Gringo
La promo inexistante de Gringo et le temps qu’il lui a pris à arriver chez nous n’auguraient pas du meilleur : ce genre de tracas arrive davantage à des petits films indés luttant pour se faire remarquer qu’à des productions dotées d’un budget confortable et d’un casting cinq étoiles (Joel Edgerton, Charlize Theron, Thandie Newton, Amanda Seyfried, Sharlto Copley, David Oyelowo, mazette !)… et quand ça arrive à ces dernières, c’est généralement que les retours ont été SI mauvais que le studio n’a pas su quoi en faire. Bonne nouvelle au royaume du verre à moitié plein : avec le très sympatoche Gringo, on peut parler de malentendu. Il arrive à l’auteur de ces lignes d’apprécier un film POURTANT RATÉ pour quelques éléments réussis qui auront su le faire quitter la salle de bonne humeur, il le reconnait, aussi peut-on le qualifier de bon public à ses heures, MAIS une critique de cinéma doit idéalement reposer sur un semblant de rationalité, aussi l’affirme-t-il ici : à moins d’être de mauvaise humeur, ou bien peau de vache avec les films en règle générale, ne vous fiez pas la descente en flamme dont est victime Gringo (2,1 de moyenne presse sur Allociné, WTF !). Sans être un BON film, il n’en est pas pour autant MAUVAIS. Un mauvais film, c’est Gigli. C’est Taken 3. Dragon Ball Evolution. Ou encore United Passions (jetez-y un œil !). Des films qui inspirent une VRAIE antipathie de cinéphile qui était entré dedans plein d’espoirs, un VRAI ressentiment, que ce soit pour la médiocrité de leur exécution ou la putrescence de leur démarche. Or, Gringo n’a RIEN de détestable. La preuve : regardez ces trois étoiles si elles sont pas meugnonnes.
Tout d’abord, le meilleur moyen de tirer du plaisir de son visionnage est de ne PAS, j’ai bien dit ne PAS prendre au sérieux son aspiration… assez visible à devenir un classique de la comédie noire tarantinienne, au croisement entre le cinéma de Guy Ritchie (tendance Arnaques, crimes et botanique) et celui des frères Coen (tendance Big Lebowski et Burn after reading). Parce qu’il n’en est PAS un. Certes, l’ignorer ne sera pas forcément chose aisée, quand on ne voit parfois que ça, son récit à tiroir, ses personnages plus ou moins excentriques, ses répliques qui se veulent cultes, son ton désopilant, son casting susmentionné, et son affiche promettant une joyeuse anarchie (toujours se méfier de celles-là)… mais il faut quand même essayer. Parce que si Gringo s’avère au final parfaitement oubliable, il se trouve qu’avant de l’oublier, on s’amuse plutôt bien, surtout une fois passé son laborieux premier acte qui laissait craindre un festival d’humour inopérant et de personnages déjà (trop) vus.
La première explication à cette inattendue sympatocherie est que le très talentueux David Oyelowo parvient à rendre sympathique, voire attachant, son Harold (« the most common name with the least amount of famous people associated with it »), protagoniste dont la naïveté avait pourtant toutes les chances d’insupporter le public à la longue. La seconde est que si Gringo est un film très inégal puisque partant dans tous les sens, qui dit « inégal » dit un mélange de mauvais éléments et… de bons. Le principal problème du film, ses critiques l’auront suffisamment répété, est le foutoir qui caractérise à la fois son histoire (à dessein) et sa narration (moins à dessein) : les intrigues s’accumulent dans un temps bien trop court, au point que pas mal d’éléments finissent par être bâclés, comme la relation entre Harold et son épouse, à laquelle on ne croit pas une seconde, et qu’une de ces intrigues est carrément DE TROP, celle du jeune couple, qui n’apporte strictement rien à l’histoire – un défaut DOUBLE car Grands Yeux, qui joue la copine hippie à la ramasse (de nouveau au contact de la marijuana, après Ted 2…), en ressort cruellement sous-employée alors qu’il y a TANT à faire de ses grands yeux, comme toujours ! Mais étrangement, ces critiques mentionnent bien moins ce qui FONCTIONNE. Par exemple, pratiquement toutes les scènes de l’inénarrable Sharlto Copley (District 9) : si le côté « joker » de cet acteur peut être exploité à mauvais escient (cf. Hardcore Henry), il l’est ici à BON escient, surjouant pile ce qu’il faut dans le rôle du personnage le plus original et intrigant du film, ancien barbouze peinant à se racheter aux yeux d’un Seigneur dont il nie l’existence. C’est à son contact que le Harold d’Oyelowo acquiert d’ailleurs sa petite saveur, dans le dernier et meilleur acte. Un acte très visuel, qui profitera fort de l’identité visuelle très colorée que Nash Edgerton, frère de Joel, a conféré à son deuxième long-métrage, fort agréable à regarder, comme la nuée de papillons mexicains qui émerveillent Grands Yeux.
Le duo Richard/Elaine, interprété par Edgerton et Theron, est un autre point positif du film. C’était peut-être l’argument numéro un du film étant donné la carrure des acteurs, et le fait qu’il tient plutôt ses promesses est une agréable surprise. Une fois passé le premier acte raté déjà évoqué, ni lui, ni elle n’est à ajouter à la liste des pointures cabotinant douloureusement dans des fours susceptibles d’entacher leurs patronymes pour des générations. Au contraire, le spectateur ne devrait pas avoir à se plaindre dès qu’ils apparaissent à l’écran, très à l’aise dans leurs rôles de salauds délicieusement cyniques, façon gros con pas si malin qu’il ne le pense d’un côté, et femme fatale un peu trop poseuse pour être vraie de l’autre (mention à la façon dont elle claque la porte de son bureau au nez du héros alors qu’elle est au téléphone, sans aucun doute un hommage à L’Associé du Diable). Edgerton ne surjoue même pas le gros con, quant à Theron, elle fait le show du début à la fin, indécemment sexy comme elle sait l’être, mais aussi délicieusement azimutée, et cette fois-ci pas en mal (cf. Le Chasseur et la Reine des glaces…), s’éclatant un peu comme Rachel McAdams dans Game Night (« think Pfizer and Viagra ! »). Elle a même droit à une scène assez forte, où la substance du personnage pointe sous son verni de connasse.
