Critiques

Black Adam

Dwayne « The Rock » Johnson incarne Teth-Adam, un ancien esclave de Kahndaq doté de pouvoirs surnaturels conférés par les dieux égyptiens dans toute leur glorieuse égyptianité. Réveillé après des milliers d’années d’emprisonnement, Black Adam se retrouve dans notre monde moderne, où il devra décider s’il est un destructeur impitoyable ou un héros protecteur. Alors qu’il sera aux prises avec sa nature sombre, il attirera l’attention de la Justice Society of America, un groupe de héros déterminé à l’arrêter et à maintenir la paix… ouais-ouais. Eeeeeeet c’est une catastrophe. Adam Noir, c’est tout, sauf ce qu’il fallait au cinéma d’action à grand spectacle US. C’est le genre de banana-split indigeste de studios hollywoodiens sans ambition créative, archi-formatés, très peu réfléchis, et plus ou moins involontairement régressifs, qui font dire aux cyniques, ceux qui se sont rangés avec zèle du côté de papy Scorsese lorsqu’il a suggéré que le MCU n’était « pas du cinéma », que les films de superhéros, c’est VRAIMENT pour les moins de douze ans. Tout, sauf ce qu’il fallait parce que ce cinéma DOIT exister, comme les films d’auteurs muets birmans de trois heures trente aux teintes sépia DOIVENT exister, car le cinéma est assez grand pour tous les goûts. Il faut juste que les films soient bons, chacun dans son répertoire. Et Adam Noir n’est PAS bon. Même Dwayne Johnson, qui n’a même pas fait l’effort de bricoler un semblant d’accent alors que son personnage nous vient des tréfonds mythologiques de l’Égypte archi-antique, livre une performance en mode éco, bien moins amusante que ses performances dans les Jumanji.

Un scénario débile

On ne va généralement pas voir un film de superhéros pour être ébloui par la profondeur de ses dialogues et la nuance de ses portraits, mais son scénario doit cocher un certain nombre de cases et/ou éviter un certain nombre d’écueils. Celui d’Adam Noir en coche peu et en évite encore moins : les one-liners abominables s’enchaînent (« I’m not peaceful, nor do I surrender. ») (« Heroes don’t kill people ! » « Well, I do. ») alors que ce type de films est censé en avoir au moins deux ou trois sympas  ; le personnage du gamin, censé servir de ressort comique/touche postmoderne, saoule très, très vite (tout les échanges avec Adam autour de sa catchphrase, dur-dur), tout comme le blabla censé susciter la réflexion sur ce qu’est un superhéros puis un héros tout court ; le conflit entre Hawkmachintruc et Adam, fondé sur une opposition éthique censée suffire à lui donner son sel, est terriblement artificiel ; l’acharnement de l’intrigue à garder l’héroïne dans le mix tourne vite à l’absurdité ; l’intrigue dérive lentement mais sûrement vers le pilote automatique – plus à ce sujet plus bas. Et ce n’est pas la décente mais insipide « origin story » du héros qui sauve les meubles : ces histoires d’esclaves devenant des héros, on déjà vu ça mille fois en mieux, et on voit venir à mille kilomètres son twist , avec le fils et Adam et la statue et tout ça, pourtant censé être la valeur ajoutée de cette partie…

La « Justice Society » (sic) résume un peu le problème de cette histoire, en ce qu’elle ne ressemble à rien (formidable expression). Les membres de sa fraîche équipe paraissent pompés sur un peu tout et n’importe quoi du paysage superhéroïque : on a un Hawkeye bis avec le personnage de Hawkman (resic), on a un insipide combo d’Antman bis et de Deadpool bis avec Atom Smasher, on a une sorte de Storm sans la neige, avec Cyclone (remplacer la neige par des rubans de couleurs, super plan), tous joués, il va sans dire, par des acteurs au charisme de sandwich Subway, à l’exception bienvenue du docteur Fate, joué par Pierce Brosnan, seul personnage ressemblant à peu près à quelque chose… mais qui, hélas, s’enterre vers la fin avec une incohérence absolument tragique – « je peux voir le futuuuur… enfin, attention, hein, on peut le changer quand même, vous inquiétez pas ! ».

La blague de l’anti-héros

Humour : tous ces ratages auraient probablement été moins pénibles… sans l’humour. Incessant. Parce que dans Adam Noir, la culture de la blagounette contractuelle par minute qu’a popularisée le MCU dans les années 2010 est appliquée à la règle – et ça commence très vite, dès l’apparition du sympathique frère de l’héroïne, en surpoids DONC jovial selon l’univers mental des scénaristes hollywoodiens. Entendu, peut-être pas le PIRE : après tout, on peut faire une overdose de blagounettes… en s’amusant. Le film se condamne tout seul à l’insignifiance, comme un grand, mais au moins, son humour fonctionne, donc le public ne s’ennuie pas, cf. Thor Ragnarok, tout mineur soit-il. Avec Adam Noir, le tout-humoristique se double du rarement-drôle – les personnages secondaires, assez bas en couleurs, en font les frais. Le film n’est pas une catastrophe intersidérale à la Thor Love and Thunder, pour rester dans cette franchise, car il n’est pas traversé de bout en bout par cette répugnante et sinistre impression d’avoir été bouclé par un réalisateur qui n’avait juste rien à foutre de ce qu’il racontait – Taika Waititi, en l’occurrence –… mais ça reste problématique, comme dirait l’autre.

