Critiques

John Wick

On va faire simple : John Wick déchire sa maman. Mais bien, hein. Il y a la façon de faire. Quand on aime parler de films pendant des heures, et lire des critiques longues de huit pages A4 écrites en police 6, et qu’à la sortie d’une séance, on ne trouve pourtant qu’une poignée de mots pas très compliqués à dire, du type « ça déchire sa maman », c’est que le film a rempli sa mission : faire un carton plein. À la John Woo. Enfin, quand il faisait des cartons pleins. Carton plein : meilleur film de vengeance que nous a offert le cinéma US des années 2000. Vous trouverez un peu plus bas quelques arguments vantant les qualités techniques et l’ingéniosité du scénario sous ses dehors génériques (eux avoir tué chienchien, moi tuer eux), mais on citera en premier… ce que les gens branchés appellent la « vibe ». La vibe de John Wick, c’est : pro, mais cool. Et pas un cool ensoleillé comme ceux de Pulp Fiction ou Get Shorty, hein, non, un cool East Coast, un qui ne prend PAS la vie à la légère, sans pour autant oublier de réajuster sa cravate après une fusillade bien salissante – à la James Bond, sans le sourire en coin. L’essentiel, ce qui fait la garantie sur facture du spectacle John Wick, réside dans le fait qu’à quelques RARES exceptions près, dont la somme atteindra tout au plus la minute (la mort fondatrice du chien, la torture de Marcus…), il ne se prendra jamais vraiment au sérieux… tout en prenant parfaitement au sérieux le sérieux limite cardiaque de son personnage principal, joué de façon bien physique par un Keanu Reeves joliment concentré. Parce que sinon, ce n’est pas marrant. La réaction de l’antagoniste à la seule mention du NOM de John Wick, résumable par un « oh… » hilarant, met la puce à l’oreille : bien que film de vengeance implacable, John Wick ne s’inscrira pas, en tant que film de vengeance, dans la lignée de tragédies bien pesantes comme Un Justicier dans la ville, Hors de contrôle (avec Mel Gibson), ou Death Sentence (avec Kevin Bacon). En parlant de Mel Gibson, John Wick peut être vu comme une version réussie d’un AUTRE film de vengeance se voulant lui aussi pro, mais cool : le Payback de Brian Helgeland. Même antihéros descendant les méchants pourtant super-charismatiques avant qu’ils n’aient le temps de finir leurs tirades pourtant super-chiadées, même flegme urbain… scénario plus malin.

Ce qui fait la coolitude de John Wick, personnage cool au point de filmer ses vidéos en position horizontale (cf. les vidéos de sa défunte épouse au bord de la mer), est donc ce mix de sérieux parfois brutal, d’humour noir, et de zen en phase avec la personnalité de sa star. Un humour décalé qui prend parfois par surprise, parce que cool n’égale pas forcément « méta ». L’hôtel à assassins est sans doute le plus génial exemple de cet esprit de liberté qui caractérise le scénario. On se dit « il est con, le gars, il arrive armé jusqu’aux dents dans un hôtel rempli de gens, la direction va appeler les flics en deux temps trois mouvements », puis on réalise que le concierge reste de marbre parce qu’il en a vu d’autres (génial Lance Reddick), et là, on se retrouve dans le cas de figure trop rare où le popcorneur, extatique, se dit « non, ils n’ont pas fait ça ! ». Alors que si, John Wick a FAIT ça. Et le film assumera cette idée d’hôtel jusqu’au bout, dans un premier degré parfaitement second degré.

Littéralement libéré par sa nature de série B dont le seul objectif est de divertir en étant le plus possible lui-même, le scénario de Derek Kolstad assume tous les codes, et joue toutes les cartes du genre avec une ingénuité et une efficacité incroyablement rafraîchissantes. Ici, la simplicité n’est pas malintentionnée. Ici, la simplicité est notre amie. En faisant mourir un adorable petit chienchien (1) dans le premier acte du film, elle pose à la vitesse d’une balle au galop un personnage en parfaite ordure qu’on a envie de voir crever la gueule ouverte alors qu’on le connait depuis à peine deux minutes, là où un autre film en aurait pris dix.

Lui aussi désinhibé, le casting de John Wick communique au spectateur cette ingénuité ludique avec un incroyable entrain : feu-Michael Nyqvist en vieux gangster fatigué de ne pas pouvoir être tranquille cinq minutes, Alfie Allen en jeune prince dégénéré (quasiment le même que dans Game of Thrones, en fait), Willem Dafoe en joker insaisissable, le grand Ian McShane en deus ex-machina, Dean Winters en hilarant bras droit se demandant régulièrement ce qu’il fout avec ces tarés de Russes (« Fucking Russians ! »)… et, bien sûr, le grand Keanu, quasiment ressuscité en ce coeur des années 2010 parce qu’ENFIN dirigé par des mecs qui ont su COMMENT l’exploiter correctement. Au regard de tous ces arguments, on peut regretter l’échec DU personnage féminin, Ms. Perkins, seul vrai défaut du film, pas assez étoffé, joué par une Adrianne « Friday Night Lights » Palicki belle à voir mais un peu terne, et retiré de l’équation un chouïa trop facilement. Tant qu’à faire, John Wick aurait dû assumer la carte du bestiaire exclusivement masculin (d’autant plus que le film ne joue pas la carte du racolage en déshabillant sa tueuse !), aux personnages tombant comme des mouches pour une histoire de… défunte épouse, la femme jouant toujours un rôle, dans toute tragédie, partout, même lorsqu’elle est clamsée et/ou hors-champ.

