Hardcore Henry
Alors voilà, tout commence quand Henry se réveille dans un laboratoire qui ne lui dit rien de bon. En trop peu de temps pour que son cerveau ait le temps de traiter les informations, il découvre qu’il a été ressuscité par sa femme, Estelle, et qu’il est désormais une sorte de putain de cyborg. BIEN ÉVIDEMMENT, le gars n’a aucun souvenir de son passé, mais il n’a BIEN ÉVIDEMMENT pas le temps de s’attarder là-dessus parce que bam, une escouade de patibulaires molosses débarque et kidnappe la pauvre Estelle. Henry, sans perdre une seconde, se lance alors dans une course effrénée pour la sauver. Mais ça ne sera pas une balade de santé. Il devra affronter une armée du même genre de molosses, dirigée par Akan, un psychopathe avec des pouvoirs télékinétiques et des ambitions borderline maléfiques. Parce que TOUT n’est pas non plus pourri en ce bas monde, il fera en chemin la rencontre de Jimmy, un personnage complètement déjanté semblant avoir plus de vies qu’un chat…
On va faire simple : Hardcore Henry (HH) est fun. Il est juste fun. A-t-on besoin d’arguments supplémentaires ? Dans le monde compliqué des adultes, peut-être, oui, sans doute, d’où la présente critique, mais parfois, vous savez, les mots semblent bien superflus… surtout quand il s’agit d’un film comme celui-ci.
Insistons sur le fun ET sur le superflu des mots, souvent des phrases censées porter une réflexion pour pas grand-chose, au fond : si vous lancez le DVD de HH – soit une bonne idée, au passage – et appuyez sur le bouton lecture dans l’idée de faire travailler vos neurones… ça ne marchera pas vraiment. En tout cas, ça marchera moins bien. Pour vous aider à comprendre : le nouveau venu moscovite Ilya Naishuller, réalisateur tout-terrain et coscénariste du film, a bricolé HH à partir d’un court-métrage qu’il avait réalisé, le clip The Stampede de son groupe de rock bourrin Biting Elbows, qui exploitait la même technique de filmage à la première personne, se limitait à un enchainement de parkour et de boum-boum, et s’éclatait plutôt pas mal au rayon… « hardcore ». Avec HH, il n’avait qu’à broder une vague intrigue pour donner à son film la longueur d’un long-métrage respectable, et c’est ce qu’il a fait sans trop se fouler, et ça se sent un peu, mais ce n’est pas grave, on vous l’a dit, c’est FUN. Chaque élément du scénario est un prétexte à nous chiader une scène-choc où le protagoniste Henry brisera des tonnes de nuques, mitraillera pléthores de molosses anonymes, traversera des jeeps à moto, sautera un peu partout parce que ça sera nécessaire, etc., le tout dans un spectacle au taux de goritude aussi absurde que généralement réjouissant. Les incohérences et autres facilités scénaristiques, connus outre-Atlantique sous le nom de « plot holes », ne manquent donc pas. Par exemple, d’où le méchant Akan a-t-il tiré ses pouvoirs télékinétiques susmentionnés ? Nosé. La SUBTILITÉ manque pas mal, elle, en revanche : reprenons pour exemple Akan, caricature albinos de méchant sardonique qui en fait des tonnes teeeeellement il est méchant, joué par un sosie de Brad Dourif jeune… sans doute sous influence de produits illicites. Le personnage de Henry ne prononçant pas un mot, il ne faudra pas non plus compter sur lui pour étoffer un peu ce n’importe quoi tenant sur un ticket de métro trempé de sang, ni sur celui d’Estelle, limité à la fonction cruellement patriarcale de damsel-in-distress (ET jouée par l’adorable Haley Bennett, avec ses yeux bridés sur ses joues de rousse). Le seul personnage un tant soit peu étoffé, qui donne l’impression d’exister indépendamment du délire de Naishuller, c’est Jimmy, le scientifique aux milles clones aussi désopilant qu’increvable, mais là encore, la performance de l’inénarrable Sharlto « District 9 » Copley ne manquera pas de cliver, exaspérant les uns, épatant les autres. Quant à la fin, c’est une boucherie sommaire qui paraitra un brin bâclée à certains, en dépit de son twist assez amusant. En d’autres termes, de loin, HH ressemble à une version première personne et semi-vidéo-ludique d’Hyper Tension, avec Jason Statham, en ENCORE PLUS sommairement écrit, au point de faire passer ce dernier pour du David Mamet des grandes heures.
Seulement voilà : on a bien dit « SEMBLE ». Parce que la boucherie finale susmentionnée, elle n’est autre qu’une boucherie… ben, de fin de jeu. Face à… l’inévitable boss de fin de jeu. Dans un film… hommage au genre du FPS (first-person shooter). Peut-on reprocher à un film de faire ce pour quoi il a été conçu ? Et cette question vaut pour HH dans son ensemble. Reproche-t-on à un Call of Duty de ne pas proposer de l’Alexandre Dumas ? Certes, il est des jeux qui savent marier les deux, boum-boum et écriture de qualité. Mais on ne peut exiger un Mass Effect, un Bioshock ou un Deus Ex à tous les coins de rue, et nombre de joueurs ne jouent « que » pour la SENSATION… en l’occurrence, celle du carnage et celle du parkour, un peu à la Dying Light, si vous voulez. HH a beau être un film, il est tout autant un enchainement de niveaux, avec ses ennemis qui ne servent qu’à crever et ses sous-boss, ou simili-sous-boss, qui servent à donner un peu de fil à retordre au héros – et au spectateur. Un joueur difficile arguera qu’il préfère les jeux vidéo auxquels il peut JOUER. À cela, à ce pertinent rappel qu’un film ne peut TROP ressembler à un jeu vidéo et inversement, il n’y aura pas grand-chose de malin à répondre. Mais allez, essayons quand même : combien d’entre nous se sont au moins UNE FOIS amusés à suivre un ami dans sa progression d’un jeu ? Se contentant juste de regarder ? L’auteur de ces lignes l’a déjà fait au moins deux fois de mémoire, avec un Metal Gear Solid et un Resident Evil, alors qu’il était adolescent, et il en garde de fameux souvenirs. Tant que c’est joli à voir, rythmé, et pas trop répétitif, c’est une proposition de divertissement tout à fait honorable. HH est un poil répétitif, c’est indéniable, mais il limite la casse avec a) sa courte durée, 90 minutes, et b) sa touche d’humour délicieusement trash. Est-il rythmé ? Que oui, un peu trop, limite. Est-il joli à voir ? Disons aux deux-tiers, le premier tiers étant littéralement bluffant, le second un peu foutraque mais le chef op aimerait bien vous y voir, et le troisième étant franchement hideux (mention à la scène qui précède le climax nocturne dans l’immeuble d’Akan, comme du gros rouge qui tâche). Sur jeuxvideo.com, les graphismes de HH auraient sans doute entre un solide 13 et petit 14/20, selon l’humeur du critique… une note qui peut décevoir !
Seulement voilà bis : un chiffre : deux millions. Deux millions de budget. On dit qu’on ne doit juger un film qu’à partir du résultat à l’écran, mais come on, dude. Ce truc est parti de TELLEMENT loin, de SI bas, qu’on ne peut qu’apprécier son impressionnante maîtrise technique, à commencer par celle de la boîte d’effets spéciaux numériques Zero VFX, les performances HISTORIQUES de ses têtes brûlées de cascadeurs, son épatant sens de la débrouille, et son énergie d’adolescent en rut capable de lui faire soulever des montagnes. Insistons sur le principe de débrouille : HH traverse une ville entière en bastonnant à tout-va, troue des hectomètres carrés de mobilier, crève des centaines de molosses masqués avec les hectolitres de sang et de tripes qui vont avec – sans doute interprétés par le même vivier d’une vingtaine de gars mais on s’en fout –, crame tout plein de trucs, nous sort même UN TANK et une poursuite-carnage sur une nationale, s’autorise même UNE CHUTE LIBRE, et n’a, dans l’ensemble, que rarement l’air cheap… pour deux millions de dollars. Pas d’euros, hein. De dollars. Bien sûr, la vue à la première personne autorise à la caméra d’incessants gigotements qui masquent les limites des effets spéciaux numériques… mais c’est le jeu, les amis, donc on s’en fout. Rien que pour ça, on adhère. Ça, et le fait que dans un film shooté à la première personne, l’acteur est obligé de viser à peu près juste.
Les films tournés à la première personne, de La Femme défendue à Enter The Void, ou en found-footage, du Projet Blair Witch à Cloverfield, ça existe depuis un bail. Mais jamais en avait-on fait un avec une dégaine de FPS au croisement de Duke Nukem, pour le côté trashouille-bourrin, de Call of Duty, pour la partie guerre urbaine, et de Mirror’s Edge, pour le parkour. Oui, sans la forme à la première personne, tout débrouillard qu’il fût, HH, avec son histoire qu’on croirait écrite par un petit nerd un brin autiste et son interprétation approximative, n’aurait sans doute été qu’une énième série b de SF destinée à amuser les amateurs de « direct-to-video » du samedi soir [on sent que cette critique a été écrite à l’époque de la sortie du film, pré-ère des plateformes, NDLR]. Et encore ! L’aventure fonctionnerait à son joyeux rythme, avec son rafraîchissant sens du rebondissement (les premières réapparitions de Jimmy sont de grands moments de WTF), et… on y revient, Jimmy, ainsi que son interprète Sharlto Copley. Autant dire que l’auteur de ces lignes fait partie des pro-, et ceeeeertainement pas par fanboyisme (le gars était absolument catastrophique dans Elysium). L’acteur sud-africain et sa dégaine si singulière crèvent l’écran, dans ce rôle, ressort comique mettant l’ambiance dans les pires moments. Et puis, il y a l’inventivité acnéique du récit qui, couplée au tempo susmentionné, parvient à maintenir les sens du popcorneur en alerte. Pour tout dire, si Hardcore Henry ne manque pas de couacs, l’affreux intermède musical du personnage de Jimmy, qui donne à Copley la triste occasion de se ridiculiser deux minutes durant, est le SEUL moment VRAIMENT mauvais du film. [Spoiler alert !] Si l’on omet, peut-être, le twist révélant la véritable nature d’Estelle, dont on se serait bien passé ! [/off]
DONC ! En plus de la qualité de popcorneur ouvert d’esprit, il vous suffit de deux choses pour apprécier le film d’Iliya Naishuller : a) ne pas avoir de problème avec l’idée de suivre la partie d’FPS d’un ami, b) ne pas tourner de l’oeil dès que la caméra commence à s’agiter plus de trois secondes, et c) tolérer les massacres bien graphiques et l’étalage de lolos bien complaisants (aaah, cette petite troupe de call girls russes au chevet de la caméra !), parce que oui, le film porte bien son titre, un peu pour le pire, mais plus souvent pour le meilleur, et fuck les chouineries pudibondes. Si ces trois conditions sont réunies, amis cinéphiles, pressez donc le bouton lecture, et entrez dans la danse. Autant dire que la presse peut aller se faire mettre, avec sa moyenne ridiculement basse telle que l’affiche Allociné. 2,1/5, sérieusement ? Je retourne jouer à Far Cry 3, moi.
Notes
– À l’origine, le titre du film devait simplement être Hardcore, il a dû être changé pour d’élémentaires raisons légales. Certains regrettent ce changement, trouvent que le « Henry » est de trop, que Hardcore tout court, ça aurait été teeeeeellement original, comme titre. Comment dire ? Non.
– HH est, par ailleurs, doté d’une bande originale topissime (Don’t stop me now de Queen, Let me down easy des Stranglers, Down by the water de The Drums…), mais c’est Ilya Naishuller en personne et son groupe Biting Elbows qui remportent le prix du morceau le plus mémorable avec For The Kill, qu’on entend durant le générique de fin. Électrique et punchy comme le film, doté d’un refrain galvanisant dans la fureur justicière, c’est du bon gros son, pas très subtil, mais qui te rentre dans la tête pour ne plus en sortir, que tu le veuilles ou non.
Quelques captures d’écran supplémentaires, pour finir en beauté :