Critiques

Peninsula (+ vlog)

Bon… c’était un peu pourri, non ? Moi je trouve que c’était un peu pourri. Ça m’a déprimé pour la journée, je dirai même carrément. L’objet du délit : Peninsula, suite du sensationnel Dernier Train pour Busan, film de zombie ferroviaire qui avait excellentissimement revigoré le genre en 2016… suite en sorte de spin-off, si l’on veut, puisqu’on n’y retrouve pas les survivants du premier, mais y fait plutôt un bond de quatre ans pour suivre un groupe de Coréens exilés à Hong-Kong retournant dans leur archipel infesté pour y voler des millions laissés en plan. Oui, parce que seule la Corée du sud est touchée. En d’autres termes, la Corée du Nord a ENFIN servi à quelque chose. Contrairement à cette suite.

Lien vers mon vlog consacré à Peninsula

 

 

La peur, c’était mieux avant !

Dernier Train pour Busan… amateur de zombies, si tu ne l’as pas vu, tu sais ce qu’il te reste à faire. Le film avait trois forces : son décor, un train lancé à toute vitesse, son action en quasi-temps réel, et ses zombies sprinteurs. Il y a deux écoles, dans le film de morts-vivants : l’école Lexomil, choisie le plus souvent, comme par le classique La Nuit des morts-vivants où encore par la série The Walking Dead, où le zombie est un boulet décati avançant en faisant « beuaaaaah », et l’école Red Bull, popularisée par 28 Jours plus tard, et qu’a notamment suivie l’injustement boudé World War Z, en 2013. Autant dire que là, les chances de survie chutent vertigineusement (si The Walking Dead avait été à cette école, la série aurait tenu trois épisodes), et cette vélocité, couplée au temps d’incubation dérisoire, étaient parfaitement adaptée à Busan. L’horreur y était viscérale, le spectateur n’avait pas le temps de penser la situation, cette dernière lui tombait dessus. Dans Peninsula, la sauce prend hélas bien moins. Le tout début bénéficie de la tension accumulée par le premier opus… mais en une débandade maritime mal écrite et hystériquement branlée, on comprend très vite que ce qui marchait s’est perdu en route, et que les zombies du film, si nombreux et véloces soient-ils, ne produiront pas du tout le même effet. Que pour l’oppression, on pourrait repasser. Les hordes désarticulées, ça, on y aura droit, mais le scénario en abusera tant, et dans une pénombre un peu lassante à force, qu’à la fin, on sera anesthésié.

Aucun sens

Le cancer du scénario est un mal qui frappe une majorité de films – peu importe l’âge, peu importe le sexe. Le scénario de Peninsula, lui, est en phase terminale de, comme le dire poliment, connerie, connerie qui se manifeste très tôt, dès la débandade susmentionnée. Le pire, c’est que le pitch n’est même pas MAUVAIS en soi. On voit ce qui a pu plaire au studio. L’idée des montagnes de thune laissées vacantes puisqu’il n’y a plus personne dans le coin pour s’y intéresser est pas mal. Dans ce genre de films, on s’en fout, en général, des soussous, puisque le chaos est global et que l’argent de papier ne sert plus à rien… mais pas ici.

La médiocrité du développement s’impose une fois arrivé dans la ville d’Incheon, avec notre groupe de pillards composé aux trois-quarts de boulets uniquement là pour caner ou presque (pourquoi la triade les a envoyés, EUX ?!), et au quart restant d’un héros… indestructible, un peu la version coréenne de John Wick, une balle, un carton, hop, bénéficiant de ce qu’on appelle en anglais un « plot armor » en acier trempé, expression anglaise qu’on peut traduire par « blindage scénaristique » et qui désigne la fâcheuse tendance de rendre un personnage intuable pour les besoins de l’histoire. Jung Seok correspond pile au profil. Et c’est tout ce qu’il a pour lui, en fait, la fiche du personnage tenant sur un ticket de métro, comme tous les autres dans ce film. Seok-woo, le protagoniste de Busan, n’était pas d’une profondeur vertigineuse – pas le temps –, mais il partait au moins d’un point A pour arriver à un point B ; ici, zéro « character development ». Busan avait un semblant de propos sur l’égoïsme, la valeur morale de l’altruisme, le karma… et son insupportable méchant, si caricatural fût-il, servait au moins ce propos. Ici, rien de ça. Les vilains font passer Vil Coyote pour un personnage dostoïevskien – mention au « capitaine » trèèèès charismatique qui n’est pas crédible une seconde en leader post-apocalyptique.

En gros, on peine à croire que les scénaristes de Busan sont derrière ce film, avec sa montagne d’incohérences, ses rebondissements téléphonés, ses morts dont on se contrefout… et son manque d’humour, là où le premier avait au moins l’excellent personnage débonnaire de Sang-hwa.

Mad, Fast & Furious Max

« Mais qu’est-ce que vous nous parlez d’épaisseur des personnages ? Qui du fun ? Hein ?! DU FUN ?! » C’est vrai, ça, le premier film avait un train, pourquoi ne pas faire une suite avec des voiture ?! Moi, je mise tout l’or du Rhin sur un troisième volet dans un avion, avec des zombies à la place des serpents. Blague à part, les gens : Busan, c’était un film de zombies, mais Peninsula, c’est PLUS qu’un film de zombies. TELLEMENT PLUS.

Vue l’énergie débordante des morts-vivants dans le premier film, la version québécoise du titre aurait pu être Des Zombies Rapides et Furieux, mais désormais, pas besoin d’eux pour faire référence à la franchise de Vin Diesel : autour de la trentième minute, le Peninsula amorce une quasi-littérale transmutation en Fast & Furious des morts-vivants avec son adolescente championne de Formule 1. Puis en Mad Max des morts-vivants, un quart d’heure plus tard. Et à partir de là, c’est open bar. Hélas, le problème avec la partie furieuse, c’est que les scènes sont bien trop longues, rarement amusantes, et même parfois affreusement foutraques – je ne sais pas ce qu’a foutu le chef op, peut-être qu’il vivait mal un truc, divorce, perte au black jack, mort du chien, on s’en fout. Et le problème avec la partie Mad, c’est qu’elle est juste, euh, grotesque. L’idée d’un groupe de soldats isolés qui a perdu la boule, parfait, figure connue (d’Apocalypse Now à… 28 jours plus tard !), mais celui-ci relève du gag : d’une, on y trouve zéro femme ou enfant, QUATRE ANS après, une vraie saucisse party, tu m’étonnes qu’ils aient perdue la boule… et de deux, les trouffions en haillons sont débiles au point de jeter dans leur ridicule arène à zombies des étrangers qui pourraient, qui sait ?, servir leur communauté ! Durée de torchage du scénar’, tout au plus : cinq heures et vingt-huit minutes, dispersées sur une quinzaine de jours.

Une suite, pourquoi pas, mais pas celle-là.

Peninsula a, en réalité, tout du film de producteur, c’est-à-dire d’une suite pas du tout prévue par le géniteur du premier opus, ici Yeon Sang-ho, et bricolée uniquement parce que ce dernier a cartonné. Ça se tient : si le Grand capital a été capable de pondre des suites à Carrie et American Psycho, tout est possible. Alors une extension de l’univers de Busan, un Busan Extended Universe, pourquoi pas ? Fallait juste que ce soit bien. Ça ne l’a pas été.

Et autant Yeon Sang-ho avait fait montre d’une sacrée inventivité dans sa mise en scène du premier film, autant il en livre cette fois-ci une passablement larguée, qui peine par exemple à faire exister les décors du film, et souffre d’un découpage raté. Ses fusillades ne sont certes pas illisibles, mais l’effort est gâché par des chorégraphies d’escargot sans imagination. Autre grief, là aussi lié à l’emballage : donner une suite bardée d’armes à feu à un film qui n’en contenait pas une, pourquoi pas, le Alien 2 de James Cameron l’a bien fait… mais là aussi, il fallait de l’inspiration. Le budget confortable du film lui a assuré un standing de production correct pour le genre : Peninsula n’est pas particulièrement beau à voir, mais il est propre visuellement, si l’on omet quelques effets spéciaux numériques ratés. Et… quoi ? C’est censé être assez ? On est en 2020, les gars. Des belles images, c’est pas assez. Des zombies qui courent non plus, clairement.

Bonne nouvelle : tout le monde ou presque semble s’entendre sur la qualité de ce film. Si Peninsula était sorti sans aucun lien avec Busan, d’abord, il n’aurait jamais été sélectionné pour Cannes 2020 (vous savez, celui-là)… et surtout, tout le monde s’en serait foutu, du moins à l’étranger. Hélas, « presented by Busan »… et avec nos cinq sorties par mois sous le régime COVID, qui sait, peut-être que le film va marcher…

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