Critiques

Game Night

Max (Jason Bateman) et Annie (Rachel McAdams), un couple d’hyperactifs archi-compétitifs, adorent organiser des soirées de jeux avec leurs amis. Une nuit, le très populaire grand-frère de Max, Brooks (Kyle Chandler), propose de pimenter leur soirée de jeux habituelle en organisant une fausse enquête criminelle, conduite par des comédiens, et à laquelle ils participeraient tous, promettant une inoubliable nuit de mystère et de suspense. Seulement, les choses prennent une tournure inattendue lorsque Brooks est kidnappé pour de vrai… et que tout le monde croit à la mise en scène promise. Max, Annie, et leurs amis se lancent alors dans une aventure un chouïa chaotique pour résoudre le mystère et délivrer Brooks, ignorant que la situation est BIEN plus sérieuse qu’ils ne le pensent. Eeeeeet voilà une bien sympathique surprise, dans le registre de la comédie US, qui pédalait un peu dans la semoule au crépuscule des années 2010, une fois passée l’ère Apatow. L’avantage de ne rien attendre d’un film, c’est que ça augmente les chances d’avoir une « bien sympathique surprise », comme ça avait été le cas, quelques mois plus tôt, avec la suite/reboot de Jumanji.

C’est plutôt simple : alors qu’il laissait craindre un machin poussif digne de sortir directement en DVD à la Comment tuer son bossGame Night se rapproche davantage d’un des derniers films cultes du genre qu’est le premier Very Bad Trip – sans pour autant l’égaler, hein, attention. Son point de départ n’était pas inintéressant, mais on pouvait dire la même chose des trois comédies pourtant TRÈS oubliables dont il semblait être le mélange, L’Homme qui en savait trop peu avec Bill Murray, Crazy Night (Date Night en VO !) et # Pire soirée (Rought Night en VO !). Il avait besoin de se montrer À LA HAUTEUR de son pitch, et fissa… et contre toute attente, ça s’est senti dès ses cinq premières minutes, entre la formation azimutée de l’épatant couple Bateman/McAdams, clairement l’effet spécial du film, sur l’exaltant Don’t Stop Me Now de Queen, et cette scène jubilatoire où la doc spécialiste de la fertilité que consultent Annie et Max profite d’une discussion partant en sucette pour demander si elle peut sortir avec grand-frère Brooks ! Et la double-bonne nouvelle, c’est que a) le film assumera la déconnade jusqu’au bout, ne gâchant pas le plaisir avec un de ces derniers virages sérieux censés faire passer une petite morale de fin comme c’est le cas dans beaucoup trop de comédies, et b) qu’il le fera sans recourir à l’humour scato – joie – ni abuser des caméo « private jokes » superflus, comme celui de Chelsea Peretti, de la sitcom Brooklyn Nine-Nine, qu’on aime bien, hein, mais qui écope, hélas, d’une des scènes ratées du film.

Parce que TOUT n’est pas d’une inspiration prodigieuse non plus. Entre deux irrésistibles moments d’humour débile PILE ce qu’il faut, comme celui, grotesque, où Annie « soigne » Max (mention aux couinements), celui où Max entache irréparablement le pauvre chienchien de leur voisin flic Gary (quoique ce passage repousse les limites du vraisemblable, avec son Max pissant le sang sans s’en apercevoir, et que le gag du chien rappelle sérieusement le chat de Mon beau-père et moi !), ou encore toutes celles comprenant Gary, interprété par Jesse Plemons avec une gravité géniale qui parvient à le rendre à la fois intimidant et désopilant, le baromètre du fun retombe un peu à quelques reprises. C’est surtout le cas à chaque apparition du personnage affligeant de Ryan, véritable talon d’Achilles du film tant sur le plan « dramatique » (on ne croit pas un seul instant qu’un abruti pareil puisse être un « vieil ami » de gens comme Max et Annie) que dans le registre comique, rappelant que TROP de crétinerie tue la crétinerie dans quelques pénibles scènes dignes de ce sinistre épisode de Friends où Joey parle « français » – comprendra qui pourra. À ce propos, on regrette de ne pas avoir vu ailleurs l’actrice qui joue sa NON-compagne, Sharon Horgan. Le couple d’amis blacks, joués par le pas particulièrement hilarant Lamorne Norris (de New Girl) et la pétillante Kylie Bunbury, s’en sort néanmoins BIEN mieux : même si leurs scènes sont déjà plus du niveau d’une sitcom de l’époque (l’amusant quiproquo concernant Denzel Washington en est assez digne), ils jouent comme il faut leur rôle de « support », et l’on ne croit pas davantage qu’ils puissent avoir Ryan pour ami.

