Critiques

10 Cloverfield Lane

Cloverfield. Quel cinéphile pop-corneur actif en 2008 et un minimum respectueux des conventions est passé à côté de cet épatant coup de fouet au genre du « found-footage » (sorti chez nous quelques mois avant l’espagnol Rec, soit dit en passant…) ? Que l’on ait accroché ou pas, l’OVNI de l’écurie Abrams a produit son effet, et ce dès sa brillante campagne promotionnelle à une époque où les réseaux sociaux n’avaient pas encore tué toute spontanéité en ce bas-monde – difficile d’oublier cette première bande-annonce qui avait rendu fous tout un paquet de nerds dans les salles de cinéma avant la projection de Transformers. Tout le monde aime les surprises. On peut d’ailleurs s’étonner que le succès du film ne lui ait pas valu une poignée de petits frères plus ou moins pourris dans les années qui ont suivi, mais il faut dire que l’exercice demandait un peu plus d’efforts, de talent et d’argent qu’une resucée du Projet Blair Witch ou d’un Paranormal Activity. Non, c’était ainsi écrit : Cloverfield resterait le seul blockbuster filmé au caméscope jusqu’à un lointain nouvel ordre.

On aurait pu changer d’avis en apprenant la préparation de 10 Cloverfield Lane. Mais pour cela, il aurait déjà fallu qu’on l’apprenne. Car bonne nouvelle : l’incontournable J.J. Abrams et sa compagnie, Bad Robot, ont une nouvelle fois su garder leur projet ultra-confidentiel, et le grand public n’a appris l’existence de cette « suite » qu’à peine deux mois avant sa sortie en salles, via une bande-annonce qui garantissait au moins une chose : nul « found-footage », cette fois-ci. Une portion substantielle de fans hargneux n’a pas apprécié la nouvelle. Pas de caméra à l’épaule ? Et puis quoi, encore ? Pas de monstre géant ? Bingo.

Il dit qu’il voit pas le rapport

Avertissement à l’égard du lecteur qui n’a pas vu le présent film : 10CL n’a donc quasiment RIEN à voir avec Cloverfield, d’où les guillemets autour du mot « suite », puisque c’est un petit thriller en huis-clos, interprété par deux gars et une fille, et basta. En matière de fossé, celui qui sépare les deux films dépasse de plusieurs kilomètres celui qui sépare le Aliens, le retour de James Cameron du Alien de Ridley Scott, puisque ces derniers partageaient, au moins, la même espèce de sale bête et la même protagoniste. Cloverfield est un tour de montagnes russes à travers New York consacré à l’effet immédiat du chaos sur l’individu impuissant, alors que 10CL est un thriller en huis-clos entièrement consacré aux interactions entre ses trois personnages. Les fans les plus attentifs, lorsqu’ils entendront le personnage de Howard [spoiler d’une phrase alert !] dire qu’il a travaillé sur des satellites pour l’armée, se souviendront peut-être que le monstre de Cloverfield a probablement été réveillé par la chute d’un satellite dans l’océan, et seront libres d’y voir une connexion, mais ça s’arrêtera là. Abrams a évoqué une « connexion spirituelle » entre les deux films dans le cadre d’un hypothétique « cloververse », mais pareil, ça semble s’arrêter là. Hé, le script original n’avait même pas le moindre rapport avec Cloverfield, à la base, il devait s’intituler The Cellar, l’histoire d’une fille kidnappée et enfermée dans un bunker par un gars qui affirme lui avoir sauvé la vie car une attaque chimique d’envergure aurait rendu l’air irrespirable à la surface. Vous voyez un rapport avec Manhattan attaquée par une salamandre géante, vous, du moins a priori ? Difficile. Mais pas besoin. Par exemple, Cliffhanger devait être, à la base, le scénario de Die Hard 2, ça ne l’empêche pas d’être chanmé (j’ai grandi dans les années 90). Hollywood, c’est du bricolage. L’important, c’est l’effet produit en salle. Et au bout du compte, ce très faible rapport entre Cloverfield et 10CL n’a fait qu’amplifier l’effet de (bonne) surprise de ce dernier. Parce que oui, le film est bon. Ça joue, un peu. Raison pour laquelle il serait idiot de se formaliser pour son hypothétique opportunisme. Il y a 10CL, et y a ce que les gens du marketing en ont fait. Le film n’est pas exempt de défauts, mais qu’il ne nous ressorte pas la créature géante du premier n’en est certainement pas un. D’autant plus qu’il a, à sa façon, une sorte de créature géante. J’y reviendrai.

Inc(l)assable

10CL est un film difficilement classable, et c’est en partie ce qui le rend si réjouissant. Un coup l’on se croit dans un Hitchcock, et plus précisément Psychose, avec cette femme fuyant son ancienne vie en voiture, à travers le Midwest, sur une musique aux intonations hermann-esques (au passage, la musique de Bear McCreary est une réussite d’atmosphère, mention spéciale à sa première piste, Michelle, qui installe joliment le mystère des cinq premières minutes) ; le coup d’après, on se croit dans un vieil épisode de la Quatrième Dimension, avec son casse-tête baigné de surnaturel (certains avanceront même que si Hitchcock avait réalisé un épisode de cette série, ça aurait donné 10CL) (au sujet du film, le critique de The Guardian écrira d’ailleurs que le film est « plus Hitchcock que X-box » !). On basculera même, à un moment, dans le slasher quasi-horrifique (mais Psychose n’est-il pas un « proto-slasher », après tout, avec son Norman Bates ?). Un peu déboussolés ? Pas d’inquiétude : à aucun moment cet éclectisme ne posera au film de problème d’identité ou de cohésion. Tout s’emboitera remarquablement bien.

10CL n’en reste pas moins un huis-clos à 85% – proportion accentuée par le fait que les 15% restant seront d’une qualité un brin inférieure. L’essentiel de son action se passe dans l’atmosphère aussi confinée que déconcertante du bunker, qui devient très vite son monde. C’est à l’intérieur que s’emboitent toutes les pièces de son récit haut en couleurs, et l’oppressant sentiment d’enfermement décuple ses effets, qu’ils soient sur le mode du thriller à suspense, du drame psychologique, du mystère paranormal ou de l’horrifique, ce joyeux festival ne laissant absolument pas une seconde de répit au spectateur. Si le film ne brille pas particulièrement par ses dialogues qui, sans être mauvais, ne sont simplement pas mémorables, ses trois scénaristes ont eu l’ingéniosité de rendre son postulat archi-réaliste : on peut tout à fait imaginer, a fortiori de nos jours, qu’un gars archi-parano et limite asocial, tendance survivaliste, construise un bunker en préparation d’une fin du monde à sa sauce, et y traîne de force une jeune femme, d’abord pour faire sa B.A., ensuite pour avoir une copine avec qui couler des jours heureux à l’abri de l’apocalypse. À partir du moment où le spectateur y croit, il ne demande qu’à être emballé. Et pour cela, quoi de mieux que l’imprévisibilité, élément de plus en plus rare dans le cinéma hollywoodien ? L’intrigue étant une énigme (y a-t-il invasion extraterrestre ou n’y a-t-il pas ?), on cherche naturellement à comprendre ce qu’il se passe en même temps que l’héroïne. Simplement, tout comme elle, on n’y arrivera… qu’à la fin. Et cette réussite, une des plus éclatantes du film, récompense la générosité de conteurs qui n’auront, à aucun moment, oublié leur public.