Mais cela ne fait pas de Gringo une comédie dramatique, hein. Des scènes comme celle-ci, ou encore [spoiler alert !] celle de la mort de Mitch, le personnage joué par Copley, [/spoiler off !] sont des exceptions à la règle d’un film qui se veut avant tout une pure déconnade. Car nope, Gringo n’a pas de gros problème de ton, contrairement à ce qui est avancé. Sa narration est éparpillée, mais pas son humeur. Et puis, Vincent Vega ne meurt-il pas dans Pulp Fiction ? Autre désaccord avec les critiques, nope again, il n’est pas difficile de savoir quoi penser de ses personnages, à l’exception bien sûr du Joker Mitch/Copley, mais c’est un peu l’idée. Que les esprits chagrins se concentrent sur son histoire sens dessus dessous et sa collection de coïncidences grotesques qui auraient été impardonnables si le film s’était pris au sérieux – là, c’est plus un gimmick fun, comme l’accumulation de kidnappings.
Reste alors ce qui, au registre de la déconnade tarantinienne, fonctionne, et ce qui ne fonctionne pas ; car c’est aussi sur ce plan que Gringo est inégal. Le premier acte a été plusieurs fois cité, où moult répliques tombent à plat, tantôt parce qu’elles sont peu inspirées (« me quiero taco bell », sérieusement ?), tantôt parce que quelque chose ne fonctionne pas dans leur exécution, comme si l’idée de ne pas être aussi cool qu’elles dans sa mise en scène avait paralysé Nash Edgerton (« attendez une minute… et merde, je suis VRAIMENT pas Tarantino ! »). Qui dit « tarantinade » dit digressions plus ou moins délirantes et souvent pop-culturelles, et les scénaristes s’y sont essayés, notamment avec le chef de cartel fan des Beatles demandant à ses invités si Sergent Pepper est le meilleur album du groupe ou non… et c’est mimolette. Ça passe un coup, ça se plante le coup d’après, dépendant de l’inspiration du moment, un peu comme les répliques, dont on retient quand même le quota minimum de mémorables (« Payer un million de dollars pour récupérer Harold, ce serait comme payer un cheeseburger mille dollars », « chérie, on est au Mexique, ils se brossent les dents avec de la téquila », etc., ou encore la dernière réplique du boss, « let’s take that sad song and make it better, hey ? »). Mais le film profite énormément de l’abattage de ses acteurs, qui ont pris un plaisir très communicatif à jouer. Theron, parfois extatique, fait passer comme une lettre à la poste des répliques pourtant idiotes (« no waito for dipshito »), ainsi que LE moment politiquement incorrect du film, quand elle imite une sourde-muette dans une scène mémorable – autant parler d’un COMBLE, venant d’une actrice en phase terminale de wokisme. Oyelowo, lui, fait de la scène du coup de fil à ses employeurs un grand moment de comédie, et gâte Gringo d’une impro hilarante lorsqu’il se met à implorer les dieux façon africaine, limite caricaturale (sa « nigérianisation » du film, comme il dit).
Et parce qu’Oyelowo est bon, cela vaut malgré tout à Grands Yeux au moins UNE jolie scène, malgré son rôle rachitique, lorsqu’elle et lui sympathisent dans la chambre d’hôtel, et échangent brièvement sur le déséquilibre du monde et la croyance du héros en le fait que de bonnes choses finissent toujours par arriver aux gens bien. Un de ces quelques moments où le film redevient un poil sérieux (à l’exception de cette réplique très amusante sur l’e-mail d’un prince nigérian !), et où l’on se dit… : « tiens, ne serait-y pas une âme ? ». Comme dans cette scène où Harold et Mitch se disputent sur les démérites de Judas et de Pierre, et où Harold devient plus qu’un cliché.
Tout bien réfléchi, Gringo est même carrément ponctué de quelques lignes de dialogues non-comiques qui font mouche, comme celle que l’on vient de citer, celle de Theron sur Armstrong et Buzz Aldrin, ou encore celle de Newton sur le gorille au milieu du match de basket (mention à la réponse du héros : « Mon job, ce n’était pas de chercher un gorille, c’était de m’occuper de la balle ! »). Et oui, on peut donc parler d’une âme. De ce point de vue, Gringo est un peu comparable au monumental plantage qu’a été le Aloha de Cameron Crowe, lui aussi marketé n’importe comment par le studio parce que ce dernier ne savait pas quoi en faire : on tient deux foutoirs parfois un peu gênants, mais au final dotés d’une sorte d’âme, d’une sorte de flamme, d’un genre de charme, agrégat brinquebalant de performances d’acteurs qu’on aime aimer et de morceaux de scénario plus inspirés que d’autres. Et encore, Aloha était paumé jusque dans son montage, alors qu’avec Gringo, Nash Edgerton sait où il va… le problème se situant dans le TRAJET ! Oui, le trajet… ne reste alors plus qu’à se concentrer sur le POSITIF dudit trajet, car Gringo, quoiqu’un film un peu raté, n’en est pas moins plein de bonnes raisons de sourire.