Dans cette entreprise d’un conformisme et d’une inoffensivité déprimants, l’idée-même d’essayer de faire passer Adam pour un antihéros a quelque chose d’insultant. Une des premières choses que fait notre prétendu « antihéros » à son réveil est de sauver l’héroïne dans un acte parfaitement altruiste, puisque sa survie ne lui est d’aucun intérêt, et le gars enchaînera par la suite les actes héroïques posant sans ambiguïté son compas moral assez conventionnel, sous ses dehors un peu bougons. C’est un HÉROS… qui aime simplement se donner des airs. Avec sa capuche noire couvrant la partie supérieure de son visage pour lui donner un air super mystérieux. Un énième HÉROS dwaynejohnsonien… que le spectateur est censé prendre pour un personnage ambivalent, limite subversif, simplement parce que les scénaristes lui ont fait zigouiller quelques mercenaires anonymes ? Même Dexter échouait à faire passer son protagoniste, pourtant autrement plus atteint, pour un « méchant », car au bout du compte, il était en alignement moral parfait avec l’Ancien Testament… que dire alors de ce cher Adam, qui n’inspire pas un seul instant la moindre sensation de danger ? Et la promo a OSÉ le slogan « le monde change, les héros aussi » avec cette sidérante absence de honte qui la caractérise ! Nah. Non merci, Dwayne. À moins que ton film ne s’adresse VRAIMENT qu’aux moins de douze ans, ceux qui trouveront la capuche noire inquiétante. Plus sérieusement : Hollywood, si tu veux mettre en scène un demi-dieu en pétard crédible, inspire-toi davantage de la scène du réveil de Clark Kent dans Justice League (la Snyder cut !).

Cerise sur le gâteau : vers la fin, un personnage dit à Adam : « the world doesn’t always need a white knight, sometimes, it needs something darker ». Glissons sur l’originalité saisissante de cette réplique. Que dit-elle, en substance ? Que le monde a besoin d’un… euh… dark… knight. Genre, littéralement. Zéro honte. Quelqu’un a envie de réécouter le monologue final du film de Christopher Nolan ? Épargnons ça à Adam Noir.

La médiocrité en quête du cool

Mais comme toujours, que cela soit juste ou injuste, la faute incombe au réalisateur, ici Jaume Collet-Serra, dont la mise en scène est d’un manque de caractère propre à faire passer la production Marvel moyenne pour du James Cameron de la grande époque… aurait-on envie de dire sur le coup de l’énervement. Mais ça va. Zen. Il ne faut pas oublier que Marvel s’est récemment humilié avec deux films cinématographiquement calamiteux, Venom 2 et Morbius, qu’Adam Noir n’égale pas en nullité. Pour autant, celle de sa mise en scène est bien là, au sens presque mathématique. Prévisible, reconnaissons-le, pour quiconque était familier de la filmographie de l’homme, dont les deux-tiers consistent en des festivals de boum-boum à la gloire du Liam Neeson post-Taken aussi génériques qu’alimentaires – sur dix films, seuls deux sont réussis, Esther et Instinct de Survie. Rien ne laissait entendre qu’il avait les épaules pour donner du corps et du caractère à un énième banana split superhéroïque à deux-cents millions de dollars, et à raison. La réalisation du présent film est en quête quasi-interrompue du spectaculaire pour créer de la tension sans jamais savoir comment s’y prendre, et ça se sent, c’est fébrile, ça essaie des trucs, ça se plante, du coup, ça ne fait pas de vague pour un moment, se contentant du filmage le plus conventionnel possible (ah, et ce nombre de contre-plongées sur Dwayne Johnson pour exprimer combien il est fort, magnifique)… Sans surprise, elle ne cesse par ailleurs de s’accrocher aux CGI, qui tiennent la route, heureusement, compte tenu du budget (et encore, leur gestion des explosions est parfois assez calamiteuse), mais sans panache aucun, et nous valent même quelques grands moments d’artificialité ringarde (quand le jardin se transforme en… piste de décollage ?) au milieu d’une direction artistique aussi terne que le reste.

