Critiques

Enola Holmes (+ vlog)

Attention, grosse « sortie » Netflix de l’automne 2020. On vous entend d’ici tiquer à la lecture du nom, et à raison : Enola Holmes nous conte rien de moins que les tribulations de la petite sœur de Sherlock Holmes. Oui parce qu’il a une petite sœur, maintenant, ça a été décidé quelque part par quelqu’un, comme ça, pouf. Une Enola interprétée par Millie Bobby Brown, la Eleven de Stranger Things. Soit une des rares bonnes choses du film. Bon. Que les amateurs d’Arthur Conan Doyle se rassurent : Sherlock EST dans Enola Holmes. Qu’ils cessent aussitôt de se rassurer : toute cette partie vaut que pouic, avec des semblants d’énigmes pauvres à faire passer les films de Guy Ritchie pour des monuments au génie humain, un sous-emploi déprimant du personnage légendaire, et, dans le rôle, un Henry Cavill étouffant sous ses costumes étriqués… dont le miscast sautera aux yeux de quiconque connait le Sherlock original, pas vraiment baraqué, ni vraiment sociable, ni aussi charismatique. En gros, le Sherlock d’Enola Holmes, c’est Superman qui a remonté le temps et s’est déguisé en Sherlock Holmes. En fait, non : LÀ, on aurait pu se marrer.

Lien vers mon vlog consacré à Enola Holmes

 

Enola Holmes, ça parle surtout d’Enola. Rien de problématique, une fois que l’on a accepté ce postulat. Le problème, qui saute aux yeux très vite, est qu’Enola est surtout une archétype d’héroïne de littérature Young Adult sauce contemporaine, c’est-à-dire A) frappée du syndrome dit de « Mary Sue », désignant ces personnages féminins TELLEMENT fortiches que les nanas n’ont pas besoin de faire d’efforts pour être au top du game, ça leur vient juste naturellement… et B) flanquée d’une romance neuneu avec un bellâtre forcément incapable et fragile, puisque le féminisme en vogue déteste les mâles alphas. Le « girl power », pas quelque chose de mauvais en soi, semble avoir ici présidé à l’écriture d’une scène sur deux, et dans sa pire forme, c’est-à-dire la woke, du début, avec la destruction bien subtilement symbolique de la statue du grand-père, jusqu’à la fin, où le message « l’avenir dépend de nous » est paraphrasé pour la millième fois, ex-aequo avec « ta vie t’appartient »… en passant par le ridicule et narrativement mal placé séjour d’Enola à l’internat, limite Handmaid’s Tale, et la leçon de morale sur le patriarcat dispensée par un personnage « racisé » totalement anachronique… patriarcat personnifié par l’autre frère Holmes, caricature de réac joué par un Sam Caflin monolithique. La formule Netflix, en somme. Le féminisme, oui, mais pas celui-ci. Pas celui qui fait de l’homme un ennemi, merci.

Le récit d’Enola Holmes a fait l’étrange choix de courir deux lièvres à la fois : d’un côté, Enola à la recherche de sa mère volatilisée, et de l’autre, son idylle avec le bellâtre susmentionné, pour un résultat peu convaincant. Le premier lièvre suscite un vague intérêt lorsqu’il fait miroiter l’idée d’une fille découvrant que sa mère n’est pas celle qu’elle pensait être… quand soudain débarque le second pour nous occuper la majeure partie du temps, si bien qu’à la fin, quand le film reviendra à la mère, on se dira… « ah ouais, je l’avais oubliée, celle-là ! Peut-être parce que j’m’en fous, en fait ».

On peut, en étant trèèès bon public, c’est-à-dire en faisant l’effort de s’impliquer à fond dans l’action, apprécier les rebondissements de toute la partie consacrée au sauvetage du petit lord boyfriend, pas trop prévisibles, ce qui est déjà ça, et dans un emballage pas trop laid, à défaut d’avoir une vraie identité visuelle. Sans être une grande réussite, l’Angleterre victorienne n’est pas la bouillie de pixels qu’on craignait. Le montage, assez joueur, compense par son énergie le manque de carrure de la mise en scène, même si le vieil habitué de la télévision Harry Bradbeer parvient à nous trousser deux ou trois jolis moments d’action, comme l’empoignade pluvieuse pas TROP surréaliste entre Enola et le très antipathique bad guy (on a dit « pas TROP »). Par ailleurs, le script du scénariste Jack Thorne n’est pas dénué de malice : par exemple, les premières interactions entre Enola déguisée en veuve et la famille Tewkesbury sont très amusantes. Mais ces moments seront trop rares.

Divertissement archi-générique, Enola Holmes repose en fait bien trop sur les épaules de Millie Bobby pour charmer son public. En même temps, on le comprend : la pétulante gamine fait VRAIMENT le show, tant dans la comédie que dans l’action, et dans un accent anglais divertissant même lorsqu’il se plante ; elle a décidément tout d’une petite star.

Venons en alors, pour conclure, à l’autre des deux éléments du film qui parvient à laisser un souvenir au spectateur : le brisement du « quatrième mur », qui désigne ce moment où un personnage se tourne vers le public pour s’adresser directement à lui. Ici, la chose est pratiquée intensivement, et ça passe crème, comme on dit, transformant presque le film en un « buddy movie » où le public serait le partenaire de l’héroïne, Enola allant jusqu’à lui demander s’il a une idée pour la sortir d’une mauvaise posture. Ça ne casse pas trois briques, mais c’est très sympa. Mais la qualité médiocre du film fait de cette qualité… un gâchis. Dommage.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *