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Mon top 10 de l’année 2020 (+ vlog)

2020. 2020, 2020, 2020. Établir un top des dix plus grosses couilles qui sont arrivées au monde en cette maudite année, ou année maudite ? Pas de problème. Établir un top des dix meilleurs films sortis en la pire année de l’histoire pour la production cinématographique ? Quelques problèmes. Suffisamment pour que je n’en trouve que neuf méritant, à mon sens, d’intégrer un top 10 annuel, ce qui m’a forcé, hérésie de toutes les hérésies, à dénicher un film alors pas encore sorti chez nous pour compléter, soit une GROSSE entorse à ma tradition, croyez-moi. Je ne cherche pas à vous dissuader de me lire, hein. Les dix films de cette liste valent tous d’être vus, et avec attention, et avec un goût pour le septième art d’autant plus prononcé qu’il n’a jamais été si fragile. Je demande juste à être admiré pour mon effort. Bon, assez dit de conneries.

Lien vers mon vlog consacré à mon top de l’année 2020

10. PLAY

Commençons en douceur avec le petit film français Play, d’Anthony Marciano. On a vu moins ambitieux que cette compilation de trente ans de moments d’amitié enregistrés par le protagoniste avec ses divers appareils, de l’analogique au numérique. Et on a vu pari moins réussi, sur tous les plans, y compris sur les plans formel et logistique. La plupart des enregistrements seront contextuellement justifiés, contrairement à ce qui arrive souvent dans le répertoire du « found-footage », et l’ensemble, très bien agencé. Faisons simple. Premier acte avec les copains tout mômes, au début des années 90 : sensationnel, une restitution aussi divertissante que troublante de l’expérience intime de millions de cinéphiles de cette génération, encore plus soignée et inventive que le 90’s de Jonah Hill. Second acte dans les années 2000, l’époque du lycée et des études : un peu moins convaincant, notamment à cause d’un protagoniste un chouïa moins bien incarné et d’une écriture un peu moins inspirée. Mais quand vient le troisième, dans les années 2010, avec nos copains passés trentenaires et un peu largués, ça fonctionne de nouveau du tonnerre, notamment parce que Max Boulébile et son personnage d’adulescent un peu redondant sortent de la caricature, évolution positive culminant dans un dénouement amoureux qui marche très bien.

Au bout du compte, ce groupe de copains sonne vrai, ce qui était l’essentiel à atteindre, mais aussi porteur d’un vrai propos sur cette insensée capacité de la jeunesse à ne jamais être totalement consciente d’elle-même, et sur l’impitoyable mécanique de fabrication et destruction, souvent discrète, des liens d’amitié. Tout naturellement, au cœur de ce foutoir générationnel se trouve le lumineux objet de l’affection du protagoniste, joué par la toujours parfaite Alice Isaaz, dont la bouille juvénile lui a permis de jouer son personnage sur deux des trois époques, contrairement à tous les autres acteurs, et ça a bien aidé. Au risque de paraître mélodramatique, elle incarne avec force et fragilité le souvenir encore vif de cette fille qu’on a tous aimé au lycée. Play (Lecture, c’était trop ringard ?) est un film qui parlera plus spécialement à la génération 80, qu’il envahira inévitablement de nostalgie… mais dont le propos sur la trentaine parlera à quiconque a eu, eh bien, la trentaine. De préférence pendant dix ans.

9. DANS UN JARDIN QU’ON DIRAIT ÉTERNEL

C’est japonais… ça parle d’apprentissage de la cérémonie du thé… le néophyte POURRAIT croire qu’il va s’emmerder… ce serait se gourrer. Dans un jardin qu’on dirait éternel, titre français délirant d’un film intitulé, littéralement, « chaque jour est un bon jour », est un film… peinard. Désolé, on a fait plus sophistiqué comme choix de mot, mais c’est ce que j’ai ressenti. Allez, on peut dire aussi : discret. Rafraichissant. À un drame familial près, il n’arrivera rien de spectaculaire à l’héroïne, tout juste son attachement à ne jamais cesser d’être ELLE-MÊME, le plus en harmonie possible avec ce à quoi cette fille sans histoire aspire, donner un sens à sa vie via sa passion pour la cérémonie du thé. On aura bien droit, à un moment, à une scène où sera pratiquée intégralement ladite cérémonie (vous avez bien entendu). Mais d’une, ce sera au cœur d’un film plein d’enthousiasme qui saura, qui PARVIENDRA, à rendre ludiques bien des étapes de cette cérémonie. Un enthousiasme confondu dans celui du personnage de la sensei, pourvoyeuse de la majorité des moments d’humour, jouée par la légendaire Kiki Kirin, dans son ultime rôle au cinéma, dont la bonhommie irrésistible sera restée intacte jusqu’à la toute fin de sa vie. Et de deux, ce moment d’ascèse ne fera qu’exprimer la force tranquille de l’instant où l’héroïne se sentira enfin épanouie. Sans avoir la beauté formelle du cinéma de Kawase Naomi (Shara, La Forêt de Mogari), le film d’Ômori Tatsushi ne manquera jamais d’illustrer avec grâce cette force.

Le message du film est celui de son titre original. Sa force tranquille tient en bonne partie à la clarté de son discours sur la tradition, notion bêtement subversive chez nous, qui est pourtant le fondement des cultures, donc des peuples, donc des personnes, comme l’héroïne, qui trouve un sens à sa vie dans l’ordre, comme la forme rigoureuse de la cérémonie du thé est ce dans quoi l’on peut puiser la spiritualité. Oui, soyons clair, c’est un film conservateur. Japonais, quoi. Et ? Vous voulez quoi ? Du Sex Education H24 ?

8. ONDINE

Quand Ondine apprend que son compagnon la quitte, elle menace de le tuer, en vain. Abandonnée, elle retrouve cependant vite l’amour auprès du scaphandrier Christoph. Mais un mythe ancien semble la rattraper, lui murmurant de mettre sa menace à exécution, et la rapprochant mystérieusement des eaux. L’hypnotisant Ondine a été réalisé par l’Allemand Christian Petzold, à qui l’on doit notamment l’impressionnant Phoenix, sorti en 2015. Plutôt que d’adapter le conte éponyme et original de 1811, ce dernier s’est inspiré de ce qu’en a fait l’écrivaine féministe Ingeborg Bachman, c’est-à-dire l’histoire contée à travers les yeux de l’ondine, esprit élémentaire des eaux dans la mythologie germanique cherchant l’amour pour être pourvue d’une âme, puis a cuisiné l’histoire à sa sauce pour un résultat aussi intellectuel que sensoriel. Il a surtout fait de son ondine une jeune historienne spécialisée dans la ville de Berlin, à qui il a donné plusieurs longs monologues sur l’histoire de la ville, qui finissent par faire sens car cette dernière a été construite sur d’anciens marais et figure donc son monde dont elle a été expulsée.

Sa dimension de drame mythologique mise de côté, le film fonctionne très bien en tant que « simple » histoire d’amour. L’homme que l’ondine originale tue parce qu’il l’a quittée est ici secondaire ; celui qui compte dans le film, c’est le scaphandrier Christoph, parce que ce qui a intéressé Petzold, c’est Ondine prenant son destin en main en AIMANT… activement, si je puis dire, alors que dans le conte, elle subissait les événements dans un esprit fataliste. Cette fois-ci, elle essaie avec un autre homme, un qui, lui, n’est pas vraiment du genre à l’abandonner, et le résultat est merveilleux : on ne peut qu’être saisi par l’alchimie entre les deux acteurs, Franz Rogowski dans le rôle du scaphandrier, et, tout naturellement, la magnifique Paula Beer dans le rôle de l’ondine, à la fois fascinante d’inaccessibilité et parfaite en fille qui n’a pour monde que son homme (au passage, on peut l’apprécier dans l’excellente série Bad Banks). Le film mérite amplement qu’on lui pardonne sa lenteur, pour s’imprégner plutôt de son atmosphère, de ses scènes sous-marines absolument envoûtantes, et de son romantisme tragique, accompagné dans un grand moment d’inspiration par le sublimement mélancolique Concerto pour clavecin en ré mineur de Jean-Sébastien Bach. La conjugaison de ces qualités fait notamment une fin aussi bouleversante qu’inoubliable.

7. PALM SPRINGS

Sarah fait la rencontre de Nyles lors de la soirée de mariage de sa soeur. Après une amorce de coup d’un soir interrompu par un dangereux étranger, elle se réveille… le matin du jour dudit mariage. La voilà à son tour piégée dans une de ces fameuses boucles temporelles en compagnie d’un Nyles qui, lui, s’est résigné depuis longtemps… Avec Palm Springs, nous arrivons à l’exception inédite en France de ce top. Qui n’aurait jamais dû l’être, inédit en France. Il y a des films qui ne sont pas des chefs-d’œuvre, et pour lesquels on a malgré tout un coup de foudre – et non, au diable cette ridicule expression de plaisir coupable. Pas comme si le sentiment vous était étranger, hein…

Le premier accomplissement de Palm Springs, c’est d’avoir rappelé au cinéphile blasé que le filon de la boucle temporelle n’est miraculeusement PAS encore épuisé. Le tonitruant film d’action/SF de Tom Cruise Edge of Tomorrow avait montré qu’y ajouter un deuxième personnage fait toute la différence en terme de dynamique, et c’est encore plus vrai pour une romcom. Dans Un jour sans fin, le personnage joué par Andie McDowell restait à la ramasse jusqu’à la fin, ce qui n’aidait pas vraiment à le rendre captivant ; ici, le héros blasé se trouve accompagné d’une nana pugnace qui, elle, refusera de vivre coincée éternellement. Dans le rôle de Nyles, Andy Samberg (Brooklyn Nine-Nine) fait du Samberg, et BIEN, jusqu’à un certain point dramatique où il montrera même qu’il SAIT jouer, mais c’est surtout la ravissante Cristin Milioti (la fameuse mother gaspillée dans How I Met Your Mother) et ses grands yeux noirs diablement expressifs qui s’imposent dans le domaine humoristique, et ce très tôt, dès sa réaction perplexe à la danse de Nyles dans une des premières scènes du film (ce n’est pas un hasard si je l’appelle « Miss Grandsyeux #02 » après Amanda Seyfried et Anya Taylor-Joy, je sais, vous vous en tamponnez le coquillard). L’extrême compatibilité des deux acteurs, dotés de timings comiques similaires, rend aussi irrésistibles la partie rom que la partie com. C’est vif, souvent sarcastique, toujours chaleureux.

J’ai entendu un type qualifier le film d’« Un jour sans fin avec des piña colada ». C’est ça… mais pas que. Le discours sur la responsabilité et la beauté de l’instant présent qu’extraie du concept le réalisateur inconnu au bataillon Max Barbakow fait du film quelque chose de PLUS qu’une romcom sans ambition, rappelant un peu en cela Il était temps. Le film n’est pas sans une certaine gravité, qui fait par exemple totalement sens dans le cas de Nyles, incapable de se souvenir du travail qu’il faisait – après tout, on parle de personnages qui ont tenté une multitude de suicides. Et puis il y a les dinosaures. En bref, c’est un film TRÈS revisionnable, ce qui tombe bien, pour un film sur une boucle temporelle. Oh, et l’addition de J.K. Simmons en chasseur bougon est parfaitement adaptée à cette ravissante loufoquerie.

6. SOUL

Solide cru Pixar. Pas parfait, mais suffisamment impressionnant artisanalement et original pour surprendre en bien. Ces cinq dernières années, PROLIFIQUES pour le studio, ne m’avaient que très rarement impressionné, peu importe les critiques en pamoison : à l’exception du merveilleux Coco, tout ce que je voyais, c’était des spectacles toujours remarquablement foutus, pour des résultats tantôt divertissant (Les Indestructibles 2, Toy Story 4), tantôt ratés (Le Monde de Dory, Cars 3), et de plus en plus formatés (‘pas vu En Avant, aucune envie). Puis est arrivé cet OVNI sur un aspirant-pianiste de jazz quadra qui refuse sa mort accidentelle et fuit l’Au-delà. Avertissement : si vous vous lancez dedans en espérant vous poiler comme une mouette… évitez. Vous rirez, notamment à l’apparition d’un certain chat mal luné qui, à mi-chemin, m’a fait penser « Ah, C’EST du Pixar ! », mais Soul est une comédie dramatique dont la profondeur de la réflexion sur l’harmonie de l’âme dépasse de loin le nombre de gags. Je le voyais venir : il a été co-réalisé par Pete Docter, à qui l’on doit la réalisation ET le scénario des deux meilleurs Pixar à mon sens, en tout cas les plus mâtures, que sont Là-haut et le brillantissime Vice-versa, qui est la raison pour laquelle j’ai écrit « ces cinq dernières années », et dont Soul peut d’ailleurs être vu comme un cousin spirituel. Un cousin moins brillant, sans surprise : Soul n’est pas Vice-versa, film dont on aura du mal à égaler le mélange de charge émotionnelle, d’efficacité comique, et d’inventivité saisissante. Bon, avant de clore la partie négative, toute la présentation du « Grand Avant » au début m’a fait un peu peur, j’ai trouvé ça laborieux, rien à voir avec l’aisance avec laquelle Vice-versa nous avait plongé dans son monde… jusqu’à l’arrivée du personnage de 22, petite âme qui ne saisit pas l’intérêt de vivre une vie humaine, moment où le film décolle avec la formation du duo. La suite, et surtout le dernier acte, sont une immense et bouleversante réussite.

Comme tous les grands Pixar, la beauté du fond parvient miraculeusement à faire oublier la maestria technique – et là, on a pourtant une direction artistique aussi inspirée que l’animation est parfaite, il suffit de voir les scènes où le héros joue du piano. J’ai parlé de la réflexion : ça ne réinvente pas la roue, car au final, tout ce que le film dit est qu’aimer la vie, c’est tirer du plaisir des choses les plus élémentaires, le soleil, le vent, le sourire d’un enfant… mais, air connu, ce qui est fort, c’est la FAÇON dont c’est exprimé. Une façon qui lui donne : une âme. Le film aurait gagné à être un peu plus long pour développer proprement ses concepts et être un CHEF-D’ŒUVRE, mais son cœur, et la prouesse d’avoir rendu l’intangible un tant soi peu tangible, lui suffisent à triompher… comme son optimisme triomphe du pessimisme actuel.

5. MADRE

Dix ans se sont écoulés depuis que le fils d’Elena, alors âgé de six ans, a disparu. Incapable de faire son deuil, cette dernière a tout quitté pour mener une vie solitaire dans une ville balnéaire française. Un jour, elle y croise le chemin d’un lycéen français qui lui rappelle Ivan… Il m’était difficile de rater ce film tant j’ai adoré les deux précédents du réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen que sont l’impitoyable polar Que Dios Nos Perdone, détenteur d’un des antagonistes les plus haïssables de l’histoire du cinéma, et le thriller politique virtuose El Reino – si vous l’avez loupé, veuillez réparer cette erreur séance tenante sous peine de supplice de la cuillère. Que dire, sinon que ce nouveau grand nom du cinéma espagnol a encore frappé ?