Peut-être est-ce pour cette raison que Collet-Serra, tâcheron des tâcherons, régurgite la patte du susmentionné Zack Snyder, dont il semble avoir bouffé toute la filmo avant de commencer le tournage ? La chose saute aux yeux dès son prologue, avec ses airs de 300 du pauvre, et traverse le film, notamment via une utilisation abusive du ralenti. On compte même des plans carrément pompés sur Man of Steel, comme celui de la contre-plongée où Adam flotte à la surface de l’eau. En parlant de Snyder, le seul « moment » d’action qui a de la gueule, dans Adam Noir, c’est le premier du héros, lorsqu’il défouraille du mercenaire… la raison ? Son recyclage du formidable style de combat mis au point par le Snyder et son équipe à l’occasion du susmentionné Man of Steel, essentiellement dédié au formidable personnage de Faora, et repris spectaculairement dans Justice League (la Snyder cut !) pour Wonder Woman. Reverra-t-on Adam se battre de cette façon, par la suite ? Nope. C’était juste cool sur le moment, faut croire.

Puis vient une espèce d’hommage aux westerns de Sergio Leone, à travers cette scène d’action où Adam se retrouve face à trois mercenaires patibulaire, et où retentit la musique d’Ennio Morricone. On sait qu’on est censé trouver ça cool… vous l’avez compris, le cool, c’est très important, pour le réalisateur et ses employeurs… mais ce n’est pas ce qui arrive. Ce qui arrive, c’est la gêne. Et ce moment ridicule ne peut même pas compter sur les moins de douze ans, ni même sur les moins de seize, puisqu’il fait référence à un vieux film que la plupart d’entre eux n’ont pas vu. Collet-Serra est à côté de ses pompes. Une autre conséquence funeste de cette quête du cool est l’utilisation suprêmement aléatoire de tubes rock – allant des Rolling Stones aux Smashing Pumpkins – pour accompagner des scènes sans le moindre rapport avec l’esprit ou les paroles desdits tubes ; les spectateurs affligés par le fardeau de la bonne mémoire seront renvoyés aux heures sombres de Suicide Squad. Et ça en dit long.

Parodie involontaire ?

Oui, Adam Noir est garanti zéro temps mort. C’est vrai. Le cerveau éteint, on peut se satisfaire de cet enchainement soutenu de plans diablement mouvementés. Il en est rempli. De rien. Allez, disons à 85% car tout n’est pas à jeter non plus, ce n’est pas Jurassic World : Le monde d’après. En fait, durant ses deux premiers actes, votre serviteur était même prêt à lui coller un généreux 4/10. Revoir la princess perse Sarah Shahi était toujours sympa, malgré ses opérations de chirurgie esthétique très malvenues. 4, ce n’est pas bon, mais ce n’est pas non plus TRAGIQUE, ça se regarde d’un œil distrait… en espérant que ça s’améliore en cours de route. Par exemple, on était en droit d’espérer que le dernier acte révèlerait un NOUVEL antagoniste (à la 24 heures chrono…), un moins pourri que le vilain Ishmael (sérieusement, les gars ? Ishmael ?). Ou qu’il aurait en réserve des scènes d’action de qualité. Mais les vingt dernières minutes ont, au contraire, tiré le film dans les tréfonds infernaux du 2/10, avec son festival abrutissant de destruction urbaine en pixels… son armée de squelettes morfales sortant de nulle part (attention mesdames et messieurs, pour le clou du spectacle, nous vous présentooons Sabbaaaaac et ses légioooons de l’enfeeeeer, on applaudit bien fort !)… Sarah Shahi s’en allant combattre au ralenti lesdits zombies dans un grand moment de « cringe », comme on dit… ses violons interminables sur l’amitié entre les personnages du docteur Fate et de Hawkeye bis alors qu’on s’en fout complètement… son peuple se soulevant à l’appel d’un gamin (dafuq) sous les yeux béats de maman Shahi (un des moments les plus tartes du cinéma US récent)… etcetera. Le pilote automatique a été évoqué, plus haut : cette débâcle finale rappelle carrément la machine à Besson de Mozinor, et donne l’impression de mater une parodie.

La lecture d’interviews de Dwayne Johnson parues à l’occasion de la sortie du film laisse perplexe, hésitant entre la limitation intellectuelle et le cynisme. « Le ton est relativement sérieux »… « C’est un personnage qui utilise son intelligence comme superpouvoir, qui aime les joutes psychologiques »… « La Justice Society of America, ces personnages géniaux du panthéon DC »… vraiment, Dwayne ? Des années de préproduction pour ça ?

Le pire, dans cette affaire, est que le succès du film au box-office conforte le duo DC/Warner dans l’idée de produire ce genre de mongoloïderies plutôt que des films de superhéros… pas forcément brillants, mais au moins un tant soit peu ambitieux ET adultes, comme ceux de Snyder. Batman v Superman, par exemple : film foiré, vaut mille Adam Noir.

Notes :

– L’apparition de la blonde qui roule pour Amanda Waller, son jeu, sa voix : que dire ?
– KENT… ? Encore une fois : vraiment ? De tous les patronymes attribuables à un personnage de l’unviers DC, il n’y avait que celui-là ? Là aussi, que dire ? Rien.

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