Mais peu importe quelques menus ratés scénaristiques : Kolstad a surtout ouvert un boulevard au duo de réalisateurs, Stahelski et un David Leitch non crédité, dont c’était la première réalisation. Une première fois, il ne fallait rien de moins que ça à un genre à bout de souffle : en plus d’être un des meilleurs films de vengeance de récente mémoire, John Wick est un des festivals d’action les plus jubilatoires que le cinéma US a eu la générosité de nous offrir… parce que Stahelski et Leitch ont orchestré leur opéra balistique d’une façon pareille à nulle autre, en phase avec leur expérience de cascadeurs chevronnés. Pour qu’un assassin fictif ne rate pas sa cible, il faut que ses chorégraphes l’emploient avec une égale dextérité, et c’est ici le cas : si les chorégraphies pêchent parfois par leur répétitivité (chop, tourneboulé, et crac), leur incroyable lisibilité fait amplement passer la pilule : l’absence exceptionnelle de montage épileptique et de mouvements de caméra parkinsoniens, une des plus franches caractéristiques de l’action selon Saint-Wick (et l’auteur de ces lignes dit ça en fan de la très agitée trilogie Jason Bourne !), est comme une garantie que le public ne sera JAMAIS paumé, saura TOUJOURS ce qu’il se passe dans le cadre, et où, et comment. Parfaitement dosée, John Wick réservait ainsi au popcorneur une révélation orgasmique, en cet automne 2014 : il pouvait ENCORE être surpris par des fusillades. Bien aidé par une recette irrésistible de simplicité, il faut dire : avoir pour protagoniste un gars qui ne manque jamais sa cible. Mais genre, JAMAIS. Plus balaise qu’un flingueur du cinéma de John Woo. On peut trouver l’idée conne, mais le fait qu’Hollywood n’ait jamais osé la tenter en fait une idée potentiellement géniale, c’est mathématique. On PEUT voir un cousin germain de Wick dans l’immense Collateral de Michael Mann, avec son implacable assassin Vincent, son fulgurant modus operandi (deux balles dans le sternum, une dans la tête), et sa sidérante fusillade de la boite de nuit, que rappelle celle du film de Stahelski et Leitch, mais c’est bien tout. Avec John Wick premier du nom, par ailleurs un film très, très agréable à regarder, avec ses généreux jeux de lumières et de couleurs, l’amateur de cinéma d’action retrouvait la confiance, comme il l’avait retrouvée dix ans plus tôt, avec les Bourne susmentionnés, avant de la perdre quelques années durant. C’est cyclique.

N’en disons pas plus. À moins que vous ayez pour films de chevet L’Année dernière à Marienbad et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle), ou que vous tourniez de l’œil à la vue du (faux) sang, il vous est vivement conseillé d’ignorer les moqueries des esprits chagrins. Dans le registre du thriller/film d’action, les qualités de John Wick s’empilent pour le hisser au rang de nouveau must populaire du genre, au même niveau qu’un Taken, remplaçant les poings par des flingues, et la grosse papatte EuropaCorpienne par une élégance new-yorkaise baroque qui rappelle un peu le sud-coréen A Bittersweet Life, de Kim Ji-woon, soit une autre référence de haut standing. Dans son duel testostéroné de l’automne 2014 contre le crétin The Equalizer, d’Antoine Fuqua, autre film plein de Russes morts, l’homme au chiot sort gagnant par K.-O. : entre du boum-boum expéditif assumant pleinement son caractère ludique et du boum-boum expéditif pas plus profond mais saoulant à essayer de le paraître, le choix est vite fait (2).

Notes

(1) Juste pour l’anecdote : après The Rover, on tient là le deuxième thriller de l’année 2014 dont le personnage central pète des nuques parce qu’on a tué son clébard, et dans Quand vient la nuit, polar sorti en France le même mois que John Wick, l’ami canidé ne meurt pas, mais joue les facteurs de dissensions à haut potentiel génocidaire !
(2) Mise à jour été 2024, soit pile dix ans plus tard : bien que deux des trois suites données à John Wick m’aient amèrement déçu (le deuxième opus a été une éclatante surprise, mais la dégringolade a commencé au troisième, et le quatrième n’a pas rectifié le tir), l’ensemble reste dans le domaine du regardable, contrairement aux deux hideuses suites qu’Antoine Fuqua a donné à son Equalizer.

Quelques captures d’écran supplémentaires :

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