Critiques

Le Diable, tout le temps (+ vlog)

On pourrait se plaindre que le présent film fout un peu le bourdon parce que quasiment tout le monde y est plus ou moins dégénéré et qu’une bonne moitié de ses personnages finira en enfer, mais son titre étant Le Diable, tout le temps, on peut difficilement le lui reprocher. Pas le diable, PARFOIS, pas le Diable À MI-TEMPS non plus, non-non, TOUT LE TEMPS. Du coup, on ne peut pas les accuser de publicité mensongère. De film un peu foireux, en revanche, c’est possible. C’est même recommandé. Alors, de quoi ça parle, ce truc. Ah oui : Le Diable, tout le temps est un récit de péchés, de vengeances et de châtiments centré sur un groupe de personnages un peu dérangés, comme je le suggérais subtilement à l’instant, dans l’Amérique rurale des années 50 et 60, personnages qui ne se connaissent pour la plupart pas, mais finiront généralement par, et pas de la façon la plus plaisante. Voilà pour le pitch. Livrons-nous à présent à la descente en flammes.

Lien vers mon vlog consacré au Diable, tout le temps

 

 

Gothique à l’ouest

Ça va donc être sale, poisseux, parfois brutal… et lent… et long… et, au final, un peu vide derrière l’épate gothico-morbide. Le Diable, tout le temps est une incursion ambitieuse dans le registre du « southern gothic », genre littéraire et cinématographique dont l’action tient place dans un sud des États-Unis en déréliction et traitant de sujets comme la violence dans les classes populaires, l’aliénation sociale, et l’embrigadement religieux, avec des touches de fantastique, ou pas, au choix. Ici, ce dernier sujet est central, et sans touche de fantastique, un peu comme La Nuit du Chasseur, de Charles Laughton. La religion y paraît une sorte de maladie, d’entité maléfique dont la foi des âmes égarées serait la proie. La Nuit du chasseur, grand film. Celui-ci, petit film.

Joli cliché

Ce qui frappe en premier, c’est que le film a beau être esthétiquement plaisant, il joue sa partition sur le mode Amérique rurale des 60’s sur fond de violons bien folklo auquel le public étranger est habitué depuis au moins Les Évadés… et qui, en 2020, fait quand même très, très cliché. Antonio Campos, dont l’inconfortable Christine avait assez marqué il y a quelques années, ne semble pas ici très à l’aise, pas dans ce genre, et il y est, de fait, allé avec la main lourde, comme pour compenser…

Christian-bashing ?

La main est également lourde dans son approche de la ferveur religieuse. L’histoire insiste bien sur son rôle dans le cycle de violence qu’il narre avec un zèle parfois antipathique. L’absence de Dieu, ne laissant sur Terre que des hommes seuls face à leur frustrante insignifiance, c’est fort, comme sujet, mais là, Dieu, c’est limite le Diable – un peu rad’, non ? Robert Pattinson écope d’un personnage archi-caricatural qui l’oblige à en faire parfois des tonnes, ce qui est bien dommage car sa carrière dans l’indé négocie plutôt bien les virages.

De la mauvaise idée d’une voix-off

La main est diablement lourde dans l’utilisation d’une voix-off assurée par un vieux narrateur même pas directement connecté aux événements : on se fout totalement que Campos ait eu l’idée insolite de refiler le job à l’auteur du roman, Donald Ray Pollock, le fait est que ça ne marche pas. Allez, disons que ça marchotte quand la voix-off annonce des choses à venir, là, ça fait son petit effet… mais c’est rare. 95% du temps, elle donne envie de mettre les voiles. « Les balles du pistolet étaient à blanc » ? Je sais, pépé, je viens de le voir !

Étouffe-Chrétiens

La main est TELLEMENT lourde qu’elle écrase donc ses personnages, enterrés vivants sous la fascination du film pour son décor vorace et son genre intimidant, et que ne peuvent sauver les performances dans l’ensemble excellentes du casting – Arvin est le seul rescapé, joué par un très juste Tom Holland qui passe un peu ici son baptême du feu. C’est dommage parce que certains ont droit à quelques répliques mémorables. En fait, le film aurait probablement dû être une série : en l’état, il est un foutoir rempli à ras-bord qui manque cruellement de cohésion, plombé par une intrigue décousue qui peine à faire ressentir le poids des années. Il n’y vit aucun mystère, tout est posé comme si tout était déjà arrivé, grave comme une crise cardiaque, parfois complaisant dans le sordide, dépressif sans cynisme pour pimenter le tout, apathique plutôt qu’amer. Quitte à faire dans le southern glauque, autant le faire avec malice, comme le jouissif Killer Joe de William Friedkin…

Mais encore (conclusion avec spoilers) ?

Dès le générique de fin, on se demande ce qu’était le propos du film. C’était quoi, déjà ? On parle du livre comme d’une grande réflexion sur le caractère cyclique de la violence. Moui. On peut aussi n’y voir qu’une galerie de hillbillies plus ou moins consanguins s’entretuant, TOUT LE TEMPS, et sans même que ce ne soit justifié par un quelconque péché originel qui se serait répandu comme un cancer, par exemple… non, le monde est juste rempli de salauds. C’est bien répété. Aussi subtil que Joker. Tiens, là, un tueur en série bien sommaire – Jason Clarke, ou la tête de l’emploi. Tiens, là, une nana qui kiffe ça. Tiens, là, un illuminé. Ah, non, pardon, ils sont deux. Et là, un flic corrompu ! Qu’est-ce qu’on se marre, quand même. Les guerres de Corée et du Vietnam en toile de fond sont, a priori, censées étoffer le propos sur l’Amérique et ses antécédents de violences. Peut-être cela marche-t-il dans le roman, mais ici ? Non. Parce que rien ne marche vraiment. Le Diable, Tout le temps n’est pas un film sans qualités, mais il manque d’un vrai souffle et d’un vrai caractère. Avec sa politique de production décidément un peu foireuse, Netflix continue de viser haut sans se donner les moyens de ses prétentions.

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