Critiques

Don’t Breathe : La Maison des ténèbres

Alors qu’Alien: Romulus sort en salle, petit retour sur ce qui est, à ce jour, le meilleur film de son réalisateur. En deux mots : « woh putain ». Voilà un petit thriller bien tendu du string, et d’un sacré standing, comme on y a rarement droit, à quelques exceptions près, comme 10 Cloverfield Lane. Et puisqu’on parle de film de genre, petit avertissement au lecteur qui n’a pas encore vu le film : la classification de Don’t Breathe dans le registre de l’horreur est… discutable. Certes, on a l’inquiétante affiche qui annonce un spectacle sinistre, et les yeux HANTÉS de terreur de son actrice principale enjoignant les nôtres à les rejoindre dans leur bad trip, et ce sous-titre français qui n’arrange rien à l’affaire, « La maison des ténèbres »… on a le gorissime remake d’Evil Dead pour précédente collaboration entre son réalisateur Fede Alvarez et son actrice Jane Levy… mais le spectateur ne sera cette fois-ci NI aspergé de tripes fraîches, NI marqué à vie par des visions d’épouvante. Ce n’est pas Sinister, ni Conjuring, ni Dans le noir. Ici, ni monstre mythologique, ni fantôme revanchard, ni même immondices génétiques comme celles de Massacre à la tronçonneuse. Si l’on devait jouer au jeu des comparaisons, DB serait un croisement du Sous-sol de la peur de Wes Craven pour le point de départ de son histoire (un gros loser s’en va cambrioler une maison sauf que fallait pas), du Seule dans la nuit de Terence Young pour son héroïne aveugle, et du Panic Room de David Fincher pour sa grammaire cinématographique. Rien de surnaturel : juste un vétéran de guerre aussi aveugle qu’une chauve-souris et dangereux qu’un doberman enragé, sa baraque-geôle, et, justement, son fidèle chien de garde réglé en mode Cujo. Ce qui fait déjà pas mal, quand on y pense.

Dans ta gueule, acte 2

Avec DB, l’amateur de sensations fortes n’aura donc rien de plus qu’un petit thriller tendu, claustrophobe, brutal, et parfois méchant… mais surtout rien de moins. Le précédent film du jeune Alvarez, son tonitruant, salissant et jubilatoire Evil Dead, laissait déjà entrevoir le talent de ce solide faiseur renouant avec l’horreur à l’ancienne à travers son style sec et son goût pour les effets spéciaux pratiques plutôt que numériques. Le film était tellement « over-the-top » qu’il en devenait intentionnellement réjouissant, mais ses moments de flippe étaient, eux, viscéraux. Ni « jump scare », ni artifices faciles : que de la composition de plan et du travail de montage faits pour susciter une peur aussi forte que surprenante. Que du bon pour DB, en gros.

Et DB est bon. Sacrément. D’abord parce qu’il est une nouvelle et heureuse illustration de la virtuosité formelle d’Alvarez, nouveau maître de la flippe nous chiadant un grand huit d’intérieur diablement ingénieux où l’espace est remarquablement maîtrisé et où l’action bénéficie d’un timing impeccable. Un pic de stress vient de passer, et vous croyez pouvoir respirer en attendant le prochain ? Mauvaise idée, pas de temps mort, dans DB, ou presque ! Quiconque maîtrise un minimum la grammaire cinématographique ne pourra qu’apprécier un tel degré de maîtrise, la méthode Alvarez comptant davantage sur l’image pour raconter une histoire que sur les dialogues (« show, don’t tell ! »). En s’accompagnant d’un travail du son royal (ces respirations accidentées !) et d’une bande originale délicieusement oppressante, il rappelle au passage combien le son est une des conditions sine qua non du succès d’un film du genre – ce que Sinister avait déjà bien rappelé, quelques années plus tôt.

L’épatante Jane Levy, actrice alors fétiche d’Alvarez, assure toujours autant en survivante recouverte de bleus et d’hémoglobine dont l’expression de terreur remplace sans problème les cris des « scream queens », et sait conférer ce qu’il faut d’humanité à son personnage de délinquante mal dégrossie pour faire de Rocky une des meilleures « final girls » que le genre nous a récemment offerts ; le prédateur que campe Stephen Lang est un antagoniste redoutable, tantôt pathétique, tantôt effrayant, un coup menace quasi-animale, avec sa façon de renifler l’espace (Stephen Lang a une douzaine de répliques au total), le coup d’après simple paumé psychologiquement et moralement brisé par la tragédie ; mais c’est surtout Dylan Minnette, qui étonne, dans le rôle étonnamment romantique du compas moral du trio et de l’ami désespérément « friendzoned » que son infatuation tuera… peut-être – [spoiler alert !] mention à sa performance dans une scène coupée où il profite de la présence d’un téléphone portable pour appeler son père et confesser ses crimes… [/off]