Je m’attendais à une intrigue où le mystère planerait autour de l’ado : est-ce son fils, n’est-ce pas son fils ? Quelque chose de similaire à ce film avec Michelle Pfeiffer, Aussi profond que l’océan. Mais non, zéro mystère, ici, ce n’est pas son fils. Enfin, zéro mystère, sinon celui des sentiments de l’héroïne… légèrement risqués. Sorogoyen et son actrice, extraordinaire Marta Nieto, s’imposent d’entrée de jeu avec, en guise d’ouverture, un éprouvant plan-séquence de quinze minutes où l’héroïne entend la voix de son fils pour la dernière fois. Le reste du film sera plus posé, souvent en plans fixes parce qu’en phase avec l’état de vide psychologique de l’héroïne, hors du temps, les yeux rivés à cette mer carnassière, incapable de faire son deuil, car voilà ce que représente pour elle la mer… sauf lors de ses rencontres avec Jean, où la caméra se meut de nouveau, car Madre est, avant tout, une histoire d’amour. Mais l’héroïne n’est pas une stalkeuse : l’obsession sera réciproque – ça se tient, je veux dire, vous l’avez vue ? – et les sentiments seront purs. En résulte un film à la fois ambigu et moralement irréprochable parce que ce qu’il filme passionnément, c’est la touchante IMPOSSIBILITÉ d’une relation, et cette pureté lui permet d’être tragique sans être négatif (c’est-à-dire… déprimant). Madre, dont je louerai également la langueur qui m’a envoûté deux heures durant, n’est pas sans défaut, mais il a cette rare qualité d’être unique, donc complètement imprévisible, donc une véritable expérience.

Oh, en revanche, à l’ado au boucles folles : quand on cause avec une étrangère qui ne maîtrise de toute évidence pas pleinement la langue, on ne bouffe pas la moitié de ses mots, on ne parle pas de son « daron », ou encore de « ken » quelqu’un. Qui que ce soit, en fait. Voilà, merci pour les suivantes.

4. L’ADIEU

Voilà un film très touchant, dont je n’attendais pas grand-chose, réalisé par l’Américaine d’origine chinoise Lulu Wang, dont je n’ai pas vu les précédents films (et qui est maquée avec Barry Jenkins, pour la partie Closer). Un film qui m’a surpris par la justesse des sentiments qu’il dépeint, sans que la barrière culturelle ne parasite quoique ce soit comme on aurait pu le craindre puisque la tradition y est importante. C’est UN PEU longuet par moments, le film aurait gagné à causer un peu moins, prenons par exemple le non-stop de la petite mémé rêvée de la protagoniste, mais ces ratés n’entament rien de l’humanité poignante dont est pétri L’Adieu, sa pudeur, et… Awkwafina, dont l’apparence un peu cartoonesque (épaules rentrées, démarche chaloupée, voix de fumeuse éraillée) (la voix, pas la fumeuse), qui a FAIT toute sa carrière de comédienne, décuple ici la force dramatique de sa performance, et fait donc de son casting un coup de maître.

Il y a plein de moments très forts entre elle et son entourage, tous très bien caractérisés, à commencer par le père joué par Tzi Ma (le diabolique Chinois de 24h chrono !), d’autant plus que le « drama » se double d’une réflexion très intéressante sur la légitimité de la Tradition et la place de l’individu dans le collectif – ça nous fait un beau moment de « choc » culturel avec l’opposition entre l’individualisme de l’Ouest et le holisme de l’Est (« You think one’s life belongs to oneself, but that’s the difference between the East and the West, in the East, a person’s life is part of a whole »). On pourra trouver superflu l’épilogue, happy end artificiel parce qu’hors de la réalité de l’action du film dont on avait tiré une émotion satisfaisante (la réalité de l’action du film n’est pas la réalité dont il est adapté)… mais au moins, ça rappelle qu’il vaut justement mieux ne pas prendre pour acquis les moments que l’on passe auprès de ses proches. C’est humain, digne, et surtout, touchant de bout en bout sans sortir les gros violons, même si Wang a accordé une place considérable à la musique, par ailleurs très bien choisie. En somme… familles : aimez-vous. Oui, même vous, là-bas, on vous a repérés.

3. LA COMMUNION

Daniel, en taule pour une agression idiote, y vit une transformation spirituelle aussi intense qu’inattendue. Las ! Son casier judiciaire lui interdit d’entrer en séminaire. Mais quand l’occasion se présente pour lui de se faire passer pour le nouveau prêtre d’une petite paroisse de campagne à la faveur d’un malentendu, il décide de la saisir… Autre grande surprise, cette fois-ci venue de Pologne (le foutoir de 2020 aura au moins joué en faveur des petits films), qui brasse beaucoup de sujets, de la fragilité de la foi aux dommages collatéraux du deuil, avec une économie de moyens qui poussera à l’humilité le spectateur le plus narcissique, humble comme cette petite paroisse baignant dans une lumière blafarde et désaturée, pour un résultat sans chichis, assez peu musical, mais JAMAIS austère.

