community ! Nommons en troisième l’absence non seulement inexpliquée mais carrément ignorée des autres Avengers…
Puisqu’on parle de l’écriture, paf l’araignée. L’idée que le MONDE, ok, pas littéralement, mais ça en donne sacrément l’impression, se retourne contre Peter Parker en UNE manipulation (celle de Mysterio, un des quelques arguments de Spider-Man: Far From Home puisqu’interprété par Jake Gyllenhaal), dans l’univers du MCU, après tout ce que le personnage de Spider-Man, un des Avengers, a fait pour le MONDE : autant ça marche avec Batman à la fin de The Dark Knight, autant ici, ça ne tient pas trois secondes. Il en est de même pour l’élément déclencheur de l’intrigue, le désir aussi soudain qu’irrationnel de Peter, transformé en Oui-oui, de « sauver » des super-méchants au péril d’un paquet de vies humaines considérant leurs pouvoirs, et des n’appartenant même pas à sa galaxie (!), le petit gars allant carrément jusqu’à se battre contre Dr Strange, qui aurait dû lui régler son compte en cinq secondes chrono mais le scénario n’en est pas à un bug près, dans une scène face à laquelle tout spectateur doué de raison ne pourra qu’avoir la même réaction que Strange, un supermassif « WTF ? », mais à l’intention des scénaristes. Le Spider-Man de Tobey Maguire suggèrera même, texto, que guérir les méchants, c’est ce que les superhéros font : désolé, mais encore une fois… non ? Un super-héros n’est pas censé être débile, ça devrait être une règle d’or. Plein de choses font soupirer gravement, dans No Way Home. Donner un pouvoir à Ned est une autre idée pourrie, par exemple : d’une, l’acteur a le charisme d’un castor empaillé, il tient à peine en tant que sympathique sidekick ; de deux, peut-être le truc a-t-il son explication tirée par les cheveux dans le comic, on s’en contrefout, c’est le film qu’on regarde, et dans le film, que le mecton soit soudain capable de manier son pouvoir magique OKLM n’a aucun sens. TOUT LE MONDE il a des pouvoirs, comme le suggérait déjà l’autrement brillant Spider-Man: Into The Spider-verse dans un accès de connerie monstre ! Non. La banalisation du superhéros dessert son idée même. Les superhéros sont un peu les équivalents, dans nos sociétés matérialistes et athées, des dieux de la Grèce antique. Si tout le monde a des superpouvoirs, avoir des superpouvoirs ne veut plus rien dire. Peut-être, sans doute Chris McKenna a-t-il eu moins de libertés dans l’écriture du film que dans l’écriture d’un épisode de sitcom. Ou peut-être écrire le scénario d’un ambitieux film de superhéros requiert-il plus de talent qu’écrire les pourtant géniaux Conspiracy Theories and Interior Design et Remedial Chaos Theory ?
Assurément, tout n’est pas à jeter. Difficile pour le cinéphile amateur de cinéma popcorn et connaisseur des précédents films Spider-Man de ne pas tirer un minimum de plaisir du retour des précédents Spider-Men, joués par Tobey Maguire et Andrew Garfield. Il faudra « juste » ignorer cette autre supermassive incohérence qu’est le fait qu’ils n’ont pas tous la même tête alors qu’ils ont le même nom, les mêmes origines, et le même pouvoir (ce n’est pas comme ça qu’un multiverse marche, les gens) : parce que leur retour, ainsi que celui des super-méchants, est généreux, riche en méta, et pour le coup fort amusant (on doit probablement à cette partie les 10% d’humour qui fonctionne), et de ce fait le seul VRAI argument de vente du film, il vaut mieux ignorer cette incohérence, ne serait-ce qu’au nom du bon vieux temps — les mômes semblent aduler le film dans son intégralité, mais toute cette partie parait quand même faite pour attirer les trentenaires et quadragénaires nostalgiques. À ce titre, Andrew Garfield, probablement le meilleur acteur des trois acteurs qui ont interprété Spider-Man (et je dis ça en amateur de la première trilogie), est aussi le meilleur élément du film avec Willem Dafoe : l’acteur fait passer plus de choses dans le temps qui lui est imparti que Tom Holland en deux heures, et la scène où il sauve MJ est un très beau rappel de la mort de Gwen Stacy dans The Amazing Spider-Man : Le Destin d’un héros (mauvais film de super-héros, romcom qui se défend), autrement plus émouvant que celle de tante May survenue un peu plus tôt dans le film (sic), malgré le talent limité de Zendaya.