Sur des chapeaux de roues

10CL est peut-être un huis-clos à cinq misérables millions de dollars de budget (remarque pour rire, la romcom Mes Meilleures amies en a coûté plus de trente) et un anti-Cloverfield, il n’en est pas moins très beau à voir et n’en mériterait pas moins une projection en IMAX, un peu à la manière du Ex Machina d’Alex Garland, autre huis-clos de SF techniquement et plastiquement impressionnant. L’explication : Dan Trachtenberg, réalisateur à peine trentenaire et révélation du film, puisque 10CL est son premier long-métrage (!). Une révélation que l’on peut ignorer si l’on suit son film du coin de l’œil car 10CL n’en fait jamais trop, il n’en met pas plein la vue à chaque plan ni ne présente à la cinéphilie mondiale d’univers cinématographique inédit comme Aronofsky le fit en son temps avec son Pi, face auquel on ne pouvait QUE penser « Putain, c’est qui, ce gars ? ». Non, c’est un film somme toute classique dans sa forme. Mais un film n’a pas besoin d’innover à chaque plan pour être réussi. Trachtenberg ne livre pas une mise en scène plein de manières, sa patte ne saute pas aux yeux comme un porc-épic enragé, mais son savoir-faire brille déjà, ainsi que sa capacité à installer une tension durable et à envoyer la sauce au moment propice, et pas une seconde avant. Les cinq premières minutes l’illustrent formidablement, de l’utilisation des plans serrés pour renforcer le mystère à la brutale apparition du titre, une des plus épatantes de mémoire récente, en passant par le scrupuleux respect d’une des règles de Hitchcock qui est de privilégier le suspense à la surprise – bien que Griffith l’ait utilisé avant lui, non ? À propos d’Hitchcock, au risque d’insister, plus on se penche sur la mise en scène de Trachtenberg, plus on réalise à quel point le parallèle est pertinent : le petit Dan agit ici en élève doué du maître du suspense : il joue avec les attentes du spectateur, remplit subtilement ses plans, et sait « dépasser » le genre, en parfaite phase avec les intentions de ses scénaristes. À la barre, il fait preuve d’une excellente maîtrise de l’espace restreint : en un changement de plan, le bunker peut passer d’un refuge douillet à une prison oppressante. En un mot : la tension semble être son deuxième prénom. Et même les déçus du dernier acte concentreront leurs tirs sur le fond plus que sur la forme, qui témoignera, là aussi, d’un vrai savoir-faire.

Si j’insiste à rappeler que 10CL est un premier long-métrage, c’est aussi parce qu’il peut être vu comme le premier long-métrage IDÉAL : pas trop ambitieux, mais suffisamment audacieux. Pas trop ambitieux car cela met à l’abri des éventuelles ingérences du studio telles celles catastrophique de la Fox sur Alien 3, et suffisamment audacieux pour impressionner sur le plan formel. Suffisamment commercial pour être accessible au grand public, mais aussi assez « indie » pour intriguer les cinéphiles plus exigeants – à certains instants, on se croira même en plein film d’auteur projeté au festival de Sundance. Pour réunir toutes ces conditions, quoi de mieux qu’un huis-clos de science-fiction laissant au réalisateur, par son échelle limitée, la liberté d’y développer son langage cinématographique en sécurité, sans courir le risque d’être dépassé par l’entreprise, et ouvrant la voie à quelque chose de potentiellement plus grand spectacle si succès il y a ? Je l’affirme dès maintenant comme je l’avais fait au sujet de Joseph Kosinski à la sortie de Tron Legacy : Dan Trachtenberg est un metteur en scène sur qui il faudra compter à l’avenir – enfin, à moins bien sûr qu’il se fasse écraser par un camion à glace, ou tombe dans une bouche d’égout, bref, meure. Espérons juste qu’il ne se laissera pas écraser, justement, par le rouleau compresseur hollywoodien, faiseur d’anges déchus à la chaîne (n’est-ce pas, Marc Webb, Joe Wright, ou encore Gavin Hood ?).

La bonne, la brute, et le boulet

L’histoire de 10CL est ce que les Amerloques appellent « character-driven », guidée par ses personnages, par opposition à « action-driven », comme l’est celui de Cloverfield, ce qui est une plutôt bonne chose vue la taille de son casting : en plus des trois occupants du bunker, on comptera à tout casser une bonne femme un peu énervée parce qu’elle est en train de mourir, un conducteur dont on ne connait même pas le nom, et Bradley Cooper en voix de téléphone – dafuq ? Quand on écrivait que les scénaristes ont pigé comment fonctionne une histoire, on ne mentait pas. Par exemple, ils savent qu’un méchant réussi aide sacrément sur la voie vers l’excellence. Et quand un antagoniste réussi s’oppose à une protagoniste tout aussi bien brossée, qu’est-ce que ça fait ? Des étincelles.

Parlons d’abord de la protagoniste, Michelle, interprétée par Mary Elizabeth Winstead. L’imprévisibilité du film de Trachtenberg a été présentée comme un de ses points forts : en voici un autre. Michelle est une héroïne d’action absolument formidable qui évoque un mix d’Ellen Ripley (Alien) et de Sidney Prescott (Scream). Première raison : elle n’est pas débile. Combien de fois ne s’est-on pas demandé, face à un film de ce répertoire, POURQUOI le héros, plus souvent l’héroïne, fait quelque chose d’aussi crétin, POURQUOI il monte à l’étage plutôt que de fuir par la porte d’entrée, POURQUOI il n’attrape pas cet outil pour s’en servir comme arme, POURQUOI il ne vérifie pas la banquette arrière de la voiture avant d’entrer dedans, etcetera ? Avec Michelle, le spectateur exigeant aura fini de s’arracher les cheveux : elle utilise sa jolie tête, et ça fait un bien de malade. Certains emmerdeurs la trouvent justement un peu TROP débrouillarde, a fortiori pour un personnage qui semble avoir fui toute sa vie. Il est vrai qu’à deux ou trois reprises, on se dira « ah ouais, quand même, ÇA c’est d’la présence d’esprit ». Mais 10CL est, entre autres, une histoire de survie, or, c’est exactement dans ce type d’histoire que se révèlent les potentiels insoupçonnés… et de ce point de vue, Michelle était une parfaite candidate. Personne ne sait quelle a été sa vie. Elle pourrait à la fois être du genre à fuir les responsabilités ET avoir été initiée au close-combat et maniement des armes à feu dès l’âge de six ans par son père ex-marine. Mieux vaut ne rien affirmer, les emmerdeurs. Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle est « badass », comme disent les illettrés. Avec cette héroïne qui a la niaque, 10CL rappelle aussi, en certains endroits, le petit thriller horrifique You’re Next, qui ne cassait pas trois pattes à un castor mais pouvait être assez jubilatoire quand son héroïne se montrait plus dégourdie que prévu…

Une autre des qualités du personnage de Michelle, et donc du film, est qu’à aucun moment sa sexualité ne sera exploitée. Pourtant, quand commence l’action dans le bunker, on la retrouve en sous-vêtements et enchaînée à un matelas : au rayon « damsel in distress », ça se pose là, les féministes criant au « male gaze » avaient de quoi faire une syncope. Mais c’est vrai, on pouvait craindre une approche hollywoodienne standard où le personnage féminin se réduit à la proie à moitié consentante d’une caméra lubrique – elle passe l’essentiel du film pieds nus, mais ça n’aurait pu indiquer une objectification que si Tarantino l’avait réalisé. Bien que l’actrice soit génétiquement ravissante (voir dans un paragraphe), il n’en est heureusement rien car le film, en plus d’être d’un excellent goût à cet égard, adopte d’entrée de jeu son point de vue. Aucune belle plante à sauver, ici ; Michelle ne peut compter que sur elle-même, nous n’avons qu’elle face à l’inquiétante énigme qu’est Howard, et rarement un personnage n’aura été si humain, ni une identification à une héroïne si forte, dans un film de ce répertoire.

