Critiques

Climax

Non. Juste non. Je n’ai rien contre Gaspar Noé. J’ai soigneusement évité son polémique Love tant ce dernier m’avait tous les airs d’une coquille vide, mais j’ai encore en mémoire les effets bœufs d’Irréversible et Seul contre tous, qui ont rendu culte ce formaliste hors-pair. Ainsi, sans être un fan inconditionnel, lorsque j’ai entendu un ami extatique me parler de cette « expérience cinématographique sidérante », la première pensée qui m’est venue à l’esprit est… « pourquoi pas ? ». À tort. Climax est une aberration. Pluridisciplinaire, polymorphique, peut-être même métapsychique, allez donc comprendre et identifier les rouages de l’univers. Une heure trente-cinq qui en parait, au bas mot, huit heures vingt-sept, et se compose d’un nombre considérable de choses peu ragoutantes.

Un prologue enneigé, emballé comme un court-métrage de fin d’année, avec le générique de fin en accéléré pour être bieeeen avant-gardiste, dont le contenu déconcerte un peu, mais la raison d’être s’avérera, au bout du compte, inexistante, morceau de poudre (enneigée) aux yeux et même pas de la meilleure qualité… Un quart d’heure, grosso modo, troussé façon documentaire vaguement intriguant, dont on peut apprécier l’aspect cinéma-vérité des témoignages individuels des danseurs, dont la moitié crèveront sans doute du SIDA ou d’overdose avant leurs trente-trois ans, mais qui s’avérera, lui aussi, totalement vain, même en tant que témoignage d’un univers méconnu…

Un premier numéro de danse collective appartenant au genre du « voguing », style de danse urbaine né dans le milieu gay et noir du New-York des seventies – paie ton intersectionnalité avant l’heure –, qui impressionne au début, avec son maelström parfaitement articulé de corps désarticulés – il n’est pas nécessaire d’apprécier le style pour apprécier la chorégraphie – sur le gros son d’un DJ qui ravira les nostalgiques de la musique électro des années 90… avant de traîner en longueur, et de traîner en longueur, et de traîner en longueur, articulé, désarticulé, à droite, à gauche, en diagonale, préfigurant le reste du film, sans pour autant, hélas, attirer la suspicion des spectateurs les plus innocents…

Une bonne demi-heure, elle, parfaitement imbitable, de dialogues nullissimes entre membres de la troupe, chaque fois deux par deux, chaque fois portés sur des sujets fascinants comme la sodomie à sec, et dont les personnages ne ressortent pas moins inintéressants, alors que l’objet de cette partie était, normalement, de nous les rendre un tant soit peu attachants en vue du drame à venir ; dialogues par ailleurs entrecoupés d’une nouvelle phase de danses, succession chiante à mourir et bricolée à l’aveugle de petits freestyles personnels laissant penser que le film est plus une démo de la chorégraphe Nina McNeely qu’autre chose ; on apprend que les dialogues sont improvisés, Noé ayant lâché la bride à ses acteurs pour obtenir des « moments de vérité » (frissons dans la salle) : peut-être est-ce un succès si son intention était d’explorer la vérité de la médiocrité…

Enfin, une dernière bonne demi-heure où se déchaînent ENFIN les enfers de tout genre, un peu intersectionnels à leur manière, ravivant l’intérêt du spectateur alors plongé dans une léthargie baveuse, qui se trouve soudain à ESPÉRER que quelque chose se passe ENFIN, qu’un ou deux minuscules pics n’apparaissent sur l’électroencéphalogramme, Noé étant, après tout, connu pour savoir saisir le CHAOS sur pellicule… sauf que Climax le perd de nouveau très vite, et cette fois-ci définitivement, dans un foutoir aussi abrutissant qu’assourdissant…

Enfin…

Le film a ses défenseurs. C’est d’autant moins difficile avec un cinéaste culte et un poil taré comme Noé. Plus le film est radical et haï par la majorité, également connue sous le pseudonyme affectueux de « moutons », plus ses défenseurs seront zélés dans leur défense hargneuse. C’est mathématique. C’est logique. Mais qu’on essaie de défendre les scènes de dialogues, et les performances de la moitié du casting (à commencer par celle de l’actrice qui joue la mère, à se faire hara-kiri). Qu’on essaie, juste. Non. Non, on ne peut juste pas. Tout ce que Climax a qui JUSTIFIE que l’on dépense la moindre énergie à le défendre bec et ongles, c’est son climax, son chaos, la fameuse marque de fabrique de son réalisateur, là où sa science supérieure du plan-séquence et son filmage organique sont censés trouver leur raison d’être et retourner les cerveaux, bien aidée par un travail sur le son inévitablement chiadé – on a encore en tête Enter the Void, film un peu casse-gueule mais graphiquement et techniquement superbe et non dénué de très grands moments. Mais oui, nom d’un godemichet pas encore désinfecté, ouvrez les yeux, bordel. Ok, on ouvre les yeux, et force est de reconnaître que le chaos, dans Climax comme dans les précédents films de Noé, a de la gueule. C’est un mix d’apocalypse zombie, d’Irréversible, de Sexy Dance, et du deuxième épisode spécial Halloween de Community (en moins drôle) filmé par un psychopathe maniaco-dépressif qui se trouve savoir filmer. D’où la suggestion, osée par certains, que Climax est un grand film sur, euh, le chaos. Mais non. Parce que son chaos est un chaos sans sens, du moins dénué d’un sens qui mènerait quelque part, or, le chaos filmé ne pouvant avoir les attributs du VRAI chaos puisqu’il est simulé, la réussite de ses effets dépend de ce qui a précédé, du NON-chaos (c’est clair ?), et comme tout ce qui précède le dernier acte de Climax est complètement pourri, eh ben en fait, on s’en tape le coquillard, pour parler poliment. La forme n’est le véhicule de rien qui ne vaut le déplacement. Lire la case « résumé » de la fiche Allociné du film suffisait à susciter une première, profonde interrogation : elle était où, l’histoire, déjà ? Nulle part. C’est Climax qui aurait dû s’appeler Enter the VOID, en fait. Vous l’avez compris, il n’y a rien à garder en matière de scénario, d’intrigue, de récit, en d’autres termes, de substance. Les personnages peuvent tous crever dans d’atroces souffrances que ça ne nous ferait même pas cligner de l’œil, et le plus impardonnable, dans cette histoire, et que MÊME la mimi Sofia Boutella, pas une grande actrice mais toujours une sacrée vision, ne parvient à rendre divertissante l’expérience. Chacune de ses apparitions rend les deux premiers actes supportables, mais la malheureuse finit engloutie, comme tout le reste, dans le capharnaüm hystérique final.