Vous l’avez deviné, La Communion est TOUT, sauf un film anti-religieux – il est polonais, hein. Sa subversivité est pondérée. Au fil du cheminement psychologique du protagoniste, le film rappelle combien l’habit de prêtre peut transformer ce dernier en gourou, mais aussi tout le bien qu’il pouvait faire, endossé par la bonne personne, dans les sociétés traditionnelles, lorsqu’il jouait le rôle… du psy via la confession, par exemple (ça fait sens, non ?). Daniel est un personnage fascinant, joué par un Bartosz Bielenia qui l’est tout autant, boule de nerfs que seule sa vocation semble pouvoir sauver : il puise dans la lumière de Dieu traversant les vitraux toute l’énergie vitale qui fait de lui un apport positif à la communauté. Corpus Christi, titre original du film, a beau avoir une sacrée gueule – quoique c’est aussi le nom d’une ville de l’état d’Alabama, j’dis ça, j’dis rien –, je trouve pour une fois le titre français supérieur à l’original parce qu’il est encore plus raccord avec le sujet du film et a plusieurs niveaux de lecture (par exemple, la communion peut être celle dans laquelle entre enfin le protagoniste avec lui-même). À un moment, tel l’homme qui voulut être roi, Daniel finit par se perdre dans son mensonge, par le croire, une croyance qui irradie ses grands yeux bleus hallucinés, et c’est un étoffement bienvenu parce qu’on finissait par oublier la raison pour laquelle il avait fini en prison, révélée très habilement. J’aurais aimé un dénouement plus développé, concluant proprement la très discrète relation avec la fille… mais bien qu’abrupte, la fin-coup de poing, au message ambivalent, balaie ce grief avec éclat.

2. DRUNK

Après Soul… Saoul.

Préambule d’utilité publique : dans l’expression « alcool joyeux », au moins un des deux mots est une arnaque. Transparence totale, elle aussi d’utilité publique : je ne suis pas fan du cinéma de Thomas Vinterberg. Je détestais l’esthétique du dogme depuis mes études de cinéma, et La Chasse, un peu la 2ème chance que j’ai donné au gars, m’avait refroidi par son misérabilisme après un bon départ. En fait, cette 3ème chance n’a tenu qu’à une chose : la bande-annonce du présent film, formidable, parce qu’entre autre, pas trompeuse, contrairement à la plupart des bandes-annonces. Son sujet, l’alcoolisme, aura RAREMENT été aussi puissamment traité, notamment parce qu’il déborde sur une variété de sujets aussi vaste que la dépression de nos protagonistes. Les « bienfaits » de l’alcool sont l’objet de l’essai de Nicolaj, collègue de Martin (interprété par un Mads Mikkelsen comme d’habitude sidérant), et la majeure partie de la narration est construite sur cet essai : ça a l’air con, comme ça, mais l’idée est excellente, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Le double-moteur du film est A) la désastreuse tentative des personnages de rationaliser leur alcoolisme (« Voyez tous ces grands hommes qui se bourraient la gueule ! » « Tenez, une nouvelle étude publiée par telle université ! »), exprimée via des dialogues toujours inspirés, parfois hilarants… enfin, dans la 1ère partie, la 2nde étant un chouïa plus pesante, et B) son pertinent propos sur la lassitude de nos sociétés en possible fin de vie. Nos protagonistes, des gens éduqués, ont la connaissance, mais il leur manque l’énergie d’en faire quelque chose, pire, d’en voir l’utilité… en d’autres termes, il leur manque la PASSION, et c’est pourquoi ils boivent, pour DEVENIR leur John Keating, le personnage joué par Robin Williams dans Le Cercle des poètes disparus… mais John Keating n’avait pas besoin boire, lui.

