Critiques

Furiosa : une saga Mad Max

Bien que GRAND fan de ce monstre de cinéma qu’est Mad Max : Fury Road, que je n’ai pas hésité à placer dans mon top 10 des films les plus réussis de la décennie 2010, je n’attendais pas grand-chose de Furiosa: une saga Mad Max (sic). Disons que le niveau d’attente était mimolette. La cause ? Non, pas la misogynie supposément à la mode dont ses défenseurs usent et abusent pour expliquer son échec au box-office, oubliant que les gens qui l’ont snobé en salle ont vibré devant la saga Alien ET à la vue de Charlize Theron roulant des mécaniques bien huilées dans Fury Road. Bien que l’étrangeté de pondre un film Mad Max SANS Max ne m’ait pas échappé, au contraire, Anya Taylor-Joy deviendrait vite la seule VRAIE raison pour laquelle mon intention d’aller voir Furiosa demeurerait intacte, parce que je savais Grands Yeux capable de rivaliser avec la performance de Charlize Theron. Non, mon refroidissement serait plutôt à mettre sur le compte de sa campagne marketing, incluant les bandes-annonces et les affiches, dont la simple vue donnait un peu envie de gerber un arc-en-ciel. Bien des fanboys and girls animés des meilleures intentions m’ont fait remarquer, au fil des mois, que bien des bandes-annonces sont bricolées alors que leurs films ne sont PAS finis, devant parfois composer avec des effets spéciaux incomplets, et qu’un film n’est pas responsable de son affiche, si terrible soit-elle. Et ils avaient raisons. Au détail près qu’ils avaient tort sur l’essentiel : comme l’expérience en salle nous l’a révélé sans aucun doute possible, si la bande-annonce de Furiosa donnait l’impression d’un abus de CGI, d’une sursaturation des couleurs, et, par endroits, d’une bouillie de pixels, ce n’était pas le résultat d’un regrettable malentendu… mais bien parce que Furiosa A abusé des CGI, A sursaturé ses couleurs pour zéro raison valable, et A, par endroits, une gueule de bouillie de pixels. J’ai dit « par endroits » !

Parce qu’attention, comme le suggèrent les trois jolies étoiles ci-dessus, ce n’est pas non plus la bérézina. On ne va pas se mettre à cracher dans la soupe, en consommateur ingrat dont le COVID a achevé la mutation en veau avachi : il faut CONTINUER de récompenser EN SALLE les grosses productions hollywoodiennes proposant quelque chose d’AUTRE que les merdes et sous-merdes de Disney, Dune : Deuxième Partie en est un bon exemple, et Furiosa méritait d’en être un, lui aussi, dans une moindre mesure. Le nouveau film de George Miller a ses franches limites, que l’on n’hésitera pas à aborder, mais c’est aussi un divertissement dans l’ensemble solidement charpenté par des artisans oscarisés, porté par un sacré sens du découpage, ce même découpage dont la fluidité caractérisait déjà Fury Road, par la performance impériale d’Anya Taylor-Joy armée de son charisme de furieuse, et traversé de saisissantes visions, comme la course-poursuite centrale d’un quart d’heure avec le War rig – bien qu’elle n’égalera jamais celle de Fury Road –, ou encore [spoiler alert !] la mise à mort du conducteur Jack [/spoiler off]. En contrepartie de la reconnaissance qui est due à ce divertissement fort décent, il est psychanalytiquement recommandé de reconnaître l’évidence : qu’il n’arrive pas à la cheville de son prédécesseur.

Ce qui peut énerver, on ne va pas dire le contraire, hein. L’impression d’avoir vu un remake réalisé par des gens ÉTRANGERS à l’original, et qui n’ont pas VRAIMENT pigé ce qui faisait la grandeur de ce dernier, alors que les deux films ont en fait le MÊME PUTAIN DE RÉALISATEUR, n’est pas quelque chose que l’on souhaiterait à son pire ennemi de cinéphilie, or c’est l’impression qu’a eue votre serviteur face à Furiosa. Le pire est que l’explication est plutôt limpide, c’est pourquoi la tendance de ses défenseurs à l’ignorer, à faire comme si les différences n’étaient pas frappantes, est si confondante : George Miller, le putain de réalisateur en question, n’a simplement pas reproduit les conditions qui avaient permis la naissance de Fury Road. Ce qui faisait l’impact de Fury Road, c’était avant tout son impact sensoriel. C’était le sentiment de sentir la poussière et le sable sur sa peau, et d’avoir à la sa bouche un goût mêlé de sang et de gasoil, et d’étouffer dans un cercueil de métal. Selon Miller, 90% des effets de Fury Road sont pratiques, et si Hollywood a pris la mauvaise habitude d’invisibiliser ses artisans des CGI en vendant comme « CGI-free » des films qui en sont pourtant bourrés (pas vrai, Top Gun : Maverick ?), les impressionnantes images des coulisses du film suggèrent que dans le cas de Fury Road, ce n’est PAS du chiqué. Ça se tient : l’idée, sur Fury Road, a simplement été de n’utiliser les CGI qu’en APPUI de plans tournés pratiquement. Ça, peu importe qu’ils en soient inconscients, peu importe qu’ils ne connaissent RIEN aux « SFX », les gens l’ont senti, lors de l’expérience en salle. Et en choisissant de vivre avec son temps numérique et, la main un chouïa forcée par le départ à la retraite de son chef opérateur John Seale, de lui choisir un jeune remplaçant super branché numérique (Simon Duggan, I, Robot, le quatrième Die Hard, Warcraft, besoin d’en rajouter ?), George Miller s’est assuré que cette sensation serait cruellement absente de l’expérience Furiosa. La saturation des couleurs évoquée plus haut n’a, par ailleurs, RIEN arrangé, accentuant l’effet d’artificialité… tout comme l’étrange choix d’intégrer des extraits de Fury Road au générique de fin du film, qui ne fera que remuer le couteau dans la plaie. Non seulement on perçoit trop souvent les CGI, ces derniers sont même, par endroits, assez hideux, peu importe qu’ils aient gardé le même superviseur des effets spéciaux, ça n’a clairement pas empêché la régression. Certains des fanboys and girls susmentionnés arguent que le kitsch de certains effets serait intentionnel, dans le but de donner du caractère et une dimension cartoonesque à cet univers… le problème, avec cet argument, est que l’univers de Fury Road avait déjà du caractère et avait déjà une dimension cartoonesque, SANS les CGI qui piquent les yeux, et les couleurs sous coke. Il va sans dire que les ambitions du scénario de Furiosa lui imposaient d’employer davantage de CGI… mais autant la chose est justifiée dans le cas de l’usine à munitions, autant cela n’explique EN RIEN les écrans verts pourris, OR George Miller s’est bien davantage reposé sur ces maudits écrans verts, tendance série télé des années 2000, dont certains jurent dès le préambule.

Quand on dit aux gens que Fury Road n’est, en fait, PAS le fantasme de film où tout a été filmé pour de vrai, et qu’il contient en fait un tas de CGI, leur réaction est généralement « nooooon ! » ; c’est un BON signe. Faites la même chose avec Furiosa : la réaction sera plus du genre de « ah bah ouais, ça se tient ». Enfonçons le clou une dernière fois : le choix de miser sur des effets spéciaux numériques à outrance a été une erreur stratégique. Là où Fury Road brillait par ses cascades réelles et ses effets pratiques, Furiosa se perd dans une mer de pixels qui pose de vrais problèmes d’immersion. Les effets visuels devraient être un complément à l’action, pas une béquille sur laquelle s’appuyer constamment. George Miller, en voulant moderniser son approche, a perdu de vue ce qui faisait la force de son univers : une expérience sensorielle brute et sans compromis.

Furiosa devait, par ailleurs, répondre à la question : « pourquoi un film consacré à ce personnage est-il censé m’intéresser, déjà ? ». C’était inévitable. Avec cette mode des préquels donnant la mauvaise impression que TOUT doit être expliqué et que MÊME les questions que personne n’a posées méritent leurs réponses en salle, ça DOIT être inévitable, même. La Furiosa de Charlize Theron crevait l’écran, mais à la fin de Fury Road, ressentait-on l’envie d’en savoir plus sur son passé, les circonstances dans lesquelles elle a perdu son bras, sa relation avec Immortan Joe ? Et bien que le réalisateur ait trouvé son histoire « si bonne qu’on devait simplement la raconter », la réponse est… modérément convaincante. Passons outre le BIEN trop long préambule qui, quoique solidement interprété par Chris Hemsworth, dont on a parfois un peu l’impression que c’est le film, et la gamine qui joue Furiosa gamine, prend quand même trois quarts d’heure (!!!) là où la moitié aurait été amplement suffisante – repoussant concrètement de trois quarts d’heure l’arrivée de l’actrice sur laquelle se vend le film, au passage. Si l’intrigue, une fois lancée, a le mérite d’essayer quelque chose de nettement moins dépouillé que celle de Fury Road (on a carrément droit à une division totalement superflue en cinq chapitres aux titres moyennement inspirés) et d’assurer plutôt bien en matière de « world-building », elle peine en revanche à se justifier sur la durée, en matière de cohérence dramaturgique et narrative. Les motivations des personnages ne sont pas toujours claires (alors que dans Fury Road, ses motivations pour aider les épouses d’Immortan Joe étaient poignantes, ici, ses objectifs semblent parfois flous et manquent d’un véritable ancrage), et certains arcs narratifs sont un peu bâclés, ou sous-développés. Par exemple, compte tenu de l’importance qu’a la mort de sa mère dans l’« origin story » de l’héroïne, et donc son oeuvre de vengeance, la relation entre Furiosa et Dementus aurait dû être davantage explorée, surtout quand on voit la durée du film (!!!) : Anya Taylor-Joy et Chris Hemsworth auraient dû avoir bien plus de scènes ensembles, et en l’absence de développement, l’acte de vengeance final manque cruellement d’impact, la catharsis est aux abonnés absents, on a tout juste à se mettre sous la dent l’amusant petit jeu du scénario avec la notion de mythologie. C’est d’autant plus dommage que comme tout le monde le dit, le dieu de la foudre est une des vraies bonnes surprises du film en dépit de son faux nez en plastique, prenant un plaisir communicatif à enfin JOUER, en l’occurrence une amusante combinaison de charisme, malice, et sadisme. De même, bien que sa mort reste un des moments forts du film, la jolie mais un peu maigrichonne idylle avec Praetorian Jack, personnage plutôt cool malgré ses airs de Mel Gibson en réduction, aurait dû, elle aussi, être étoffée. En fait, Furiosa a voulu être bien trop de choses à la fois, un préquel, une intrigue autonome, un film d’action azimuté, une fresque dystopique, une étude de personnages, sans vraiment y retrouver ses petits à la fin. Comment voulez-vous que George Miller ne se repose pas exagérément sur l’intensité bleu acier des yeux de son actrice, pour faire passer tout ça ? Ça a… marché, hein, relativement, bon an, mal an, du moins quand elle est à l’écran, car cette dernière ne manque jamais de crever ce dernier (sauf peut-être avec la boule à zéro, qu’elle gère moins bien qu’une Charlize Theron ou une Natalie Portman…). On aurait juste aimé profiter de sa performance sauvage dans un film doté du charme sauvage de Fury Road.

Reconnaissons néanmoins que l’actrice a beau briller, comme elle brille dans quasiment tous ses rôles, elle n’a pas eu ici à repêcher quoique ce soit : le personnage de Furiosa est, EN SOI, une réussite, suffisamment développé pour inspirer l’empathie et faire une héroïne d’action captivante, malgré les couacs d’écriture susmentionnés… notamment aussi parce que c’est une des rares protagonistes féminines de l’Hollywood contemporain à ne pas donner l’impression d’avoir été écrite avec le sacrosaint cahier des charges féministes dans un coin de l’écran, rappelant H24 l’importance contractuelle et religieuse de la « girl boss » attitude. Parce que c’est l’ANTI-Rey de Star Wars, l’ANTI-Mary Sue. Son personnage en prend plein la gueule, et elle apprend de cette accumulation infernale de coups durs, et ça la fait grandir, et mûrir, et cette progression rend ses accomplissements crédibles. Contrairement à cette quiche de Rey, Furiosa, peu importe que ses parents l’aient affublée d’un prénom grotesque, mérite que les jeunes spectatrices de la salle l’aient en admiration. En fait, on aurait carrément préféré que George Miller tourne son préquel dans la foulée de Fury Road, comme c’était prévu, même si cela aurait signifié quelqu’un d’autre qu’Anya Taylor-Joy dans le rôle, parce que ce personnage méritait mieux.

En résumé, George Miller, en modernisant son approche, a perdu de vue ce qui faisait la force de son univers mécanique, une expérience sensorielle brute et sans compromis, poussant à s’interroger sur sa raison même d’exister, car grosso modo, Furiosa ne va ni dans une direction foncièrement différente de celle de Fury Road, ni plus loin : il est allé dans l’exacte même direction… en faisant moins d’efforts, semblable à la version 2024 d’Immortan Joe, joué par un acteur aux sourcils NETTEMENT moins mémorables que ceux de Hugh Keays-Byrne. C’est un film divertissant mais trop propre, trop poli, pour vraiment laisser une empreinte durable.

En fait, sans la plastique fantasmagorique de son actrice, il est même probable que mon blockbuster hollywoodien d’action préféré du mois de mai 2024 serait plutôt l’étonnant La Planète de singes : Le Nouveau Royaume, dont je n’attendais absolument RIEN, puisqu’on parle quand même d’un film pondu par le réalisateur de la franchise pour ado Le Labyrinthe – comme quoi, on n’est jamais à l’abri d’une surprise. Je sais que tout n’est pas qu’affaire de CGI… mais dans ce film-ci, au moins, il n’y a aucune ambiguïté.

Notes

– Intérêt de placer le Max de Fury Road dans ce préquel : zéro. Du fan service au rabais. Du coup, ce serait LUI qui a sauvé Furiosa… d’où la réaction supposément étonnée de cette dernière la première fois qu’elle le voit dans le film de 2014 ! Aaaaaaah ! Euh… et ? Et rien.
– « Do you have it in you to make it epic ? » est une des répliques supposément iconiques les plus WTF qu’Hollywood a pondues ces dernières années. Je veux dire, ils l’ont carrément placée dans la bande-annonce.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *