Critiques

Les Veuves

Le pitch : Chicago, de nos jours. Quatre femmes qui ne se connaissent pas. Leurs maris viennent de mourir lors d’un braquage qui a mal tourné, les laissant avec une lourde dette à rembourser. Elles n’ont rien en commun, mais décident d’unir leurs forces pour terminer ce que leurs époux avaient commencé. Et prendre leur propre destin en main… tan-tan-taaaaaan. Avant-propos : début 2018 sortait en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. L’auteur de ces lignes y est allé avec la candeur du popcorneur amateur de cinéma dit « de genre », persuadé qu’il allait assister au grand retour en forme du cinéaste mexicain après quelques ratés. Las ! L’inadéquation entre la médiocrité sidérante du film et sa célébration illuminée par la critique l’a, au contraire, mis dans une délicate position : celle de se sentir sur une autre planète. Avance rapide jusqu’à la fin de cette même année : Steve McQueen, autre réalisateur d’un monstrueux chef-d’œuvre des années 2000 (Le Labyrinthe de Pan pour del Toro, Shame pour McQueen) revient à son tour avec Les Veuves… et bien que ce dernier soit loin d’atteindre le niveau de crétinerie congénitale du film de del Toro, les deux films comportent de fâcheuses similarités : ils sont mis en scène par un cinéaste célébré, porteurs de messages politiques orientés à gauche, très mal écrits, et bieeeen trop appréciés par la presse pour que ce soit sincère, parce que désolé, mais… ils m’ont tous deux laissé sur le carreau, toutes proportions gardées.

Le postulat de Widows est prometteur, hein, ce n’est pas lui, le problème. Il mélange étude de mœurs, analyse des rapports hommes/femmes, exploration de la violence et de l’autorité, drame du veuvage, et film de cambriolage avec le sexe des braqueuses comme joker potentiellement savoureux… on est preneur. La présence de McQueen laissait même espérer une approche réaliste et frontale, loin de la regrettable bouffonnerie en collagène qu’est Ocean’s 8. Las encore ! Si Widows illustre à son tour le don de faiseur d’images du cinéaste, il révèle aussi que le garçon n’est apparemment pas foutu de reconnaître un mauvais scénario : son film a beau être succulent à regarder et porté par un artisanat de qualité, ce qu’il propose paraitra terriblement vain à l’arrivée.

Widows parle de veuves, et qui dit veuves dit femmes

On s’attend donc à des portraits de femmes dignes de ce nom, et à autant d’occasions de briller pour leurs interprètes. OR… leurs personnages tiennent sur des tickets de métro. Au mieux, on sait deux-trois trucs sur Veronica et Alice, interprétées respectivement par la grande Viola Davis et Elizabeth Debicki ; les deux autres sont presque anonymes, Y COMPRIS le personnage de Linda, pourtant joué par Michelle Rodriguez, qui a tout juste UNE scène consacrée à son développement, où elle manque de coucher avec un inconnu pour montrer combien elle est bouleversée, mais qui sort d’absolument nulle part. Que faisaient ces femmes dans la vie ? On n’en sait rien dans le cas de la protagoniste, un comble… on sait que Linda avait une boutique, mais c’est bien tout… et on sait qu’Alice était une femme battue à plein temps, là, ça passe de justesse. Qu’est-ce qui les anime ? Chez Linda, l’enjeu est de récupérer sa boutique – ne tapant pas très loin des motivations désespérément matérialistes des héroïnes de l’Ocean’s 8 susmentionné, ironiquement. Chez les autres ? On va dire… survivre ? Survivre, c’est bien, hein. Mais TOUT LE MONDE veut survivre, à quelques fous près, ça ne fait pas un personnage. Quant à Belle (Cynthia Erivo), quatrième roue du carrosse… on ne se rappelle même pas son putain de prénom à la fin du film, ce qui en dit quand même assez long.