En fait, à la question « Whassup, doc ? », No Way Home n’a d’intéressant à raconter QUE sa convocation méta de la mythologie Marvel. Son exécution formelle fera DANS L’ENSEMBLE suffisamment le job à défaut d’avoir du caractère, pour que ça marchotte. Le reste sera d’un conventionnel déprimant. Face au climax, qui se déroule au sommet de la statue de la Liberté, me trottait dans l’esprit : « Euh, j’ai le premier X-Men au téléphone, il a deux, trois mots à dire sur cette scène » ; peut-être les scénaristes comptaient-ils sur le fait que la génération Z ignore un film vieux de vingt ans ? Allez savoir. J’ai évoqué plus haut trois clichés du film de superhéros Marvel que sont le formatage formel, la mise en scène, la photographie et la direction artistique de plupart des opus du MCU étant parfaitement interchangeables – raison pour laquelle le Thor : Ragnarok de Taika Waititi a été une si bonne surprise pour tout le monde. Avec le final susmentionné, on en tient un quatrième, évoqué lui aussi très brièvement dans ma pique contre Shang-Chi : un climax bien bruyant et saturé d’effets numériques plus ou moins inspirés (en plus de se situer, ici, dans une réalité où ni la police, ni l’armée semblent exister, à moins qu’elles ne se déplacent en charrette et en barque au nom de leur bilan carbone). Et encore, le boum-boum final de Shang-Chi était lisible, alors que toute l’action de la statue de la liberté manque de lisibilité, un des moments où la mise en scène de Watts ne s’est pas contentée d’être fade.
L’image de ce dernier n’a pas de profondeur. Quand Dr Strange tente d’enfermer Peter dans une « dimension miroir » qui déforme le décor new-yorkais, c’est censé en mettre plein la vue, comme dans Inception… mais ici, ça laisse étrangement froid. Ce n’est pas mal foutu, hein. Ce sont juste des pixels. Vous savez quoi ? Le Spider-Man 3 de Sam Raimi a beau pâtir d’une écriture brouillonne et être par instant ridicule, il n’en reste pas moins bien supérieur à un No Way Home. Je continue de rappeler combien c’était mieux avant ? Le dernier plan de No Way Home, où Spider-Man voltige entre les tours de New-York est sans appel : ça avait plus de gueule il y a vingt ans, avec les effets spéciaux d’il y a vingt ans, et c’est moins un hommage que l’aveu d’impuissance créatrice d’un cinéma faux-jeton.
On revient alors au scénario de Spider-Man : Far From Home avec le meilleur que j’avais gardé pour la fin : la fin. La fin, la fin, la fin. Le dénouement, quoi. Que d’aucuns appelleraient le TWIST. Comment dire ? Si twist il y a, c’est la révélation que TOUS les responsables du film, dont d’autres ratés du scénario indiquaient déjà la grande paresse intellectuelle, ont, en fait, perdu la boule. On dirait volontiers que cette fin transcende la raison si elle n’était pas juste débile, à la placer dans top 10 des égarements scénaristiques de l’histoire des blockbusters : il y a tellement de choses qui ne marchent pas, d’un point de vue logique, dans cette anonymisation de Peter Parker exigeant que toute trace de sa vie dans le parcours des autres personnages, ainsi que toute trace audiovisuelle de sa présence, disparaisse en douceur, que le « on s’en fout, c’est un film de superhéros » ne marche pas. Ne peut pas marcher. Est à des kilomètres de marcher. Et c’est d’autant plus révoltant qu’au bout du compte, au lieu d’assumer les actions passées, le MCU suggère qu’il suffit de tout effacer, hop. Rien que cette fin tire le film sous la moyenne. Désolé, film.
Le MCU en a toujours fait des tonnes à son propre sujet. Sa façon d’être fasciné par sa propre mythologie n’a rien de nouveau. Pourtant, la chose ne m’avait jamais à ce point sauté aux yeux, et je n’avais jamais à ce point ressenti combien ces films sont, avant tout, destinés à un public de gamins. De cette génération qui a grandi avec eux et font un Everest de TOUT ce qui s’y passe – un événement sociopolitique, on vous dit. Eux, No Way Home ne pouvait que les endorm… euh, les aveugler par sa brillance, pour le meilleur et pour le pire, surtout le pire, qui est de le placer à la soixante-huitième place du top IMDb des meilleurs films de tous les temps dans un accès de fanatisme incontrôlé. LE CARTON. Putain d’époque.
Notes :
– Un gaspillage de J.K. Simmons dans une énième parodie caricaturale au possible d’Alex Jones, alors qu’il marchait si bien dans la première trilogie : dur.
– En parlant d’anciens personnages… : il est où, au fait, Oncle Ben ?