Adieu les cons (+ vlog)
La sortie d’un film d’Albert Dupontel, gars qui se fit connaître au milieu des années 90 en pitre de music-hall, est toujours un événement ciné. Même le film le plus mineur de sa filmo a quelque chose d’original à raconter, constitue une proposition de cinéma qui suscite la curiosité. Le cru 2020 s’intitule Adieu les cons. Le pitch : Suze, atteinte d’un mal incurable et désireuse de retrouver l’enfant qu’on lui a enlevé alors qu’elle avait quinze ans, part à sa recherche avec l’aide de JB, quinquagénaire qui vient à l’instant de rater son suicide, et de M. Blin, archiviste aveugle MAIS enthousiaste. Fantaisie s’ensuit. De la bouche du cinéaste, l’idée du film est partie d’une question : que se passerait-il si une femme qui veut vivre mais ne le peut plus rencontrait un homme qui peut vivre mais ne le veut plus ? Point de départ intéressant dont il tire un film divertissant, touchant… mais pas entièrement convaincant.
Lien vers mon vlog consacré à Adieu les cons
Vingt-cinq ans de Dupontel
La majorité des cinéphiles qui ont vu Bernie, premier long-métrage de Dupontel et objet de culte bien mérité, à l’époque de sa sortie, ne peuvent QUE se rappeler encore l’effet qu’a produit sur eux cet OVNI. La contrepartie de ce choc fut qu’aucun des films suivants de Dupontel est sorti vainqueur de la comparaison, et les années ont passé sans que je ne me sente jamais vraiment comblé, notamment à cause d’une propension aux enfantillages qui affadissait son cinéma… puis arrivé le génial 9 mois ferme, en 2012, qui a remplacé l’affadissement par de l’adoucissement : exit le nihilisme bordélique de Bernie sous perfusion du magazine Hara-kiri, place à quelque chose de plus posé, de plus écrit.
De ce point de vue, Adieu les cons est dans l’ensemble satisfaisant. Dupontel a développé une belle concision dans l’écriture de ses dialogues, et donc dans la caractérisation de ses personnages… à commencer par celui de Suze, campée par une Efira comme prévu impeccable – depuis le désopilant Victoria, je suis très amateur de l’actrice. Dupontel narre à travers l’image un sacré progrès de vie pour nos deux personnages centraux en l’espace de quarante-huit heures, le tout ponctué de bons mots, comme « Je meurs d’un excès de permanente », et ce sans pour autant TROP négliger le brin de folie qu’on lui connait, assuré ici notamment par l’archiviste aveugle joué par le chien fou Nicolas Marié, son meilleur habitué, qui a ici poussé la méthode Actors studio au point de jouer son personnage les yeux fermés. Le film se veut plus une tragédie burlesque qu’une histoire d’amour un peu excentrique, ça se sent. Comme l’était Bernie, dans le fond.
Envie de cinéma
La première chose à reconnaître est que rares sont les réalisateurs français dont le cinéma exprime aussi vivement une envie de… cinéma que Dupontel. Ses films sont de ceux qui sortent de sa torpeur le septième art national pour un résultat inégal, mais jamais sans panache. Et l’on remarque cette envie parce qu’elle paie, généralement. Sur ce plan, Au revoir là-haut a été une explosion esthétique – peu importe que le film ne m’ait vraiment emballé à cause de son scénario décousu. Mais en dépit de ses humbles prétentions, Adieu les cons est quand même l’opus le plus réussi esthétiquement de Dupontel après Au revoir : la photo du film, reprise numériquement à l’étalonneuse, avec ses couleurs chaudes et ses images saturées, ses décors parfois exquis – il arrive même à rendre la Défense magique –, son utilisation de la grue, dans une montée d’escalier en colimaçon par exemple, sa quête certaine d’innovation au montage… La seule faute de goût notable sont les flashbacks centrés sur la grossesse de Suze adolescente, un peu kitsch, mais c’est anecdotique. Attention en revanche, le film abuse un peu du strobo, donc gaffe aux épileptiques.
Anti-système… comme prévu
Dupontel a toujours été un trublion. C’est un anti-système, dans ce que ça peut avoir de plus naïf, mais aussi de plus amusant et rafraîchissant. Son cinéma aime donner des coups de pied dans la fourmilière, peu importe à quoi ressemble la fourmilière, comme dans Bernie, bien sûr, qui confrontait la réalité faussement proprette à la folie, ou encore dans Enfermés Dehors, critique d’une société hygiéniste où l’on vaporise les SDF. Dans 9 mois ferme, les juges d’instruction sont plus tarés que le cambrioleur joué par Dupontel. Cette société est en parfaite résonnance avec la nôtre : déni de l’individualité, avec ses protagonistes dont on oublie le nom à répétition et dont on aperçoit à peine le visage dans un métro parisien sans lumières, ensevelissement sous l’information, psychiatrisation de masse avec l’escroc qui dresse un portrait psychologique grotesque de JB, ambivalence du « progrès » dans un monde numérisé… la limite de la chose est que ça relève par moments de l’enfonçage de portes ouvertes, mais cette critique de la société ne fait que sous-tendre l’essentiel, c’est-à-dire les grandes obsessions personnelles de Dupontel, qui ne fait jamais que parler d’enfants en quête de parents et de parents en quête d’enfants. Le cinéaste a parlé de la « difficulté de s’aimer dans un monde anxiogène » ; Adieu les cons, joli film sur les actes manqués, aussi, illustre cette difficulté de façon originale.