Belle joue la « driveuse » de l’équipe. Ce n’était pas une raison pour la dénigrer. Le conducteur de Heat, joué par Dennis Haysbert, n’avait pas des heures de développement non plus, et pourtant, on finissait par s’attacher à lui grâce à deux, trois belles scènes, intelligemment écrites, élégamment filmées, où il tentait de se réintégrer socialement (et ce dans un film de trois heures, rappelant combien deux maigres heures étaient insuffisantes pour raconter ce que McQueen et sa co-scénariste Gillian Flynn avaient à raconter !). Belle n’a rien de ça. Plutôt que de l’étoffer, de s’intéresser à elle, ses deux, trois scènes dans le salon de coiffure où elle travaille la font parler politique avec son employeuse, en mode « sois maîtresse de ton destin, sœur de couleur »…

Évacuons la politique : oui, Widows est donc un film à message

Ça saute tellement aux yeux, compte tenu des sujets abordés et de l’époque que nous vivons, qu’on se serait bien passé des interventions télévisées lourdingues de McQueen, Flynn, et leurs actrices. Encore une fois, ce n’est, en principe, pas un problème : il faudrait être un gros con pour ne pas apprécier qu’Hollywood donne des rôles de femmes fortes et indépendantes à ses actrices en explorant un genre majoritairement peuplé de personnages masculins. Il fallait néanmoins savoir QUOI faire de ce détournement de codes et de ces thèmes archi-éculés dans le cinéma actuel. OR… Widows échoue sur ces deux plans. Et en échouant, il se retrouve avec une tambouille de clichés progressistes dont le manichéisme saute d’autant plus violemment aux yeux. On a des femmes nobles et courageuses, des minorités opprimées, des flics blancs et racistes, des politiciens corrompus, des maris trompeurs (« magnifique » portrait de la gent masculine au passage, nous reviendrons dessus plus bas), et a-t-on parlé des femmes nobles et courageuses, déjà ? Avec beaucoup de talent, une connaissance de l’histoire des sujets abordés et de la réalité de la situation actuelle, un minimum de connaissances dans le domaine des idées politiques, et du discernement, il y a moyen de rendre cette tambouille digeste, si, si… mais sans tout ça, l’oiseau ne vole pas plus haut que la moyenne des chouineries bien-pensantes hollywoodiennes. Réalité : Widows est sauvé de la noyade politiquement correcte par sa sobriété. Il y a de la crème dans la tarte, mais ce n’est pas une tarte à la crème.

Cependant, McQueen et Flynn ne se contentent pas d’enfiler les clichés, ils vont plus loin : bien que leur film ait littéralement pour titre « VEUVES », les deux zigotos ont apparemment estimé que le sujet ne suffisait pas à faire un film, puisqu’ils ont « racialisé » son intrigue, atteints de ce mal contemporain qu’est l’intersectionnalité. Une simple histoire de femmes prenant leurs destins en main ? Pas assez « conscientisé » pour la gauche justicière, faut-il croire. La VRAIE justice sociale réside dans la convergence des luttes. Aussi fallait-il quelque chose comme une touche de Black Lives Matter, par exemple ! Et c’est chose faite avec ce flashback, dérapage du dernier virage, où le défunt fils de Veronica se fait descendre par de vils flics blancs dans une rue aux murs placardés d’affiches de campagne d’Obama – fils ayant dans sa chambre un poster de Malcolm X, histoire d’être VRAIMENT subtil, on vous dit. Aussi fallait-il que l’assistante de l’entreprise d’architecture aide Linda en espagnol, pour nous vendre une solidarité entre « latinas » plutôt qu’entre « simples » femmes. Aussi fallait-il que l’héroïne sorte des répliques du type de « c’est ça, casse-toi avec ta nouvelle famille blanche ! ». Aussi fallait-il que le vieux politicien, forcément une ordure, s’en prenne à un moment aux immigrés clandestins et à la communauté noire (sous-entendue derrière le « qui font trop d’enfants »).

Une des nombreuses qualités du cinéma de McQueen, du moins jusqu’ici, était son côté anti-Spike Lee. Hunger et Shame auraient très bien pu être écrits et mis en scène par un Blanc, ils avaient même TOUTES les chances de l’être, et pourtant, ils ne l’étaient pas, et ça ne faisait AUCUNE différence. Même l’inégalement écrit 12 Years a Slave ne témoignait pas d’un grossier identitarisme racial. Là, c’est comme s’il avait entendu les appels du vaisseau-mère. Vous pouvez traiter l’auteur de ces lignes de « colorblind racism », comme c’est à la mode dans la gauche racialiste américaine : rien à cirer, en bon républicain français défendant l’idéal assimilationniste, il vous fera un doigt respectueux.

Widows parle de veuves prenant leurs destins en main

Dans un film, prendre son destin en main implique la capacité à SORTIR de sa zone de confort si nécessaire. Autant dire que dans le cas présent, la sortie ne pouvait qu’être radicale. OR… McQueen consacre à ce processus, quoi, une misérable poignée de scènes ? Après une première rencontre entre les trois héroïnes, qui manque assez remarquablement d’étincelles et inquiète un peu pour la suite au passage, la bande se forme en deux temps, trois mouvements (« yo, vous êtes in ? Okay, cool, on y va, sisters ! »), et l’intégration de Belle sera encore plus accablante de facilité. Alice, la femme battue, passe en un claquement de doigts du statut de victime entretenue à celui de self-made woman à qui on ne la fait pas. On a droit à une petite scène au stand de tir entre filles, comme si c’était un passage obligé à expédier, et l’affaire est pliée. Toute cette partie est tirée par les cheveux, à mille lieues du souci de réalisme qu’on osait attendre d’un film de McQueen. À un moment, le personnage de Veronica dira même, en substance : « On a trois jours pour devenir aussi capables que des hommes ! », réplique digne d’un film de Michael Bay.

Fait aggravant, le tout est traité avec un sérieux de cancéreux en phase terminale, incapable du moindre trait d’humour, renforçant cette impression de film qui ne se prend pas pour de la merde. Pas question de demander des blagounettes à la Marvel : simplement de ces plages de détente qui empêchent l’homme de devenir fou dans les moments les plus durs, et permettent de développer des personnages, au passage…

Widows se revendique en bonne partie un film de casse

OR… de ce point de vue, nah, c’est également un échec. Son intrigue ne se distingue que par le sexe de ses protagonistes, ce qui est vite insuffisant pour quiconque a vu dans sa vie au moins deux ou trois films de cambriolage. La préparation du casse, l’étude de la sécurité de la maison à infiltrer, les inévitables ratés durant l’infiltration, tout a été vu mille fois, et McQueen ne propose RIEN qui permette à son film de se démarquer du lot – désolé, Steve, mais ce n’est pas avec ton idée de code lu à l’envers que tu vas t’en sortir. Son intrigue manque d’une mise en place claire car la préparation susmentionnée est tout bonnement ignorée par les scénaristes alors que c’est une putain d’étape cruciale, ne serait-ce que pour mieux déjouer les attentes du public par la suite ! Dans Widows, on a tout juste Veronica disant qu’elle a un plan… Linda trouvant bieeeeeen trop facilement à quoi correspond le plan de la propriété des Mulligan… Alice achetant des flingues… ah oui, et Veronica au ralenti entrant dans pas mal de pièces avec l’air concentré de celle qui a un plan… et c’est tout.

Par ailleurs, le cambriolage doit également être un projet à haut risque : sans cela, pas d’enjeux digne de ce nom, et donc pas de tension dramatique. Vous imaginez un film de braquage sanas tension dramatique ? Nous non plus. OR… comme là aussi, c’est traité par-dessus la jambe, le spectateur ne tire même pas de réelle satisfaction de la réussite de l’opération. Zéro « payoff » dûment attendu par le vaillant popcorneur. Lors d’une séance de questions-réponses, McQueen et Flynn ont argué qu’ils voulaient un casse « humble », pour rester concentrés sur la démarche des protagonistes. Pas de diamants à cinquante millions de dollars, en gros. Pas d’Ocean’s. Mais ça ressemble plus à une mauvaise excuse, car pas besoin de diamants pour créer de l’intensité : Le Voleur de Bicyclette a autrement plus d’intensité dramatique que Widows alors que dans les faits, c’est l’histoire d’un pauvre gars volant un vélo.

Par ailleurs, Widows manque d’un antagoniste de qualité, ce qui ne le fait pas trop, pour un thriller : son premier acte laisse croire que le rôle sera joué par Jamal Manning, le gangster aspirant-politicien rappelant un peu le Stringer Bell de The Wire, mais son influence sur l’intrigue se réduit vite aux apparitions de son frère-bras droit joué par Daniel Kaluuya, apparitions de plus en plus rares qui impressionneront de moins en moins au fil du récit. [Spoiler alert !] Son arc narratif n’aura d’ailleurs aucune résolution digne de ce nom : la logique voulait qu’il revoit Veronica au moins une seconde fois, vers la fin (vous savez, pour ses millions…), mais c’était visiblement trop demander, et sa présence dans le troisième acte sera une insulte à l’insignifiance. [/spoiler off !]

Puisqu’on vous dit que Widows, c’est du sérieux !

On essaie bien laborieusement de faire passer le message, oui. OR… nouveau problème : McQueen place ses veuves dans un monde de bande dessinée. [Spoiler alert !] Un monde où l’on peut déposer à l’hosto sa partenaire blessée par balle la nuit d’un braquage ayant mal tourné dans un quartier bourgeois à proximité… sans craindre de conséquence. Un monde où la servante de la demeure des Mulligan ne prévient PERSONNE une fois laissée tranquille par les cambrioleuses – par solidarité féminine ? Un monde où la police n’est même pas prise en compte dans l’après-coup d’un cambriolage. Le moment du film qui illustre le mieux cette inconscience/paresse intellectuelle généralisée est le rebondissement sans conséquence qui se produit lorsque Jatemme (Kaluuya) vole le van des héroïnes. D’abord, il les laisse toutes en vie alors qu’il a été posé plus tôt que c’est un maniaque génocidaire, mais admettons qu’il ait voulu s’épargner les complications. Non, le ridicule tient au dénouement du bazar : alors qu’on s’attendait à des conséquences dramatiques sur le plan des filles (un coup, le gros lot… le coup d’après, plus de gros lot…), c’est réglé DEUX minutes plus tard, et de la façon la plus rasoir possible. À l’exception du twist ridicule concernant le personnage de Harry Rawlings, sur lequel nous nous arrêterons plus bas, aucune complication ne viendra tendre la situation de nos héroïnes.

La fin donne l’impression que ni McQueen, ni sa co-scénariste n’avaient la moindre idée de COMMENT conclure leur histoire. La vague indication qu’elles deviendront toutes copines, ça, oui, le message passe dans le tout dernier plan. C’est trop meugnon. Mais encore ? Ben, rien. [/spoiler off !]

Et puis Widows, c’est aussi un film d’actrices, non ?

En sa qualité de film de Steve McQueen, Widows semblait promettre des interprétations de qualité de la part de son casting d’actrices à la fois compétentes ET forcément impliquées dans cette entreprise à haute teneur féministe. Alors certes, elles ont fait un bon travail, même les deux qui ont pourtant écopé de personnages ingrats, Michelle Rodriguez et Cynthia Erivo, jolie révélation dans Sale Temps à El Royale qui, ici, ne ressemble hélas pas à grand-chose (on la sent régulièrement à deux doigts de claquer des doigts en faisant la moue façon « yassss queen »…). On met bien en avant Viola Davis, sans surprise. La graaaande Viola Davis. Morgan Freeman avec des ovaires. C’est indéniablement une excellente actrice. Mais sa performance dans Widows sent parfois l’auto-caricature, l’actrice nous sortant un nombre incalculable de fois son fameux regard plein de détermination et de dignité de femme que le monde traîne dans la boue mais qui sortira triomphante de l’adversité et bla, bla, bla. En fait, face au gaspillage de ce joyau nommé Carrie Coon, qui écope elle aussi d’un personnage insignifiant, on se prend à trouver qu’elle aurait fait un MEILLEUR job que Viola Davis, quitte à moins rappeler Morgan Freeman.

Au bout du compte, la sculpturale Elizabeth Debicki est sans doute la seule du lot à tirer de VRAIS fruits de sa collaboration à Widows : bien que son personnage mûrisse décidément trop vite, il est le seul auquel on s’attache un tant soit peu. Parions que cette expérience lui ouvrira des portes, malgré sa taille bien trop grande qui continuera quoiqu’il arrive d’entraver sa carrière – faut dire qu’1m88, c’est quand même chaud.

Widows parle de veuves, donc de femmes qui ont, chacune, aimé un homme

OR… aucun personnage de mec n’est récupérable, à part peut-être Bash, sous-fifre de Veronica qui crève hors-champ comme une merde, interprété le mésestimé Garret Dillahunt. Du côté des braqueurs clamsés, un d’eux battait sa femme (Jon Bernthal, lui aussi gaspillé, comme ça lui arrive trop souvent malgré son rôle-titre dans la série The Punisher), l’autre la volait (c’était certes des hors-la-loi, donc pas des parangons de morale, mais tout de même !), et surtout, [Spoiler alert !] même le personnage de Harry Rawlings, joué par Liam Neeson, s’avère être une ordure, on revient là-dessus plus bas. [/spoiler off !] Du côté des personnages secondaires, les frères Manning sont des gangsters impitoyables, donc on saute cette case d’office, et les Mulligan père et fils ne sont que des bâtards de politicards racistes de père en fils. Quant aux personnages tertiaires, ça trompe sa femme… en sautant sa nièce. Au rayon portrait à charge de la gent masculine, ça se pose plutôt là.

Les carences de « character development » touchent donc, vous l’avez compris, TOUS les personnages, qu’ils soient masculins ou féminins. Les seuls acteurs bénéficiant d’un minimum de temps d’antenne sont Kaluuya, Colin Farrell, et le décidément très résistant Robert Duvall. [Spoiler alert !] Hélas, Kaluuya écope d’un personnage complètement cartoonesque d’exécutant psychopathe (il poignarde un type en fauteuil roulant, shocking !), qui meurt lui aussi comme un con dans une scène hautement délirante [/spoiler off !] alors que ce côté cartoonesque laissait au moins espérer une mort haute en couleur (qu’elles se mettent à quatre sur lui à coups de talons, par exemple). Et pour ce qui est de Farrell et Duvall, c’est simple, on leur doit la meilleure scène du film, celle de leur dispute, mais c’est une scène frustrante car on ne profitera vraiment à aucun autre moment du potentiel de ce duo père-fils.

[Spoiler alert !] La révélation, dans le dernier acte, que Harry Rawlings est en vie constitue un modèle de twist à la con, tendance Sex Crimes (les quadragénaires verront), au milieu d’une intrigue globalement très prévisible, comble de l’ironie. Premièrement, il n’apporte RIEN au sujet premier, qui est l’émancipation des femmes. Deuxièmement, ce twist transforme le personnage en ordure caricaturale, comme suggéré plus haut, puisqu’à la fin, il est quand même prêt à zigouiller son épouse, la mère de son défunt fils. L’émancipation des femmes ne requiert EN RIEN que les hommes dont elles s’« émancipent » soient tous des salauds. Au contraire, cela ne fait que la dévaloriser en l’associant à un univers manichéen : les femmes ne doivent pas s’émanciper pour leur épanouissement, mais parce qu’elles sont bonnes et que leurs hommes sont mauvais. Par ailleurs, l’hostilité de Rawlings vis-à-vis de Veronica ne cadre absolument pas avec le fait qu’il lui a laissé son précieux carnet, indiquant qu’il se souciait toujours de son bien-être. Ce revirement grotesque fait ressembler Widows à une vulgaire série B en désacralisant la seule relation homme-femme du film qui ressemblait à quelque chose. Troisièmement, ce n’est pas non plus logique d’un point de vue pratique : pourquoi Rawlings quitterait sa femme et orchestrerait la mort de ses coéquipiers de longue date pour un million de dollars quand il avait le projet de voler cinq millions au politicard qui l’a engagé ? Le coup du deuil impossible et du bébé avec une autre nana n’est pas convaincant. Pour finir, ça manque de logique à un énième égard : Rawlings, dont le fils innocent a été tué par deux flics de Chicago, n’aurait donc vu aucun problème à collaborer avec cette engeance…? C’est celaaaa, ouiiiiii.

Mais euh, Widows se plante, donc ?

Alors, attention, Steve McQueen reste un excellent metteur en scène, dont on ne manquera pas d’aller voir le prochain film en salle malgré cet échec, en espérant simplement qu’il ne prendra pas cinq années supplémentaires pour pondre une NOUVELLE déception. Il suffit de voir l’ouverture, où sont édités en parallèle de brefs aperçus de la vie des héroïnes avant la mort de leurs maris et la nuit où ces derniers trouvent la mort, parmi les premières minutes les plus efficaces de mémoire récente, d’un point de vue narratif, au point de me rappeler le début d’Officier et Gentleman. Il suffit d’apprécier ce choix très malin de filmer un échange aussi long qu’anecdotique entre Mulligan et son assistante de l’EXTÉRIEUR de leur voiture, en un seul plan, la caméra rivée au capot, pour donner au spectateur une idée du monde qui sépare le quartier pauvre à majorité noire, où démarre la scène, du quartier aisé des Mulligan, où elle se termine. Widows sent en plusieurs endroits le cinéma bien fait.

Mais seulement en ces endroits. Car l’art de la narration est un artisanat, et sur ce plan, le film échoue tristement avec un scénario décousu, inutilement compliqué, parsemé d’incohérences et de facilités, et manquant de personnages incarnés. Avec Widows, McQueen apporte son inattendue contribution au gigantesque réservoir de films hollywoodiens dont le fond n’est pas à la hauteur de la forme. On pourrait ainsi dire que la plus grande déception ne vient pas tant de McQueen que de Gillian Flynn… parce que Gone Girl, quand même ! Oui, le film de David Fincher était un carton tant dans la forme que dans le fond. Mais les défenseurs de Widows qui répètent « Gone GirlGone Girl ! » à longueur d’éloges oublient un truc : le médiocrissime Dark Places, avec Charlize Theron.

Certains avanceront le portrait sociopolitique de l’Amérique actuelle comme argument en faveur du film. « Ok, le casse est faiblard, l’intrigue a ses ratés, et les personnages sont un peu bâclés, mais t’as vu cette condamnation poignante des injustices systémiques du capitalisme et tout plein d’autres mots compliqués ? » À cela, on peut d’abord répondre que ces velléités intellectuelles font plus partie du problème qu’autre chose : si Widows s’était concentré sur son trio (quatuor…) de femmes sans essayer de pisser plus haut, peut-être aurait-il moins perdu le fil. Ensuite, si vous voulez une radioscopie de l’échec social de la démocratie libérale à l’ère de la globalisation dans un cadre multiculturel, tournez-vous plutôt vers le susmentionné The Wire ! Parce que, pour finir, que dit Widows de fascinant dans ce domaine, déjà ? Que les politiciens sont tous pourris ? Que les femmes sont sous-estimées dans cette oppressante société patriarcale ? C’est censé nous retourner le cerveau ?

Faisons simple : avec un sujet comme celui de Widows, il y a, d’un côté, la voie Ocean’s 8, celle du gros entertainment hollywoodien qui tâche, sans aspérité, inoffensif, clinquant, généralement médiocre mais pas forcément (il faut juste qu’il reste à sa place), et, de l’autre, l’alternative « sérieuse » à laquelle aspiraient de toute évidence McQueen et Flynn, et que nous aurons tendance à préférer (tout en attendant d’elle un minimum d’humour !). PAS de juste milieu. C’est pourquoi si l’on joue la carte du film à Oscars, il faut en avoir les moyens. TOUS les moyens. Or, Widows n’en a, tout au plus, que quelques uns. En somme, un triste coup d’épée dans l’eau.

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