« Ne pas oser, c’est se perdre soi-même », dit un personnage. Peut-être le défi ultime de la vie est-il de devenir ce qu’on aspire à être sans avoir besoin de rien d’autre que soi ? Enfin, de soi, et des amis ? Parce qu’un peu comme Play mais dans un autre registre, Drunk est une très belle peinture d’amitiés ; sans cela, de toute façon, le film n’aurait pas marché sur le plan dramaturgique, et le message ne serait donc pas passé.

Après, Drunk a-t-il seulement un message ? L’alcoolisme cause certes des ravages, mais que dit Vinterberg de l’ALCOOL en lui-même ? Dit-il quelque chose, avec ce final faussement gai et vraiment troublant, dont l’arrêt sur image du dernier plan laisse patiner l’imagination du spectateur ? Son protagoniste s’émancipe-t-il enfin en renouant avec son amour de la danse dans un élan positif, ou bien… est-ce sa dernière danse ? C’est ambigu. Tout est ambigu, dans ce film, de toute façon. Mais plutôt que de voir dans cette ambiguïté une facilité, comme l’ont fait certains, voyons-y une lucidité qui n’empêche pas le combat. Et dans tous les cas, Drunk n’est pas à l’alcool ce que Requiem for a dream ou Trainspotting furent à l’héroïne, ça devait être dit.

1. 1917

France, première guerre mondiale. Un bataillon anglais s’apprête à tomber dans un piège tendu par l’armée allemande. Les communications étant rompues, deux soldats ont pour mission d’aller avertir son commandement, qui se trouve derrière les lignes ennemies… En gros, il faut sauver TOUS les soldats Ryan. Chef-d’œuvre. Chef-d’oeuvre à l’intrigue d’une simplicité narrative remarquable : c’est la guerre, deux personnages doivent traverser un territoire hostile d’un point A à un point B, simple comme bonjour (ou adieu), le talent fait le reste, TOUT le reste.

1917 a beaucoup fait parler de lui à sa sortie pour sa prouesse technique de donner l’impression au spectateur de suivre en temps réel, sans coupes, ses protagonistes deux heures durant. On parle ici d’impression car le film est, en réalité, bourré de coupes dissimulées, mais bien que ce dernier ne soit donc pas un plan-séquence réel à la Victoria, et soit ainsi qualifiable de « faux » plan-séquence, c’en est un somptueusement faux, à l’image du sensationnel Birdman, car il reste un assemblage de PLUS OU MOINS courts plans-séquence qui sont, en eux-mêmes, des prouesses (cet exercice apparait même désormais dans la fiction télé, cf. les brillants faux plans séquences de l’épisode 1×07 de The Haunting of Hill House et du 3×05 de Mr Robot, par exemple). Bref. Cette fixette sur l’aspect technique du film a poussé certains esprits chagrins à dire que sans cela, ce dernier ne serait pas aussi encensé. On a envie de répondre que d’une, eh bien, oui, c’est vrai, et alors ? Et de deux, ça n’est certainement pas que ça.

J’ai débattu de ça à plusieurs reprises : 1917 contre Dunkerque. Désolé aux défenseurs de Nolan et aux critiques snobs du présent film, mais on se fout royalement des personnages du premier. Le film de Sam Mendes, mon préféré du cinéaste depuis Les Sentiers de la perdition (désolé, James), est un spectacle somptueux, à la fois ultra-réaliste et ponctué d’élans lyriques et poétiques renversants comme ce ballet d’ombres sur les ruines d’un village, mais c’est aussi une odyssée d’une grande force dramaturgique parce qu’encore une fois, on ne se fout PAS de ce qui se déroule à l’échelle individuelle, parce qu’on y est rivé aux épaules des deux protagonistes comme on l’est au plancher des vaches. Parce que Mendes a eu l’inspiration de filmer cette histoire à hauteur d’homme, ce dès l’intimidante première sortie des tranchées (rarement a-t-on autant ressenti en images le no man’s land). C’est presque un film à la première personne (bien qu’il ait deux protagonistes). Oui, on est happé, très vite et tout du long, par cet incroyable récit de survie où l’homme, peu importe son héroïsme, semble avoir pour constant ennemi l’univers entier, le ciel et la terre s’acharnant contre lui, cherchant le salut dans l’enfer de la guerre. Pas convaincu au tout début par les deux acteurs, auxquels je trouvais un charisme, disons, limité, je me suis retrouvé, deux heures plus tard, à courir mentalement comme un dératé au côté d’un d’eux dans un sprint final héroïque qui est un des moments les plus exaltants que j’ai pu vivre dans une salle de cinéma… happé par la mise en scène de Mendes et la photographie de Deakins, et aussi impliqué émotionnellement qu’humainement possible.

