Critiques

Gemini Man (+ vlog)

Si Hollywood donnait une suite à Gemini Man, film où deux supers agents joués l’un comme l’autre par Will Smith se mettent sur la gueule, voici le pitch que je proposerais au studio : Gemini Woman. Avec Scarlett Johansson, deux fois… dont une serait celle de l’époque A Love Song for Bobby Long / Match Point / Vicky Cristina Barcelona. Mais elles se chamailleraient beaucoup moins… et après une petite bagarre, elles se diraient : « hé mais, Scarlett, pourquoi est-ce qu’on se chamaille comme ça, en fait, t’es Scarlett, je suis Scarlett, je suis canon, tu l’es encore, y a pas de raisons de s’énerver »… et l’autre répondrait « tu sais quoi, je crois bien que tu as raison, Scarlett »… et du coup, bah elles décideraient de faire un petit break une chambre d’hôtel cozy… et le champagne et le confort des pyjamas aidant… GEMINI WOMAN. Ça ferait un carton historique. Contrairement à ce machin.

Hum. Gemini Man est un thriller réalisé par Ang Lee, le réalisateur de Brokeback Mountain, qui nous revient avec un film révolutionnaire puisqu’il parvient à rajeunir de vingt-cinq ans Will Smith, et se paie donc le Prince de Bel-Air (cher). Ce n’est donc pas un clone maléfique qu’affronte le héros, mais son JEUNE clone, donc plus performant ! LÀ, vous la sentez, l’originalité ! Ok, je suis méchant, il y avait moyen de faire quelque chose d’intéressant, avec ça. Sauf qu’avec L’Homme gémeau, comme disent les Québécois, ce n’est pas vraiment le cas.

Lien vers mon vlog consacré à Gemini Man

De la technologie, mais…

Pas de surprise, la cure de jouvence de Will Smith est l’attraction principale du film, et à raison. On ne parlera pas de réussite TOTALE, mais dans l’ensemble, c’est difficile de dire non. La plupart du temps où apparaît Junior, nom du jeune clone (original), il est quasiment impossible de déceler le vrai du factice, même à l’affût, et on oublie vite qu’une bonne partie de ce qu’on voit est du chiqué. Pourquoi la réussite n’est pas totale ? Disons qu’Ang Lee a un peu trop compté sur l’obscurité dans laquelle se déroulent bien opportunément la majorité des apparitions de Junior, comme Guillermo Del Toro l’a fait sur Pacific Rim… et à raison. Si la majorité du film s’était déroulée en plein jour, ça aurait été un carnage, comme en atteste la toute fin dans le campus universitaire, qui est assez hideuse. Heureusement, ces dérapages sont rarissimes, et quand ça marche… ça marche.

Les maniaques de l’image ont, par ailleurs, une AUTRE raison de se ruer en salle : apprécier la sidérante fluidité du HFR, pour « HIGH FRAME RATE », qui fait bondir le nombre d’images standard de vingt-quatre par seconde à cent-vingt, et réduit la distance entre l’action et le spectateur. Mais attention : l’effet ne sera pas pour autant du goût de tout le monde : personnellement, je ne suis qu’en partie séduit par ce procédé, parce qu’il rend tout un peu trop lisse à mon goût, un peu trop net, comme ces nouveaux écrans OLED, ou QLED, qui te donnent parfois l’impression de TROP en faire. Genre… c’est bon, copain, c’est juste un épisode des Experts Miami qui passe, là. Je sais, ça fait peut-être vieux con. Peut-être que dans vingt ans, le monde considèrera la HFR comme la norme, cinéphiles trentenaires COMPRIS. Mais pour l’instant ? J’attends de voir. Pour le film d’Ang Lee, c’est assurément un plus. Tout comme l’est l’utilisation de la 3D, et ce dès le départ, avec un Will qui brandit son énorme fusil de sniper que t’as l’impression que tu vas te prendre son manche dans la gueule. Le jet privé qui vole en relief… le nuage de poussière qui remplit les catacombes… MEW (Mary Elizabeth Winstead) en 3D (ci-dessous, MEW en 2D)…

Il faut juste, à mon sens, ne pas perdre de vue que le cinéma n’est PAS une démo technique. Ce constat n’a jamais été aussi douloureux que l’été dernier, à la sortie de cette catastrophe ambulante qu’est l’adaptation live action du Roi Lion, et il reste inchangé : la technologie est là pour servir le cinéma, et non l’inverse. Le septième art n’est pas censé reproduire la réalité ; ce serait comme reprocher à un Rembrandt de ne pas être animé. Envoyez-moi tout ce vous avez, de l’hyper-HFR 5k 4D digital laser à 64 000 mégabits, si cette merveille de technologie est une condition sine qua non à l’appréciation d’un film… ce ne sera pas un bon signe. Un film doit pouvoir s’apprécier sur son vieux moniteur Yamaha 22 pouces de 2004. Si on le mate dans ces conditions et qu’on trouve ça pourri… la première impression restera la bonne. Apprécierait-on L’Homme Gémeau sur un vieux moniteur Yamaha 22 pouces de 2004 ? Meh.