Un peu trop de maturité ?
Je suis aussi entré dans Adieu les cons avec en tête le délicieux En liberté ! car je m’attendais à un semblable vent de folie, à la sauce dupontélienne, évidemment. Le seul problème, c’est qu’Adieu les cons n’est pas à la hauteur de son titre un peu anar. « Adieu les cons », ça sonne comme un doigt d’honneur flamboyant… or ça sonnera un peu faux, dans le film. La vérité est que le cinéma de Dupontel est de moins en moins chtarbé. On peut parler de maturité ; dis comme ça, c’est positif. Mais en même temps, si les gens ont aimé Bernie, c’était pour une bonne raison. L’excès exaltait. On ne demande pas le punk hystérique d’Enfermés dehors… mais au bout du compte, la meilleure partie d’Adieu les cons, c’est l’excessive, c’est-à-dire la première moitié. Après… ça devient un peu plan-plan. La poésie bascule dans le mignonnet, comme avec la partie Berroyer. Le film est court, 1h27, comme la plupart des Dupontel, et pourtant il arrive à avoir un petit coup de mou dans sa seconde moitié… peut-être parce que le réalisateur s’est un peu perdu dans son monde. Il fallait au moins ça pour croire que la scène de l’ascenseur, sans spoilers, allait être AUTRE CHOSE qu’improbable, et donc ridicule, même selon les standards du film.
Le côté Amélie Poulain du cinéma dupontélien, qui s’est développé au fil des années et qu’on retrouve ici dans M. Blin, les flash-backs et la musique, est à double-tranchant : bien exploité, ça peut être charmant ; mal, ça peut alourdir la guimauve et braquer ceux qui ont déjà du mal avec le classique de Jeunet. Fort heureusement, Efira et Dupontel, acteur exceptionnel dans le registre dramatique, font passer la guimauve des bons sentiments en leur prêtant une authenticité… fluidifiante, dira-t-on, jusque dans cette fin un peu brusque même si c’est assumé. Dupontel est un bon exemple de cinéaste qui tire de meilleur de son expérience d’acteur pour créer quelque chose de fort avec les siens. Son empathie à l’égard de ses personnages et le cabotinage de Marié sauvent de justesse le troisième acte. Et donc, dans l’ensemble, le film.
Oui, mais non (revue de presse)
Avant de finir, brève revue de quelques passages de critiques presse mis en exergue sur Allociné. Pas besoin de préciser que je ne me pose pas en détenteur de la vérité, ce n’est que mon avis sur des avis. Je me concentre sur le négatif puisque j’ai, dans l’ensemble, aimé le film. Les Cahiers du Cinéma semble regretter l’insolence des anciens Dupontel : c’est mon cas aussi, mais vous l’avez compris, si vous cherchez du subversif avec le Dupontel euh mâture, mieux vaut passer votre chemin. Puis ils parlent de « récup’ opportuniste du sujet des violences policières »… ou comment projeter bien sévèrement. Les Inrocks parlent, en écriture inclusive s’il-vous-plait, de grandiloquence kitsch : j’ai moi-même parlé de kitsch, mais pour le limiter à certains passages ; dans l’ensemble, le film est grandiloquent, oui, mais kitsch, je ne vois pas… haut en couleurs et kitsch, ce n’est pas la même chose. Libération parle d’un « After Hours rabougri » et d’une « tour impersonnelle » : alors, ça fait tout naturellement référence au jubilatoire et complètement fou voyage au bout de la nuit new-yorkaise de Martin Scorsese, et… je ne vois pas le rapport. Parce que l’action du Dupontel se passe autant de jour que de nuit, que ses protagonistes sont à la recherche de quelque chose de positif alors que celui du Scorsese cherche à fuir un monde interlope craignos, que l’univers de Scorsese n’a rien d’améliepoulinesque… Quant à la « tour impersonnelle », ouais ben, c’est une tour de la Défense, quoi. Je suis sûr à 98% que c’était l’idée. Le CONTRE de Télérama parle de « film con… formiste » : j’ai parlé d’enfonçage de portes ouvertes dans mon chapitre dédié à la critique de la société à laquelle s’est livrée Dupontel : c’est louable, mais inoffensif. En revanche, je ne dirais pas « conformiste », mais… conformé.