Un cauchemar inégal mais inspiré

Soyons honnêtes : passée l’excellente idée de départ, l’histoire de DB ne tient pas TOUJOURS la route. [spoiler alert !] Par exemple, comment l’aveugle, par définition un gars qui ne VOIT PAS, s’est-il arrangé pour kidnapper la nana responsable de la mort de sa fille ? Comment la police ne s’est-elle pas tournée vers lui en premier lieu, considérant l’identité de la victime ? Et ne parlons pas de l’épilogue, d’un grotesque limite improbable, car comment ces mêmes flics n’ont-ils pas pu arrêter l’aveugle avec TOUT ce qu’ils ont trouvé dans sa baraque ?! [/off] Il y a ces questions, plus quelques incohérences davantage oubliables en lien avec les sens de l’aveugle, parfois opportunément endoloris. Mais à part ça, le film se montre redoutablement malin. Une des raisons pour lesquelles 10 Cloverfield Lane fonctionne si brillamment tient au fait que son héroïne s’y comporte rationnellement et évite les énormités, de sorte à établir une connexion avec le spectateur qui ne se dira pas, toutes les cinq minutes, « non mais là, t’es trop conne, va juste mourir ». Pareil ici : si les personnages ont tant de mal à fuir cette maudite baraque, ce n’est pas parce qu’ils sont complètement crétins, ni parce qu’ils fuient chacun de son côté pour bien se faire tailler en pièce l’un après l’autre, ni parce qu’ils ont entendu du bruit au sous-sol et vont voir ce qu’il se passe, la fleur au fusil : s’ils ont TANT de mal à s’en sortir, c’est parce que leur situation est bien, BIEN pourrie, et que le méchant est bien, BIEN retors – sans pour autant être invulnérable à la Michael Myers. Ils auront toujours une raison plus ou moins valable de rester dans la baraque. En gros, là où se plantait malheureusement Green Room, le précédent prétendant au titre de petit film d’horreur méchant de l’année 2016, à cause de son incapacité à livrer un dernier acte à la hauteur des deux précédents, DB assure du début à la quasi-fin. Et il livre un spectacle tellement rempli que son heure trente en parait deux. Alors qu’il ne paraitra jamais long. Soit un savoureux paradoxe.

On est même étonné par la substance d’un film qui s’efforce de ne pas (trop) juger ses personnages en dépit de leurs (gros) défauts. Jusqu’à un certain point, on hésite même à décider QUI est le méchant, dans cette histoire de sales ou petits cons plus ou moins excusables : après tout, les « héros » sont de vulgaires voleurs que ne rend pas particulièrement appréciables leur scène d’introduction. Après tout, bien que l’aveugle ne soit pas le plus fréquentable des hommes, il semble vivre sa vie tranquille sans rien demander à personne, et a tout à fait le droit de se défendre dans sa propre maison. Et un des trois voleurs est même une sacrée tête de nœud dont on souhaite la mort assez vite. [spoiler alert !] Bien sûr, cette hésitation face à l’identité du « vrai » méchant est quelque peu dissipée par le twist du dernier acte, mais ça ne fera pas pour autant de l’aveugle une ordure diabolique… juste un dangereux frappadingue éploré [/off]. Alors que cette vague neutralité, cette absence de « gentil(s) » clairs et nets, ou du moins de personnages identifiables à des « gentils », aurait pu se retourner contre l’histoire en laissant sur le carreau le spectateur (« qu’ils crèvent tous ! »), il se produit l’inverse, avec l’aide des belles performances des acteurs. Et cela propulse un suspense déjà solide dans des hauteurs d’une intensité folle, car cette humanité inattendue n’empêche en RIEN le sadisme du film, et n’importe lequel des personnages peut crever dans d’atroces souffrances, à n’importe quel moment. Quand les jeunes cambrioleurs retiennent leur respiration pour ne pas être détectés par l’aveugle, le spectateur fait de même. Et il ressentira leur détresse, bien que ces derniers ne fussent pas les êtres les plus recommandables. Parce que rares sont les gens qui méritent ça. Ce n’est pas un film d’épouvante, mais un film d’« éprouvante », surtout quand survient l’énorme twist de la fille retenue en otage et ses implications, euh, procréatrices, qui font basculer le film dans un sordide auquel on ne s’attendait pas.