Mentions à :

The King of Staten Island, drame indé amerloque très mal vendu (quelle affiche pourrie) et sorti à un très mauvais moment (juillet 2020) alors que malgré ses petits défauts, comme sa longueur, c’est le meilleur film de Judd Apatow, fort de sa flagrante dimension biographique, de son éloge du parrainage, avec la figure paternelle jouée par le génial et très politiquement incorrect humoriste Bill Burr, et de la performance de Pete Davidson, né pour jouer les rôles d’adulescents un peu dérangés. Un divan à Tunis, épatante excentricité tunisienne dont la sexy en diable Golshifteh Farahani et l’humour désopilant m’ont instantanément charmé ; face au divan de sa réalisatrice, je me suis pris plein de fois à penser « hé, mais c’est super original, ça ! ». Effacer l’historique, 1er film du duo Delépine/Kervern auquel j’ai accroché, avec sa maîtrise des comiques de répétition et de geste, ses références souvent bien senties à notre quotidien de consommateurs perdus, et une Blanche Gardin en roue libre, accessible, donc, sans que le duo n’ait pour autant édulcoré leur cinéma joyeusement anar. La Dernière vie de Simon, petit film fantastique français sous l’influence directe du cinéma US des années 80, passé complètement inaperçu alors qu’il vaut le coup d’œil, ne serait-ce que parce que son héros est… un « shape-shifter » (créature pouvant changer de forme). UN « SHAPE-SHIFTER » dans un film français, les gars !!! Hum. Également pour sa première partie avec les enfants, adorable et emballante, à laquelle accrocheront pas mal d’amateurs de E.T. & compagnie, et pour son dernier acte assez aventureux. Enfin, Boss Level, autre inédit en France, et second coup de jeune de la présente liste au concept de boucle temporelle (‘pas fait exprès), un délire d’action non-stop SUPÉRIEUREMENT ludique réalisé par le très compétent Joe Carnahan, assez proche d’un précédent film du gars que je recommande presque autant, Stretch, mais entièrement dédié, lui, à l’esprit du jeu vidéo auquel il a tout compris… et avec Mel Gibson en boss de fin de jeu. Que demander de plus ?

Bref.

Voilà l’ami, c’était mon top 10 de cette année bien pourrie. Mais… deux films américains, un film anglais, un danois, un polonais, un chinois, un espagnol, un allemand, un japonais, un français… serais-je un bobo cosmopolite, te demandes-tu peut-être ? Jamais. Si le calendrier des sorties de l’année avait été respecté, mon top aurait été rempli aux trois-quarts de blockbusters hollywoodiens, genre, trois Marvel, deux DC… bon, blague à part, je me suis effectivement efforcé de voir la plupart des sorties encensées par la critique pour que mon top ait le plus de sens, et comme je l’ai dit plus tôt, le carnage de 2020 a profité aux petits machins confidentiels, MAIS certains de ces films ovationnés n’ont eu aucune chance d’intégrer ce top… comme Uncut Gems, par exemple, qui m’a bien plus horripilé que captivé, ou encore le Mank de Fincher, que j’ai VOULU adorer, hein, mais on n’adore pas du cinéma-musée. Oh, et Tenet… mmmmh… on ne va rien dire à ce sujet, vous êtes d’accord ? Ils sont d’accord. Pour finir, j’aurais probablement placé l’adorable Jojo Rabbit, en queue de classement, si je ne lui avais pas déjà dédié un vlog : il fallait que je parle d’un autre film, par goût pour la diversité. Si ce n’est pas beau tout ça.

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