Support pour qui, demandez-vous ? Eh bien, pour Jason Bateman/Max et Rachel McAdams/Annie, voyons, le couple/effet spécial mentionné plus haut. Ne nous leurrons pas : si Game Night marche à ce point malgré ses couacs, en plus, bien sûr, de son scénario rebondissant et d’un soin technique surprenant de maîtrise, c’est grâce à LEUR couple, joyau de comédie qui méritait d’avoir sa propre série télé. À commencer par elle, car s’il n’est pas surprenant de trouver hilarant Jason Bateman, roi de l’humour pince-sans-rire, ça l’est déjà bien plus avec la petite Rachel, davantage habituée aux films d’auteur dépressifs et aux drames existentiels qu’aux potacheries de ce calibre (1). Scarlett Johansson s’est essayée à ce jeu, l’année précédente, avec # Pire soirée, pour un résultat fort honorable compte tenu de la gigantesque merde qu’était le film, mais McAdams, elle, révèle dans Game Night un tempérament de comédienne absolument insoupçonné (2). Sa performance jubilatoire dans la scène du bar, alors qu’elle et Max croient encore être dans un jeu, suffit à l’illustrer. Et Bateman ne la traite pas comme un faire-valoir, non, les deux acteurs forment un VRAI duo.

Certains reprocheront malgré tout au film de ne pas déconner ASSEZ, en trouvant par exemple insuffisamment développée la partie de l’histoire où les protagonistes se croient dans un jeu, réglée à mi-chemin, alors que le film donnait l’impression de se vouloir une version comique de The Game. C’est une critique recevable. Certes, une fois que les personnages réalisent à peu près tous en même temps qu’ils ne sont PAS dans un jeu, l’action du film perd un peu de ses couleurs car les enjeux deviennent plus classiques, sauver untel, arrêter untel… mais Game Night n’est pas non plus un Y a-t-il un flic. Game Night, c’est de la déconnade, pas de la bouffonnerie. En prolongeant le malentendu initial, déjà énaûrme, le film aurait couru un trop grand risque de sombrer dans le surréalisme total qu’on reproche au personnage de Ryan, le genre où plus rien n’a de sens. Or le film est un peu comme Délire Express : il s’amuse comme un petit fou, sans jamais devenir VRAIMENT fou.

En fait, Game Night a tellement la tête sur les épaules qu’il parvient, tout en s’amusant, à traiter avec un étonnant sérieux formel sa dimension de thriller. John Francis Daley et Jonathan Goldstein, dont le nullissime Vacation avait établi qu’ils avaient encore TOUT à prouver, livrent cette fois-ci une réalisation étonnamment efficace, dans le registre comique (mention au travail de montage, au timing impeccable) mais aussi dans l’action. On n’en attendait pas bien plus du chef opérateur Barry Peterson, vieil habitué des comédies qui n’avait jusqu’ici rien fait de visuellement notable (Starsky & Hutch, 21 Jump Street, We’re the Millers…), mais apparemment, lui aussi a été inspiré par le jeu : des plans larges donnant à nos héros des airs de pions à ces panoramas déroutants donnant aux décors extérieurs des airs de maquettes, en passant par les scènes de poursuite d’une vivacité inattendue, tout contribue, visuellement, à plonger le spectateur dans une dynamique ludique fort à propos, et que dire du détonant plan-séquence de la chasse à l’œuf chez le personnage joué par Danny Huston ? La musique de Cliff Martinez, plus proche de ce qu’il a fait sur Drive que d’une énième BO insipide de comédie ? C’est peut-être pour ça que l’apparition tardive de Michael C. Hall, dans le rôle du méchant Bulgare, fait son effet, toutes proportions gardées (3) ; sa performance totalement premier degré donne un soupçon d’aura à un final autrement prévisible. Et puis, il y a la dernière réplique du personnage de Brooks (Kyle « Friday Night Lights » Chandler gère ces personnages comme un boss), quand lui, Max et Annie se retrouvent dans le jet… elle vaut à elle seule le déplacement. En plus du légendaire « Oh, no, he died! » de McAdams, bien sûr.

En résumé : Game Night, c’est de la comédie US compétente, solidement interprété par des comédiens motivés, non dénué de ratés, mais dans l’ensemble incroyablement divertissante, pourvoyeuse de quelques fous rires mémorables, et, en définitive, BIEN supérieure à ce qu’elle aurait dû être, à en juger l’ordre de l’univers. Pas le joyau-surprise annoncé par certains cinéphiles amateurs de contre-pied… mais quand la réponse à la question « seriez-vous tenté par une hypothétique suite ? » est « ah ben ouais, carrément ! », c’est que, comme dirait l’autre, the job is done.

Notes

(1) Je sais, McAdams a percé avec Mean Girls, JE SAIS…
(2) Mise à jour automne 2023 : la carrière de l’actrice depuis Game Night, c’est-à-dire depuis six ans : DEUX films, Doctor Strange in the Multiverse of Madness, où elle apparait trente secondes, et le sympathique petit film indé Are You There, God ? It’s Me, Margaret, qui n’a même pas atteint nos salles françaises. Alors, on n’en voudra certainement pas à l’actrice de vouloir passer du temps avec ses deux enfants nés en 2018 et 2020… mais nous faire le coup après une si glorieuse année 2018, celle du combo Game NightDésobéissance, c’est quand même un peu frustrant.
(3) Ça, plus sa forme physique un poil diminuée par rapport aux grandes heures de Dexter

Quelques captures d’écran supplémentaires, pour finir :

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *