Critiques

Cocoon & Ron Howard (+ vlog)

Génèse de cette critique : j’ai regardé Une ode américaine, le nouveau film de Ron Howard, dans le but d’en tirer un vlog, mais le film m’a tellement gonflé que je me suis dit : « gars, trouve autre chose ». M’est alors venue l’idée de traiter d’un AUTRE film du cinéaste, un qui le mériterait, peu importe qu’il soit vieux, tant qu’il le mérite. Et un pas trop connu, de préférence, pour rendre la chose plus intéressante. Allez savoir pourquoi, celui-ci m’est venu à l’esprit. Écrivant cette critique en pleine crise de COVID, et donc à une époque où nos personnes âgées sont en grande détresse, j’ai trouvé bonne l’idée de traiter d’un film ayant pour protagonistes une bande de… eh bien, personnes âgées. Chose plutôt rare au cinéma, non ? Y compris de nos jours, alors qu’on parle d’inclusivité H24… étrange. Alors donc, Cocoon (ou Cocon, en québécois) (non je rigole). Un film que bien des moins de trente ans ignorent probablement, alors qu’il a quand même eu une suite, et une avec Courtney Cox, allez comprendre. Les années 80 sont à la fois une source de nostalgie à la mode et une éternelle victime de leur côté ringard… enfin. Le pitch : après s’être baigné en douce dans une piscine privée au fond de laquelle dorment des cocons extraterrestres, un petit groupe de résidents d’une maison de retraite floridienne, aussi mixte qu’amical, se retrouve doté d’une énergie et d’une santé aussi inattendues…

Lien vers mon vlog consacré à Cocoon

Rencontres du troisième age

Années 80, gentils aliens : on est dans le parrainage d’E.T., pas autant qu’un Vol du Navigator, mais l’esprit est bien là. Ce qui distingue malgré tout le film du lot est son sujet : la vieillesse. Sa fontaine de jouvence réénergise ses protagonistes, et ça donne des scènes très divertissante, mais ça ne dure évidemment pas, et se posent alors très vite un tas de question sérieuses comme… qu’est-ce que la vieillesse ? Comment s’articulent la vieillesse du corps et celle de l’esprit ? Et surtout, si la vie vaut la peine d’être vécue, cela veut-il dire que la vieillesse et la mort aussi ? À la première, le film apporte une réponse clichée mais forte : on ne peut rien contre le vieillissement du corps, mais on peut résister au vieillissement de l’esprit. Forte entre autres parce qu’il met en scène cette résistance et met en scène le troisième âge avec une authenticité et une tendresse rare… et parce que les trois vieillards centraux, suivis de très près par leurs compagnes, sont une VRAIE réussite, épatants, complémentaires, pleins de caractère, et surtout impeccablement campés – mention au légendaire Don Ameche, que ma génération connait principalement pour avoir joué un des deux affreux patrons d’Un Fauteuil pour deux.

SF des années 80, versant familial

Alors, le film ne parle pas QUE d’eux. Il y a… les extraterrestres, venus sous des enveloppes humaines (dont celle de Tahnee Welch, signalant que leur espèce a très bon goût) pour récupérer leurs cocons. Toute cette partie fonctionne très bien, les Antariens, leur mini-mythologie, les enjeux qui les motivent… et même à l’écran, leur apparence lumineuse, les scènes sous-marines, tout cela résiste étonnamment à l’épreuve du temps, les responsables des effets spéciaux n’ont vraiment pas de quoi avoir honte. La musique symphonique du film, signée James Horner – excusez du peu –, donne de l’ampleur à toute cette partie, à sa féérie.

Puis il y a Jack, aussi, le sympathique « capitaine » du rafiot qu’ils utilisent pour repêcher leurs cocons avant de les entreposer dans la fameuse piscine, interprété par le tout aussi sympathique Steve Guttenberg (COMBIEN de héros de films amerloques s’appellent JACK ?!). Connaître le nom de cet acteur est un indicateur très fiable que l’on a malgré soi atteint la quarantaine, l’acteur n’ayant pas survécu au changement de décennie (un peu comme le cinéma muet entre les années 20 et 30…) après une décennie 80 pourtant très prolifique (Diner, la saga Police Academy, Short Circuit…). Il apporte à son personnage toute la candeur qui a fait sa popularité.

