Critiques

On The Rocks (+ vlog)

On The Rocks est le nouveau film de Sofia Coppola dont vous n’avez peut-être pas entendu parler puisqu’il est sorti sur… AppleTv+, et que voilà où en est le cinéma à l’heure actuelle. Le pitch : Laura, trentenaire, mariée, deux enfants, s’ennuie dans la vie au point de croire que son mari la trompe JUSTE parce qu’il passe un peu trop de temps au boulot. Son père, dragueur aussi friqué que septuagénaire et persuadé que tromperie il y a car les hommes sont tous des obsédés comme lui, va la convaincre de se lancer dans une filature du potentiel obsédé, et rien ne va se passer comme prévu. Ça ne vous a pas échappé : le principal argument de vente du présent film, c’est Sofia Coppola + Bill Murray, seize ans après Lost in Translation (LiT). Un bel argument de vente, du moins pour qui adore ce dernier, comme c’est mon cas. Résultat : très inférieur, hélas, à leur précédente collaboration… mais aussi très loin de l’irritante léthargie d’un Somewhere (le quatrième film de la cinéaste). Distrayant, sympathique, mais sitôt vu, sitôt oublié.

Lien vers mon vlog consacré à On The Rocks

 

Question à vous, lecteurs : qu’est-ce qui est pire ? Que la fille Coppola foire un film bénéficiant d’une bonne visibilité en salle, ou bien qu’elle nous ponde un chef-d’oeuvre tout juste diffusé sur une vulgaire putain de plateforme streaming ? Pas si simple de répondre, hein ?

Petite (et spoileuse) parenthèse perso sur Lost in Translation

Il m’est impossible de consacrer une critique, fût-elle courte, à un film de Sofia Coppola sans revenir brièvement sur son deuxième (après l’acclamé The Virgin Suicides), qui occupe une place spéciale dans mon coeur. The Virgin Suicides m’avait laissé un peu froid : je reconnais son brio, mais lui trouve une froideur qui me le rend difficile d’accès. LiT, c’est autre chose. Ce film avait pas mal clivé, à l’époque de sa sortie, ce qui est rétrospectivement assez étrange pour un film aussi doux. Pour moi, la dernière réplique, ou plutôt NON-réplique (puisqu’on ne l’entend pas) de Bill Murray à ScarJo est emblématique de ce clivage : il y a ceux qui ont trouvé magnifique, limite ensorcelant, que le film garde le mystère sur ces derniers mots, car ce ne sont pas tant eux qui importent que le sentiment qu’ils véhiculent, et qui est, lui, évident ; et il y a ceux qui y ont vu un grand moment de branlette auteurisante, comme tout le film, en fait, qu’ils voient comme une sorte de récréation nombriliste d’une fille à papa qui ne raconte en fin de compte pas grand-chose.

Autant dire que je me trouve dans le premier groupe. LiT n’a rien d’ennuyeux, puisqu’il n’a ABSOLUMENT RIEN de vide : au risque de sonner tarte, c’est un instantané de vie sans prétention aucune, trop occupé à capter des émotions, et des couleurs, et des sons, et à saisir l’essence d’une romance à la fois impossible (allez, Bill, déconne pas), et spirituellement consommée, entre deux personnages aussi joliment brossés que campés (Bill Murray méritait encore plus un Oscar pour cette performance que pour celle de Broken Flowers, et ScarJo était déjà d’un naturel irrésistible). Trop occupé aussi à SAISIR l’atmosphère tokyoïte, à l’aube, de jour, ou en plein coeur des nuits électriques. Je parle bien d’exprimer la ville, et LiT le fait mieux qu’aucun autre à mes yeux (dont ce petit malin de Tokyo Fiancée, jetez-y un œil !). Le tout porté par une BO inoubliable, générationnelle, et beaucoup de grands moments d’humour devant souvent beaucoup à l’impro.

Sofia plan-plan

Un petit Sofia, donc. Un chouïa moins intéressant qu’un petit Francis Ford, ne nous mentons pas, mais ça désole quand même un peu. Bon, ce n’est pas non plus SUPER ÉTONNANT : la réalisatrice ne semble plus avoir grand-chose à dire d’intéressant depuis un moment. Ça se sentait, en fait, dès Marie-Antoinette, le film qui avait pourtant suivi LiT… ça s’est récemment reconfirmé avec son remake des Proies… et si The Bling Ring fonctionne mieux, c’est peut-être parce qu’il traite du vide. Mais justement : on était en droit d’attendre quelque chose d’On The Rocks puisqu’il semblait marquer le retour de la cinéaste dans sa zone de confort. Dans les alentours de LiT, quoi. Peut-être a-t-elle juste été UN PEU TROP confortable, pour le coup.

Bill et Bill.

Aucunement la faute de Bill Murray : il est parfait en homme qui aimait les femmes et n’a même pas besoin d’être à l’image pour être super-cool même s’il est super-vieux. Ce Bill est plus assuré que celui de LiT, qui le mettait en scène paumé car vieillissant alors que celui-ci semble au contraire plutôt bien vivre sa vieillesse. Ses facéties, comme celle auprès des deux agents de police, auraient dû être tout le film. C’est plutôt du côté de Rashida Jones que le bât blesse. Pas de la faute de l’actrice, hein, elle a du talent et pile la bouille qu’il faut pour jouer la fille dépitée par les excès d’un comparse, comme elle le faisait très bien dans Parks & Rec. Il aurait été sympa de voir Scarlett Johansson dans son rôle, symboliquement, ça aurait été intéressant, mais Rashida fait le job. Non, le problème tient au job. Laura fait une héroïne un peu rasoir qui, in fine, sert surtout de « sidekick » au one-man show de Bill/Felix. Le côté pas super sain de leur dynamique a un potentiel, il sera juste insuffisamment exploité.

Quand seule la pellicule a de la profondeur

Du coup, même si le film décolle avec l’arrivée de Bill, ça ne volera hélas jamais BIEN haut. Les vingt minutes qui précèdent ladite arrivée sont une mise en bouche fadasse qui fait un peu l’effet d’un Noah Baumbach (Les Berkman se séparent, Frances Ha, While We’re Young) en moins bien écrit – seule l’ambiance musicale électro-pop rappelle qu’on est dans un Sofia Coppola. La problématique de la lassitude dans le couple est posée très explicitement dès les premières minutes via un sketch de Chris Rock, des répliques mâchent le boulot au spectateur, les scènes suggérant que Dean s’éloigne de Laura font preuve d’à peu près la même absence de finesse, et le personnage inepte joué par la pauvre Jenny Slate peine lui aussi à porter un semblant de propos – pour le coup, la réalisatrice souffre de la comparaison avec l’univers plein de caractère d’une Greta Gerwig, par exemple. Quand commence le troisième acte, on a depuis un moment compris que le film n’ira nulle part de surprenant, et à raison, puisque l’intrigue se résoudra par une révélation finale laaaargement anticipée et un vidage de sac sans éclat.

On aurait souhaité pouvoir s’accrocher aux moments père/fille, mais l’énergie y manque cruellement. Les échanges manquent de pep’s, surtout en comparaison de LiT. Dans LiT, il y avait un semblant de ping-pong entre les deux personnages ; ici, on a juste un vieux hâbleur et sa fille un peu larguée ; dans LiT, le décor était un personnage, ici, New York n’a aucune personnalité. On a la profondeur de la pellicule, très belle photographie de Philippe le Sourd, la pelloche, c’est décidément toujours bon à prendre… mais c’est bien la seule profondeur à laquelle on aura droit. Au risque de paraître dur, on ne gardera de la forme que le plan de la larme dans le martini, qui aurait bien eu sa place dans LiT, d’ailleurs… Et puis, quand Billou ne fait pas de blague, son personnage sert surtout à catalyser les interrogations existentielles de la réalisatrice via des monologues un peu aléatoires, cf. tous les moments où le père étale sa culture sur l’histoire de l’attirance entre les deux sexes, l’histoire du caviar, l’histoire des bonobos et des astronautes, l’histoire de ci, l’histoire de ça… plus des bouche-trous qu’autre chose.

Un petit quelque chose sur les pères

Sur une note positive, On The Rocks dit quelque chose de vaguement intéressant lorsqu’il rappelle la réalité fondamentale que les enfants doivent, une fois adultes, s’émanciper de leurs parents, MAIS AUSSI que les parents doivent, de leur côté, embrasser cette émancipation. Avoir un père ou une mère avec qui l’on s’entend super bien ne vaudra jamais la présence d’une compagne ou d’un compagnon. Donc, si le film fonctionne un tant soit peu et mérite la clémence, ce n’est pas en tant que dramédie quelconque sur une femme qui croit à l’infidélité de son mari, mais sur un père qui doit accepter que sa fille « est » à quelqu’un d’autre. Dommage que Sofia Coppola ait bien lourdement explicité le truc dès la première réplique du film…

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