Critiques

Elysium

Bien qu’embrassant à pleine bouche sa qualité de cinéphile hipster, l’auteur de ces lignes est passé à côté du culte District 9, premier long-métrage du réalisateur Neill Blomkamp, sorti quatre ans avant celui-ci. C’est donc vierge qu’il a lancé Elysium, pour ainsi dire, ayant pour seul bagage sa passion pour les récits d’anticipation et son goût pour les effets spéciaux numériques bien branlés. Et cela semblait tout à fait approprié : avec ses cent millions de dollars de budget, suffisamment pour faire un blockbuster-dans-ta-face crédible mais pas au point de tuer toute prise de risque, la promesse d’une représentation réaliste du futur, et, au casting, l’association de l’alors increvable Matt Damon à la caution intello Jodie Foster, Elysium semblait effectivement être la meilleure introduction possible au cinéma du célébré cinéaste. Bon, en fait, pas tant que ça, puisque la lecture du pitch laissait craindre une lecture bieeeen marxiste de l’histoire et de la nature humaines, avec ses touchants pouilleux en bas et ses affreux nantis en haut… mais on y croyait quand même. Dans l’exécution, cela serait sans doute plus subtil (pas vrai ?), et qui sait, Blomkamp proposerait peut-être une approche convaincante et éclairée de ladite lecture. Puis dans le pire des cas, il resterait toujours l’action !

Premier constat, et sans appel : ou pas (oui, la formule est ringarde depuis 2006, on s ‘en fout, désolé). En tant que critique des sociétés et de l’ethos capitalistes, Elysium est d’une nullité transfigurante et internationale, et surtout d’une connerie par moment aggressive, donnant la vive impression que son scénariste s’est bourré la gueule au Cointreau et a relu une vingtaine de fois le programme du NPA avant de torcher le travail en 48 heures chrono rappelant par sa simplicité criminelle la « critique » anticapitaliste que l’on pouvait trouver dans les médiocres In Time d’Andrew Niccol et Land of The Dead de Romero, deux autres bourgeois jamais à court de leçons de morale. Parce que voyons voir un peu. Bien entendu, les pouilleux grouillent toujours en bas et les nantis barbottent toujours en haut, mais à la limite, c’était un peu déjà le cas dans d’excellents récits d’anticipation des seventies comme Soleil Vert ou Rollerball. La différence est qu’Elysium ne s’arrête HÉLAS pas là, puisqu’il aborde le sujet Ô combien casse-gueule de l’immigration, rappelant que nous sommes bien dans les funestes années 2000. Et c’est essentiellement de LÀ que vient le parallèle avec le NPA et sa funeste idéologie, dont mon appréciation transparaitra à grosses gouttes tout au long de cette critique, mais le parallèle le plus évident est à établir avec le clivage démocrates/républicains sur la question de l’immigration mexicaine aux USA. C’est bien simple : chez Blomkamp, l’humanité « d’en bas » ressemble à Los Angeles, et Los Angeles à une vaste étendue de favelas à la sinistre touffeur surpeuplées de miséreux au teint ostensiblement halé (le blondinet Damon n’a certes rien d’hispanique, mais avec la boule à zéro et deux-trois mots d’espingouin, paf le chien, le tour est joué), tandis que l’humanité « d’en haut » ressemble à ces résidences californiennes ultra-sécurisées pour bourgeois bieeeeen blancs et bien gras. En bas, contrôlés par les robots-kapos de l’hyperclasse, on trouvera le héros et ses amis, qui seront forcément pauvres, sympas et serviables (jusqu’au personnage de Spider, au début trafiquant patibulaire et cupide, à la fin sympathique Che Guevara de supermarché… prolétaires de tous les pays, unissez-vous !) ; et en haut, on trouvera… pas grand chose, le peuple de la cité Elysium se résumant à des vignettes de rentiers aseptisés (on ne voit que des propriétés, pas d’immeubles de travail) et à deux personnages représentant l’autorité : un président fantôche (moyen-orientalo-indien pour brouiller les pistes l’espace de deux minutes), et, surtout, la secrétaire de la défense Delacourt, interprétée par Jodie Foster, « facho » blonde platine tirée à quatre épingles incarnant la politique répressive anti-clandestins des républicains américains et rappelant, dans son discours, de célèbres « hardliners » comme Bay Buchanan.

C’est vraiment avec elle que ça se gâte, sur tous les plans : impitoyable, méthodique et méprisant, tenant sur un ticket de métro, son personnage monodimensionnel n’a qu’une seule fonction, celle d’associer la position conservatrice/« réac » sur le sujet de l’immigration aux adjectifs susmentionnés (le Français y verra sans mal une variante fictive de notre MLP nationale). Les nantis sont des fils de pute de naissance, qu’on se le dise, tellement pourris qu’ils ne sont même pas disposés à envoyer deux ou trois med-pods d’occasion chez les pouilleux agonisants d’en bas, alors que ça pourrait même améliorer leur rendement ! Les quelques arguments que Blomkamp daigne accorder à Delacourt se trouvent dynamités d’entrée de jeu par le regard que pose dessus le cinéaste : par exemple, le Nord passant de nation charnelle à société de rentiers improductive à la Wall-E, son argument de protection des acquis d’Elysium se réduit à de l’égoïsme pur (ce qui colle, ceci dit, à moult conservateurs américains que l’on assimile bien malheureusement au camp traditionaliste). Puis, arrivé au moment où le spectateur attend un développement salutaire de son personnage, dans le dernier quart/tiers du film, le scénariste opte pour un twist à deux roubles qui tuera toute chance de rémission précisons que l’interprétation pincée de Jodie n’arrange absolument RIEN à l’affaire, puisqu’elle semble paumée du début à la fin du film dans une mauvaise parodie de Cruella…

On a écrit plus haut « sur tous les plans » car le personnage de Delacourt illustre parfaitement la médiocrité du scénario d’Elysium, accessoirement pourri d’incohérences divertissantes sur lesquelles on ne s’attardera pas. Par-delà le propos politique d’une candeur à s’ouvrir les veines, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, ni au rayon antagonistes, ni au rayon romance. L’antagonisme se limite essentiellement au personnage de Kruger (sic), mercenaire psychopathe et un des plus mauvais bad guys de récente mémoire, caricatural à en devenir comique : on pense à ses répliques archi-recyclées, son accent improbable (merci Sharlto Copley, mais il aurait mieux valu avoir piscine, sur ce coup), son aptitude à tuer à peu près TOUT LE MONDE, son infatuation creuse pour le personnage de Frey, ou encore sa transformation finale en super-guerrier sardonique rappelant le Street Fighter de JCVD ou encore le Benny de Total Recall sauf que dans le film de Verhoeven, c’était du second degré, et tout le monde le savait. Quant à la romance, qui tient sur les frêles épaules de la charmante Alice Braga et un Matt Damon trop occupé à démonter du fasciste pour gazouiller dans l’herbe, elle frôle le zéro pointé, certainement pas aidée par les flashbacks de leur enfance, d’un goût atroce (faire courir des enfants au ralenti sur du sous-Lisa Gerrard, c’était courageux, mais non). Face à cette dramaturgie foireuse et des enjeux limités, il ne reste au popcorneur déphasé qu’un spectacle d’action non-stop à mi-métrage rappelant un peu le Green Zone de Paul Greengrass, qui faisait lui aussi courir Matt Damon dans tous les sens, mais était nettement moins con. Au début, ça ne s’en sort trop pas mal, porté par un travail de mise en scène et de montage efficace, à défaut d’être inventif, et par des effets spéciaux souvent très réussis (réussir visuellement le « Halo » d’Elysium n’était pas couru d’avance !), ainsi qu’une direction artistique qui fait la part belle à un réalisme craspec facilitant l’immersion… mais le festival devient vite éreintant, faute d’humour et d’inspiration ne faisant pas mieux que l’affreux Total Recall de Wiseman, en fait. La musique insupportablement omniprésente de Ryan Amon, resucée sans saveur du travail de Zimmer sur Inception, cloue définitivement l’action d’Elysium au pilori des blockbusters où il se passe plein de trucs, mais dont on ne se rappelle pas grand-chose.

Certains arguent que le propos politique d’Elysium est ultra-secondaire, voire tertiaire (rires), qu’il n’est qu’un prétexte au grand show son et lumière de son réalisateur, et qu’on peut juger le film en faisant abstraction de cet élément. Il n’en est bien entendu RIEN, surtout lorsqu’on apprend que Blomkamp avait tenu le même discours dans son précédent film mais dans une version moins crétine, semblerait-il. Elysium est un pur film de propagande. Que celle-ci soit énergiquement intentionnelle ou totalement inconsciente importe peu… et quiconque de sensé saura reconnaître à quel groupe elle appartient, de toute façon. La propagande, dans Elysium, ce n’est pas de la sournoise, de derrière les fagots, non, c’est de la qui ne cherche certainement pas à se cacher, mue par ce sentiment de supériorité morale qui habite le discours des idéologues de la Justice sociale. Son manichéisme sidérant le rapproche carrément des films tournés sous la supervision du Propagandaministerium, ou sous l’influence de la censure soviet, au choix. Le monde selon Blomkamp est très, très simple. On ne trouvera, par exemple, aucune mention du danger monumental que représente la surpopulation mondiale, d’une actualité souvent mésestimée. Peu importe la raison : seule compte l’émotion, locomotive de l’angélisme congénital qui caractérise son discours. À la fin du film, les « gentils » crient victoire. Ils l’ont emporté sur la vermine bourgeoise. Peu importe que le déversement de dizaines de millions de prolétaires sur les verts pâturages d’Elysium ne règle RIEN, peu importe qu’elle n’ait pour résultat que de les transformer à leur tour en favelas aérospatiales, à la fin, tout le monde devient CITOYEN, laissant triompher l’« égalité », mantra favorite du dogme immigrationniste trop occupé à haïr le nord/le haut pour s’intéresser à améliorer effectivement la condition du sud/du bas l’ironie étant que la gauche inclusive a pourtant un mal fou à imprimer la notion même de citoyenneté, puisqu’elle est discriminante selon leur logiciel dément. Au fond, « this is yours now », une des toutes dernières répliques du film, est ce que RÊVE de dire le gauchiste sansfrontiériste blanc aux centaines de millions d’immigrés potentiels, en remplaçant Elysium par la terre de leurs ancêtres.

Et en fait, bien que la chose ne soit pas explicitée à cent pour cent à la fin parce que le scénario a été écrit par quelqu’un de pas très explicitement intelligent, c’est un peu le grand Capital qui tombe en même temps qu’Elysium. Personne n’a AUCUNE idée de la suite, mais il nous viendra bien une idée, les gars, ne vous inquiétez pas. Et on demande au spectateur d’ignorer, pire, d’accepter ce foutage de gueule, quand, parallèlement, on n’a même pas été capable de fournir un récit d’aventure digne de ce nom ? Non.

Naturellement, on peut tout à fait adhérer à ces idées. Free country, yo. Dans ce cas, la connerie intersidérale du film deviendra même un facteur d’adhésion : certes, le film ne sera pas terrible, mais il aura le coeur à la bonne place ! Ouuuuu… pas.

Pour finir, quelques captures d’écran sympatoches, même si le film ne l’est pas :

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