Et la tendresse ?…

Ce personnage de grand naïf romantique qu’est Jack, assez proche de celui qu’a interprété Tom Hanks dans le précédent film de Ron Howard Splash !, ne sera cependant jamais vraiment développé, car ce n’est ni sa romance avec la belle illuminée d’outre-système solaire, ni même l’intrigue extraterrestre qui a intéressé Ron Howard, mais sa bande de petits vieux, puisqu’on vous le disait. Cocoon, tout réussi qu’il soit sur le plan technique, ne roule pas des mécaniques visuelles : si les effets spéciaux fonctionnent correctement, la photographie, elle, est un peu fade, il n’y a rien d’exceptionnel à VOIR, et la mise en scène de Howard est souvent assez scolaire… mais aussi assez sensible. Le réalisateur a eu l’intelligence de laisser le temps d’exister à ses vieux protagonistes. Cocoon est un film sur l’énergie, sexuelle, comme on le constate dès que ces derniers retrouvent leur mojo, mais pas seulement, et sur notre BESOIN psychologique, spirituel, de cette énergie.

No world for old men ?

On en revient, pour finir, à la question du rapport à la vieillesse. Dès les premières minutes du film, les protagonistes voient clamser en direct un résident de leur EHPAD pourtant très ensoleillé. Cette scène est-elle sa manière à lui de prêcher la saine acceptation de la mort ? Ou bien, au contraire, d’indiquer le chemin à ne pas suivre ? Après tout, QUI a envie de suivre ce chemin ? C’est ambigu. DONC intéressant. La fin, qui voit les vieux protagonistes partir vivre éternellement sur la planète antariène, pourrait laisser penser que le film est transhumaniste-friendly, mais le personnage de Bernie, qui reste sur Terre, est là pour rappeler l’amère beauté du cours de la nature, donc c’est équilibré. Cette partie du film m’a beaucoup fait penser à un excellent roman de SF écrit par Robert Charles Wilson, Le Vaisseau des voyageurs, avec son fascinant dilemme posé aux personnages, quitter leur enveloppe corporelle pour vivre éternellement mais, ce faisant, courir le risque de perdre ce qui fait d’eux ce qu’ils sont, ou bien… mourir. Autant dire que cette fin très original a dû, à l’époque, intriguer pas mal de fans de SF…

 

Retour sur la carrière de Ron Howard, de 1985 à 1996

La brièveté de la présente critique m’autorise un petit plaisir : celui de revenir sur la carrière prolifique du metteur en scène (là aussi brièvement, parce que sinon, on n’a pas fini). J’ai suggéré plus haut qu’elle était de bonne facture ; pour appuyer cette affirmation, je me concentrerai sur la première moitié. En y allant chronologiquement, tant qu’à faire. Totale transparence : je n’ai vu ni le premier film de Ron, Lâchez les bolides (en VO… GTA), sorti en 77, indisponible chez nous… et visiblement à raison, ni son deuxième, Les Croque-morts en folie, sorti en 82, parait-il porté par le one-man-show d’un jeune Michael Keaton… mais quant à lui tout juste dispo en VHS.

L’année où le monde libre réalise ENFIN que le rouquin de Happy Days est AUSSI réalisateur, c’est 1984, grâce à Splash. Un très sympathique film d’enfance dont la sirène, aux formes de Daryl Hannah, a été un très sympathique fantasme d’enfance. Disney a récemment censuré ses fesses numériquement pour que le film soit diffusable sur sa sainte plateforme Disney+ (prions pour eux), ce qui est plutôt ballot, parce que le plan desdites fesses sortant de l’eau, en plus de l’iconique moment du baiser aquatique avec Tom Hanks et des scènes de John Candy en grand frère boute-en-train, fait partie des meilleurs moments de cette stéréotypique mais ravissante petite romcom fantastique qui sent autant les années 80 que Cocoon. Puis est, justement, sorti Cocoon, et l’accumulation de deux hits au box-office a concentré l’attention des studios sur Howard. Ce dernier a enchaîné avec Gung ho, du saké dans le moteur, sombre nanar comme son nom l’indique (on passe), mais immédiatement retrouvé son mojo avec Willow, en 1988, indéniablement une date dans l’histoire du genre médiéval-fantastique au cinéma américain de par le carton qu’il a fait au box-office, mais le carton était-il mérité ? Willow n’est pas vraiment un film pour enfants parce que son degré de violence surprend parfois (en même temps, c’était les années 80 !), ni vraiment un film pour adultes parce que l’humour y est… enfantin (faudrait savoir, les gens), et que l’ensemble est quand même assez neuneu, malgré le cabotinage viril de Val Kilmer. Pour moi, le film doit en bonne partie cette dernière faute à Warwick Davis, dont je n’ai jamais supporté le jeu, ni la tronche, désolé, et ce même gamin. Non, je n’ai rien contre les nains. J’ai des AMIS nains. Si Peter Dinklage avait joué le rôle, j’aurais été preneur à 100%… mais non.

Aaaaah, bonne année 1989 avec Portrait craché d’une famille modèle. « Une comédie familiale », diraient Les Nuls. Un très joli et très divertissant film sur la parentalité – le titre original est Parenthood –, tricotant sur un ton gentiment acerbe une mosaïque de façons d’être parents toutes plus imparfaites les unes que les autres. Son côté tue-l’amour comme son côté galvanisant y sont dépeints intelligemment, comme l’éternelle responsabilité qu’elle porte en elle, le tout remarquablement interprété par une troupe de comédiens en grande forme (dont Steve Martin, autre star hollywoodienne qui n’a pas survécu aux années 80 !)… Le film n’a pas d’intrigue particulière, c’est juste une chronique familiale, et une très juste, au bout de laquelle rien ne se résoudra magiquement, comme si les scénaristes avaient anticipé que la télévision adapterait DEUX FOIS leur film en séries (en 90 puis en 2010, pour deux résultats décents). Et puis, voir Keanu Reeves lycéen se bagarrer dans le jardin avec Joaquin Phoenix jeune garçon, c’est toujours marrant.

Aaaaah, encore meilleure année 1990 avec Backdraft, où le débarquement en bruits et fureur du soldat Ron dans la décennie. Backdraft, un des films préférés de mon adolescence, est un drame sous stéroïdes à la gloire des combattants du feu porté par un saisissant sens du spectacle d’action décomplexé, et doublé d’un thriller pas mal ficelé que porte discrètement Bob de Niro. Un hymne tous azimuts, et autant dire TRÈS américain, aux liens du sang et à l’héroïsme, avec les cornemuses à l’enterrement et tout le tralala (peut-être la raison pour laquelle on n’en est pas fan dans nos ethnomasochistes contrées ?)… autant dire que le gentil Ron avait étonné, à l’époque. VRAI feu, VRAIS décors d’avant l’ère des CGI, on s’en prend plein la tronche, sans oublier les sentiments, ni le VRAI charisme de Kurt Russell (qui aurait cru que lui et le frère Baldwin pourraient camper un duo de frères qui marche ?)… ni la musique de Hans Zimmer, grandiose, tonitruante, hyperbolique. Certains lui trouvent des gros sabots. Plutôt que d’être rebuté par le « too much », moi, je me laisse porter, surtout lorsqu’un tel « too much » accompagne un aussi puissant et galvanisant dernier plan – pas étonnant que les chiffres du recrutement chez les sapeurs-pompiers aient bondi en flèche après la sortie de ce film…

Le cinéaste renoue cependant avec l’échec pendant quelques années. 1992 a vu la sortie d’Horizons lointains, grosse reconstitution historique qui paraissait peut-être une étape logique dans l’ascension du réalisateur, avec Tom Cruise et Nicole Kidman, censément un ticket gagnant… ou pas. Backdraft, c’était le bruit et la fureur ; là, on parlera plus de pertes et fracas, pour la maison de production, mais pas seulement. Ron se vautrant gentiment en essayant de jouer les David Lean (reconnaissons-lui de beaux panoramas, au moins…), Tom insultant l’accent irlandais toutes les deux minutes (mais oui, il peut faire quelque chose MAL)… désolé, mais sans surprise, je passe. Puis a suivi un second four au box-office : Le Journal, sorti en 1994, une énergique et attachante « dramédie » sur la routine chaotique d’un quotidien en constant état de tension entre le besoin de rendement et l’éthique journalistique (problématique qui n’a jamais été plus d’actualité…). En fait, j’en ferai même le troisième « aaaaah » de cette revue, ce qui fait donc de son échec une grande injustice ! Le film est parfois un peu caricatural, parfois un peu surréaliste, il s’y passe beaucoup de choses sensationnelles en très peu de temps, MAIS de façon complètement assumée, puisque c’est une dramatisation, et une très, très chouette, cf. des brillants moments de comédie, comme cette empoignade aussi égalitaire qu’inattendue entre deux rotatives, et dont pas mal rappellent combien Michael Keaton brillait dans ce registre. C’est The Newsroom, mais sans les dialogues ping-pong fatiguant à la longue, ni les personnages féminins caricaturaux de Sorkin. Pas taper.

Renouons avec les « aaaaah » à succès avec 1995 et Apollo 13, ou l’entrée de Ron dans la cour des cinéastes invités par l’académie des Oscars avec un film situé entre L’Étoffe des Héros et Gravity, et dont l’étonnante capacité à se mesurer à ce qui se produit encore AUJOURD’HUI dans le genre tient partiellement au fait que ses scènes spatiales ont été tournées… en apesanteur, littéralement (l’autre fait étant la qualité des décors, cela va sans dire). Trop peu de gens le savent, ça. Mais de toute façon, tout le film est un tour de force : parvenir à passionner l’audience avec deux heures passées dans une boite de conserve est un accomplissement. Vraiment, les personnages coincés dans l’espace  passeront un bon quart du film à appuyer sur des boutons pour survivre. Pas de maestria, ici, ce n’est pas du Kubrick, mais de l’artisanat solide au service d’un sujet sur lequel le sanctifié Damien Chazelle s’est, lui, cassé les dents avec son First Man (désolé). Hey, mais : Ed Harris est le directeur de vol de Houston dans ce film ET dans Gravity ! Hum.

1996 et La Rançon marquent le dernier « aaaaah » de ce récapitulatif, ce qui nous en aura fait cinq, plutôt pas mal pour quinze ans de carrière. La Rançon est un thriller à mon sens trèèès mésestimé, et je suis bien le premier à reconnaitre ses quelques cafouillages scénaristiques. Vous voulez une confrontation qui a de la gueule alors qu’elle se passera 90% du temps par téléphones interposés ? Prenez Mel Gibson au sommet de son art et de son charisme, mettez face à lui un Gary Sinise alors légitimement en vogue, et voilà (à prononcer avec l’accent américain) ! Toute la mise en place est solide, elle fait le job au tempo approprié, et les premiers temps du kidnapping divertissent par la minutie des kidnappeurs, mais c’est la décision que prend, à mi-parcours, le protagoniste vis-à-vis de son fils kidnappé, qui rend le film si mémorable, et conduira à des pics dramaturgiques que seront les échanges, non, les AFFRONTEMENTS téléphoniques intenses qui ensuivront entre Gibson et Sinise, masterclass de jeu et de montage, portés par la musique inspirée de James Horner, encore lui. Horner, compositeur qui, jusqu’à sa mort inattendue en 2015, aura accompagné toute la filmo d’Howard à quelques exceptions près.

En 1999 sort En direct sur Edtv, sympathique comédie qui a été complètement éclipsée par l’éclat du Truman Show à cause de leurs similitudes, je passe… 2000, la débandade avec Jim Carrey The Grinch, ou comment très mal commencer un millénaire… ça tombe bien, c’est là que je comptais m’arrêter. Ce n’est cependant pas comme si je ne trouvais aucun intérêt à écrire sur les vingt années suivantes de sa carrière. On entre dans une période où sa filmo m’emballe nettement moins, avec ses puddings à oscars et ses égarements commerciaux, mais ses quelques belles réussites mériteraient à elles seules un article, à commencer par le surpuissant et survolté Rush de 2014, un des plus grands films de formule 1 jamais conçus et peut-être le plus grand film d’un réalisateur qui n’aurait pas eu le savoir-faire suffisant pour concevoir un tel spectacle vingt ans plus tôt, suivi du très rigoureux et malin Frost/Nixon, sans oublier le plus important, Solo: A Star Wars Story. Non je déconne.

Ainsi la période allant de 1985 à 1996 a-t-elle clairement été l’âge d’or du cinéaste… mais pour les deux films que je viens de citer, malgré les plantages, malgré l’âge qui n’arrange généralement rien, j’estime qu’il mérite encore aujourd’hui notre attention.

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