En fait, face aux mécanismes souvent inspirés d’une intrigue qui ne relâche JAMAIS la tension (mention à toute la partie en extérieur, notamment dans la voiture, avec le rottweiler, démentiel), donnant l’impression que nos protagonistes sont en enfer, que la désolée Détroit EST un enfer, on se dit que les couacs scénaristiques susmentionnés ne pèsent pas bien lourd.

Big Fincher is watching you

Plus encore que les évidents accents hitchcockiens, toujours intéressants à analyser mais terriblement prévisibles (quel cinéaste n’est pas plus ou moins influencé par Hitchcock ?), et plus encore que les références à des classiques comme Le Silence des Agneaux (Alvarez réussit à nous vendre une scène filmée en infrarouge sans souffrir de la comparaison), c’est l’ombre bienveillante de David Fincher qui plane sur le film d’Alvarez, via son Panic Room susmentionné : de nombreux éléments rappellent ce dernier, des concepts des deux films (dotés de protagonistes dont le but est de s’échapper d’une maison) à certains de leurs personnages (le chien fou du trio de cambrioleurs, Daniel Zovatto/Money, rappelle celui campé par Jared Leto), en passant par l’introduction visuelle de la maison (avec une caméra se baladant jusque dans ses moindres recoins) et même le générique d’intro, où le texte est intégré numériquement à des plans de buildings. Mais nul pompage éhonté, attention : Alvarez ne cesse de crier cet héritage plastico-spirituel ET de l’enrichir. Ce n’est pas un hasard si c’est à lui que Sony a confié les rênes de la saga Millénium, après le génial Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de son maître-à-filmer. Dommage qu’Alvarez ait foiré son coup, avec son médiocre Millenium : Ce qui ne me tue pas. Démarrer sa carrière par trois cartons était peut-être TROP indécent…

Contenu additionnel : Don’t Breathe 2, ou un cas d’école de la suite de trop

Petit épilogue parce qu’en parler vaut quand même le coup : en 2021 sortait cette suite que RIEN ne justifiait, et le spectacle a tant déconcerté votre serviteur qu’il se sent obligé de partager avec vous son impression à chaud d’alors. Allons-y (oui, je m’autocite, du coup) : catastrophe. DB2 n’est même pas une suite à proprement parler, mais un spin-off sortant de nulle part, à la US Marshals, spin-off du Fugitif. C’est un film très agréable à l’œil, quoique bien inférieur au premier dans sa gestion de l’espace cinématographique, mais surtout un film agressivement con. Si le problème se résumait à un enchaînement de décisions scénaristiques dénuées de sens dans un ensemble bricolé par des gens n’ayant RIEN compris à ce qui faisait le charme sauvage du premier, ça aurait pu passer, à la limite, ça aurait pu s’en sortir avec la moyenne, quoi, parce que Stephen Lang en impose toujours royalement dans le rôle de l’implacable Nordstrom, parce que les méchants sont méchamment méchants, parce que les morts sont toujours aussi salissantes, et parce que le rythme est soutenu… hélas, ce n’est pas le cas. Parce que les scénaristes, Fede Alvarez et son comparse Rodo Sayagues, qui a également été en charge de la réalisation, ont pris la décision ubuesque de transformer, ou plutôt D’ESSAYER de transformer Nordstrom, une pourriture de meurtrier, potentiellement en série, kidnappeur et violeur psychopathe, en ANTIHÉROS au parcours inscrit dans une dynamique rédemptrice (la fin laisse zéro ambiguïté sur ce plan), usant à ces fins de procédés ridicules, comme mettre face à lui des méchants ENCORE PLUS révoltants pour le faire passer pour le gentil, le faire refuser de descendre un chienchien, etc., et inspirant au final un gros « WTF » des familles à quiconque a un semblant de bon sens. Peut-être espéraient-ils que le spectateur ait oublié le 1er opus, je ne sais pas. Dans tous les cas, moi, je ne l’avais pas oublié. Du coup, grand malaise s’en est ensuivi. Et c’est dommage, parce que les qualités précitées, et parce que la gamine est top, aussi. On lui doit le peu d’efficacité dramatique de ce plantage impardonnable. Allez, Fede. On attend avec impatience le troisième carton.

Ci-dessous, quelques captures d’écran supplémentaires, pour le plaisir des yeux :

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