De l’action, mais…

L’Homme Gémeau divertira l’amateur de boum-boum. Les scènes d’action bénéficient de tout le savoir-faire technique d’Ang Lee. Bien que son film n’ait pas d’identité visuelle prononcée, ce qui n’aide pas à le garder en mémoire, le travail qu’il a effectué avec le chef opérateur Dion Beebe est souvent remarquable dans le détail, comme cette incroyable maîtrise de l’espace et surtout du POINT, qui permet au spectateur de savoir ce sur quoi son regard doit s’arrêter dans des plans fourmillant d’informations, alors que la HFR menace de produire l’effet inverse. Ang Lee peut être un chef d’orchestre dans ce domaine. La confrontation à Carthagène, d’abord en intérieurs puis à moto, seul vrai morceau d’action mémorable, en est un rappel. Soyons donc clairs, Gemini Man n’est PAS un mauvais film d’action. Un mauvais film d’action, c’est… Taken 3. Gemini Man est bien troussé, toujours lisible, sans montage épileptique. Même les scènes d’action de MEW font impression. J’attendais sérieusement de voir comment Lee allait trousser les scènes d’action de l’actrice, un peu inquiet parce qu’on voit trop de séries télé où des minettes de quarante kilos prennent au corps-à-corps des armoires à glace qui en font cent, et j’ai été agréablement surpris : MEW a assuré.

C’est juste que… en 2019, on en a vu 40 000, des films hollywoodiens avec du boum-boum de ce calibre. Avec des climax plus inspirés, pas au Carrefour Market du coin. La baston à trois contre le second clone tout droit sorti de Tron Legacy, avec son casque sur la tête, pareil, mouarf. C’est pas mal… mais il manque quelque chose. Ah, c’est ça : PLUS de boum-boum. Parce que l’action de Gemini Man s’en sort toujours mieux quand il y a du boum-boum que quand il n’y en a pas… c’est-à-dire quand ses personnages parlent, en fait. Parce que putain que le scénario est pourri. Encore plus que l’affiche.

Chérie, j’ai oublié le scénario

Fun fact : l’intrigue a été coécrite par David Benioff, anciennement connu pour être le cocréateur de la série Game of Thrones, présentement connu pour avoir co-inspiré une encore plus profonde haine à travers le monde que Pol Pot, le Dr Mengele et Jar-Jar Binks réunis. Autre fun fact : en regardant Gemini Man, on a l’impression que le film a été tourné à partir d’une première mouture de scénario. C’est juste mauvais. Et ce très, très vite, à la troisième ou quatrième scène, où le héros, figure de virilité, à deux doigts de la retraite, reçoit la visite d’un collègue dans sa maison de campagne alors qu’il bricole virilement un abri à oiseaux. « Billy, t’es le meilleur du métier, faut que tu reviennes dans le game ! »… Rambo II et un tas de films depuis, quoi. Le héros croise un ancien collègue rigolard qui, entre deux cocktails, lui glisse une confidence en mode « j’dis ça, j’dis rien » : on se dit IMMÉDIATEMENT : « ok, toi, tu vas te faire descendre dans 5, 4, 3, 2… » ah ok, ils n’ont même pas attendu le 1. La narration en carton-pâte enchaîne les expositions. Ça a été fait par le mec à qui l’on doit le chef-d’oeuvre Lust, Caution, ça ?! Gemini Man ne réserve aucune surprise sur le plan scénaristique, si ce n’est peut-être la brève apparition d’un second clone, qui ne mène nulle part, puisque le film passe immédiatement à sa conclusion d’une candeur léthargique. Lee semble s’en être complètement foutu, en fait. D’où le fait que les personnages passent leur temps à expliquer ce qu’il se passe. Du début à la fin, tout est bien explicité via des dialogues atrocement clichés que le charisme des acteurs rend tout juste tolérables.

On dit qu’un film avec un bon méchant fait déjà la moitié du boulot : avec Clay Verris, joué par un Clive Owen décidément trop habitué aux nanars, Gemini Man a donc un peu foiré la moitié en question, malgré le joli potentiel que lui offrait sa relation intime à Junior… sacrifiée vers la fin sur l’autel du bourrinisme. Benioff et son coscénariste auraient dû comprendre que les attentes du public ont changé, en vingt ans : les méchants unidimensionnels, très peu pour lui. Proposer un spectacle prétendant au jamais vu monté sur un scénario donnant l’impression d’avoir été vu mille fois, voilà toute l’ironie de Gemini Man.

Un peu de substance, c’était pas trop demander

Un signe que je le sentais mal : alors que je suis passionné depuis le plus jeune âge par le sujet du clonage… je n’attendais RIEN de Gemini Man. Parce que je me doutais que son « exploration » du thème rappellerait, au mieux, les heures les plus sombres de The Island. Vers la fin, Verris justifie son projet d’envoyer des clones à la boucherie plutôt que des « vrais » gens pour ne plus faire de veuves et d’orphelins dans la société civile, idée aussi fascinante que terrifiante qui m’a rappelé le génial roman de Kazuo Ishiguro Auprès de moi toujours. Un peu de substance ? Nope. Un peu de blabla pour le drama, et on passe immédiatement à autre chose.

Les motivations de Verris regardant Junior sont des plus vagues. Au début, avec son histoire d’âme, il donne l’impression d’avoir créé son équivalent du Wolverine « evil » de Logan, mais c’est juste le Prince de Bel-Air avec quelques « daddy issues ». Même déception au bout du chemin avec les thèmes du transhumanisme et de la figure du père, justement, totalement survolés. Oh, et… comment Señor et Junior pourraient-ils agir comme des reflets, alors que vingt-cinq ans d’expérience les séparent ? On évolue, en vingt-cinq ans, on progresse. Alors… comment ? Hein ? Ils y ont pensé, à ça, à Hollywood ? Nah, ils s’en foutent. Au cas où ça changerait, ils ont mon numéro de téléphone. Vous voulez le meilleur des années 90 ET des années 2000 ? Appuyez sur #, les gars.

N’est-ce pour autant pas fun ?

Mais comme Gemini Man ne m’a pas pour autant donné envie de me faire harakiri, pour finir, plutôt que d’être chien, je vais livrer mon simple ressenti de « pop-corneur » candide, voire innocent comme l’agneau qui vient de naître : ce film fera parfaitement l’affaire pour un samedi soir, a fortiori sur votre télé 3D 4k. Le manque d’originalité et d’inventivité qui caractérise son action est compensé par une dégaine de série b de luxe des années 90 qui met l’ambiance, notamment avec l’apport comique de Benedict Wong, dans un film qui recourt un peu moins aux blagounettes que les productions Marvel. Pas étonnant que l’homme aux manettes soit Jerry Bruckheimer, soit LE producteur hollywoodien des années 80-90 (Top Gun, Jour de Tonnerre, The Rock…) : c’est du divertissement pré-postmoderne, d’une franchise un peu ringarde, qui se finit même sur un fondu au noir juste après une blagounette du genre de « hey, Junior, je parie que je peux te battre à la course ! »), maaaaais qui touchera peut-être les cinéphiles trentenaires et plus. Si l’on apprécie Will Smith, ce dernier fait amplement le job avec le charisme et l’implication physique qu’on lui connait. Rien d’étonnant cependant : c’est par la suite, en tant que Junior, qu’il trouvera l’occasion de JOUER, ce que ne faisait pas vraiment le jeune Will des années 90, et ça donne une expérience bienvenue. Il fait donc le show, bien appuyé par MEW, dont le rôle, lui aussi physique, aurait quand même été plus « pot de fleur » si le film avait été produit dans les années 90. Adeptes du « c’était mieux avant », pas de panique, elle aura quand même son moment « demoiselle en détresse », quand Junior la prendra en otage et la fouillera en sous-vêtements, genre, par professionnalisme, simple prétexte à la filmer un chouïa dévêtue, mais un chouïa seulement : dans les années 90, on aurait au grand minimum vu ses lolos. Quelle époque formidable que la nôtre !

(Ok, je vais passer pour un authentique pervers pépère, avec cette critique.)

Finissons sur une petite revue de presse, parce que j’aime faire ça, de temps en temps. Selon 20 Minutes, Ang Lee prouve, avec ce film, qu’il s’adapte toujours à son époque : oui… sur un plan, si on veut. Mon film préféré de lui reste Lust, Caution, qui n’est pourtant pas vraiment adapté à son époque, technologiquement… c’est PRESQUE comme si c’était pas VITAL ! Sidérant. Selon Ecran Large, la 3D HFR transforme cette série B en « tornade euphorisante », limite un régal des sens : alors, oui… à condition d’oublier à quel point le scénario est pourri. Perso, je ne trouve pas que ça rende super euphorique, un scénario pourri. Selon Le Journal du Geek, le film est à voir, au point de mériter quatre étoiles, mais « seulement au cinéma »… ou comment transformer en qualité ce qui est, pour moi, un défaut majeur, vous l’aurez compris. Selon Les Inrocks, « tout s’hybride, se confond, s’absorbe » : ouais, Les Inrocks, quoi. Selon Télérama, pour finir, le film est tellement laid qu’il donne l’impression de ne pas vraiment regarder du cinéma : euh, oui, autant je suis difficile, autant là, je dis calmos… on peut dire sans risque que pour son journaliste Frédéric Strauss, absolument RIEN ne s’est absorbé. Comment voulez-vous que le spectateur s’y retrouve ?

En d’autres termes, L’Homme-gémeau est une avancée « historique » pour les effets spéciaux, peut-être, mais certainement pas pour le cinéma. En espérant que son réalisateur sera plus inspiré la prochaine fois…

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