Quitte à faire dans les films qui clivent, le très sous-estimé Mother! de Darren Aronofsky propose une vision du chaos AUTREMENT plus créative et stimulante. Et adulte. Le climax de Climax, c’est l’éjaculation précoce d’un collégien autiste sur sa plus ou moins lointaine cousine aux gros seins. Ce n’est pas une blague, le fond est de ce niveau ; en attestent les trois panneaux qui accompagnent le début et la fin du film, et donnent quelque chose du calibre de « naître est une chance » et « mourir est une expérience unique » (tan-tan-taaaan), comme si le Gaspar essayait désespérément de trouver son nouveau « Le temps détruit tout » (d’Irréversible), pour échouer cette fois-ci comme une merde. Ci-contre, un extrait de l’explication qu’a donné le vertigineux philosophe à la gestation spirituelle de son film : « Les joies du présent, lorsqu’elles sont intenses, nous permettent d’oublier cette immense vacuité. Les extases, qu’elles soient constructives ou destructives, en sont des antidotes. L’amour, la guerre, l’art, le sport, la danse nous semblent des justifications à notre bref passage sur terre »… CQFD ? Ah, oui, et c’est quoi, le putain de rapport avec la France ? Qu’apporte donc au schmilblick cette petite excentricité d’en faire un film « fier d’être français » ? A fortiori un film qui s’est choisi un terme anglais comme titre, et comme cadre un milieu culturel on ne peut plus bâtard ?

La leçon à retenir de Climax, s’il doit y en avoir une, ce qui n’est pas du tout obligé, est que le plus impressionnant plan-séquence du monde ne peut transformer l’eau en vin, ou plutôt la merde en or, pas même plaqué. Noé est toujours un faiseur d’images sans pareille, sa technique n’a rien perdu de sa virtuosité, et son goût pour l’horreur est resté très clairement intact, mais dans Climax, rien qu’il conte ne mérite d’être conté, et très peu de ce qu’il filme ne mérite d’être filmé.

Oui, mais non

Finissons sur une petite revue de presse des passages de critiques mis en exergue sur Allociné, parce que j’aime faire ça, de temps en temps.
– Selon Culturopoing.com, on sort du film « galvanisé et lessivé ». C’est vrai. Galvanisé à 0,01% et lessivé à 99,99%. On parle aussi de « sous-texte politique inattendu ». Si le film a quelque chose d’« inattendu » à offrir dans ce domaine, c’est bien son ABSENCE de choses à dire. Dommage qu’ils n’aient pas vraiment développé.
– Transfuge parle d’un « grand manège d’émotions viscérales qui nous conduit vers la transe ». Pourquoi pas ? Mais ce qui remue les viscères n’est pas nécessairement positif. Par exemple, l’envie de vomir n’a rien de positif. Et la première définition du mot « transe » est une « inquiétude accompagnée d’angoisse à l’idée d’un danger proche » : totalement d’accord.
– Bande à part qualifie le film de « sacré moment de cinéma » : même tout ce qui précède la dernière demi-heure ? T’en es sûr, Bande à part ?
– Selon Paris Match, Climax « propose une expérience que le cinéma mainstream oublie trop souvent : l’hypnose ». Parce que ce dernier est trop occupé à raconter des trucs qui tiennent la route… ? Et puis, si vous voulez de l’hypnose noéienne, encore une fois, Enter the void en est la version réussie.
– Cédric Delelée, de Mad Movies, suggère que le film est « plus ennuyeux et ridicule que le pire de la période hystérique de Zulawski ». J’imagine qu’il parle de films comme L’Amour braque ou Mes Nuits sont plus belles que vos jours. Bien que je trouve dans ces films bien plus de choses à sauver, la comparaison ne manque pas de pertinence. Au passage, je ne m’attendais pas à ce que le très tolérant Mad Movies, qui a tendance à tomber dans les panneaux un peu innovants des répertoires de l’horreur et du fantastique, soit partagé au point de réserver au film un pour/contre. C’est dire l’accident ferroviaire qu’est Climax.

En d’autres termes : le film de Noé est une occasion non seulement atrocement, mais DOULOUREUSEMENT manquée. Autrement dit : non, Gaspar. Non, non, non, non, non, non, non, non, et non.

Merci.

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