Si Michelle emballe à ce point, c’est aussi grâce à Mary Elizabeth Winstead (eeeeeet contact), a.k.a. MEW pour les intimes, ou encore Ramona Flowers dans l’esprit de moult nerds cinéphiles (Scott Pilgrim vs The World, 2010), ou encore celle qui aurait dû jouer April O’Neil dans la dernière adaptation live des Tortues Ninja SI cette dernière avait été réussie. MEW, premier et seul choix d’actrice pour ce rôle, faut-il préciser, et à raison : tout d’abord, elle avait déjà montré de quel bois elle pouvait se chauffer dans des films mouvementés comme Destination Finale 3 (2006) et The Thing (2011), et ce dont elle était capable en tant qu’actrice au moins avec Smashed (2012). Ensuite, l’actrice réconcilie, sur le plan esthétique, l’appréciation du public féminin, qui préfère ses héroïnes avec du chien et des formes réalistes, et l’appréciation du public masculin, qui les aime bien, comment dire, féminines. Capable physiquement, dotée d’un vrai talent d’actrice trop souvent négligé, et adorable comme une eurasienne (non, elle n’a pas de parent asiat, j’ai vérifié en 2008) : 10CL tenait sa Michelle. L’actrice, trop hâtivement réduite à une « scream queen » à cause du Cercle 2,  de Black Christmas, ou encore du susmentionné Destination Finale 3, mérite-t-elle aussi la reconnaissance d’Hollywood, qui aurait dû lui donner une VRAIE chance à la suite du quatrième Die Hard. Espérons que 10CL réparera cette erreur.

Face au besoin instinctif de Michelle de découvrir la vérité, de s’assurer que fin du monde il y a bel et bien, l’ambivalence du personnage de Howard est le troisième point fort du film – à moins qu’il n’en soit le premier ? De la même manière que le film navigue constamment aux frontières de plusieurs genres, Howard, tour à tour potentielle menace, sauveur providentiel, big brother menaçant, figure pseudo-paternelle, et geôlier flippant, est un des personnages les plus déconcertants qu’on ait vu de mémoire récente, et le fait de ne pouvoir déterminer pendant une bonne partie du film s’il est un antagoniste ou non ajoute au sentiment de désorientation. Howard est un point d’interrogation à gants cloutés, un élément volatile maintenant le spectateur en état d’alerte constante. Son histoire d’attaque extraterrestre est-elle vraie ? Est-il fou ? Ou bien est-il un fou qui, cette fois-ci, serait dans le vrai ? À aucun moment, durant les trois premiers quarts du film, son personnage ne semble suffisamment irrationnel pour que l’on puisse décider qu’il est taré, et son caractère colérique peut être une fausse piste. J’ai suggéré, en début de critique, que Howard est un peu le monstre géant, le « kaiju » à domicile de 10CL. Ce n’est presque pas une blague : Cloverfield avait peut-être une salamandre géante pour monstre, son terrain de jeu était l’île de Manhattan entière, à ciel ouvert ; le potentiel monstre de 10CL n’est peut-être qu’un homme, son terrain de jeu à lui se limite à cinquante oppressants mètres carrés, à tout casser… et autant dire qu’avec son mètre quatre-vingt-dix et sa stature de colosse, Howard y a de sérieux airs de « kaiju » face auquel toute résistance est futile. La question est simplement de savoir s’il en a uniquement les airs, et elle fera patiner le cerveau du spectateur comme un hamster dans sa roue. Sur ce point, Trachtenberg jouera malicieusement avec l’image de bon gars qu’envoie par défaut John Goodman.

À côté de ces deux personnages plus grands que nature, celui d’Emmet, joué par l’intéressant John Gallagher Jr, vu dans The Newsroom, peine dans un premier temps à exister, mais qu’il soit en arrière-plan est parfaitement normal : c’est avant tout une sorte de médiateur qui, grâce à son attitude bonne pâte et sa relative familiarité avec Howard, sert à détendre l’atmosphère, à faciliter la communication entre ce dernier et Michelle, et à ancrer l’action dans une routine ô combien trompeuse – Howard seul avec Michelle aurait vite semblé louche, avec Emmet, une dynamique familiale s’installe. En parlant de tromperie, votre serviteur a craint, à un moment du film, que ce personnage n’en soit une : Howard l’accuse de s’être invité en douce dans le bunker alors que ce dernier n’allait pas tarder à fermer, mais est-ce vraiment le cas ? Ou encore, les deux hommes ne pourraient-ils pas travailler de concert, au risque de rappeler l’incroyablement oubliable Captivity avec Elisha Cuthbert ? Pas mal, pour un personnage qui, au départ, n’a l’air de rien.

Avis sur le dernier acte [warning, spoilers ahead, bitches !]

Pour finir, abordons le dernier acte du film, dont j’ai évoqué plus haut le caractère fort clivant. Comme toujours dans ce cas de figure, ceux qui n’ont pas aimé ont ouvert plus grand leur gueule que ceux qui ont aimé, ou, du moins, n’ont pas eu de problème avec, aussi un plaidoyer de plus ne sera pas de trop.

Certains spectateurs incroyablement hostiles à toute bonne chose en ce monde y voient donc un loupé intégral, le malheureux basculement d’un huis-clos frénétique et glaçant dans les eaux putrides de la série B de SF tout ce qu’il y a de plus générique, le genre de sortie de route « WTF » que seul un patron de studios sans vergogne est capable de provoquer en prenant le contrôle du film et en appelant à la rescousse un script-doctor cocaïné. Si ce dernier acte est indéniablement inférieur en qualité à ce qui a précédé, il n’en est pour autant rien. D’abord, il est bon de souligner qu’il se tient d’un point de vue scénaristique : l’espèce de gaz vert explique les affreuses lésions au visage de la femme qui essayait d’entrer dans le bunker et confirme que l’air n’a jamais été contaminé ; Emmet avait évoqué auprès de Michelle la théorie des « space worms » d’Howard, qui se confirme dans ce final ; enfin, si jamais Michelle s’échappait du bunker, il était plutôt logique qu’elle se retrouve confrontée à cette mystérieuse menace qui suscitait toutes les interrogations depuis une heure et demi, non ? Et puis, Cloverfield, quoi. Non ? Mais si. On peut critiquer le seul choix de la faire sortir, bien sûr. Ce n’était effectivement pas obligé : 10CL aurait pu se résumer à un huis-clos sans issue traitant avec noirceur et nihilisme de la nature de l’homme, de sa peur de ce qui lui est étranger et de ses penchants grégaires. Après tout, le film tel qu’on le connait EST une métaphore sur la peur qui aurait pu, en tant que telle, se passer de sa fin à l’air libre. Mais cela n’aurait-il pas manqué de panache, entre autres parce qu’on l’aurait déjà vu ailleurs (cf. Cube, de Vincenzo Natali) ? Cela n’aurait-il pas fait « petit malin » (comme avec Cube, en fait…) ? Il y a de fortes chances que si.

À partir du moment où Michelle a échappé au « kaiju » de l’intérieur, il est inévitable qu’elle doive affronter celui de l’extérieur. Le fait que le film change de registre si brutalement n’a rien de mauvais en soi : au contraire, il participe de ce côté « dans ta face » qui fait sa qualité brute dès l’apparition de son titre ; et changer de registre n’est pas changer d’identité. Par ailleurs, avec cette fin aux airs hollywoodiens, 10CL épouse et assume pleinement sa qualité de divertissement sans prétention, et offre l’argent du beurre, voire le cul de la crémière, à un spectateur qui était déjà bien content de ne pas se taper de la margarine comme c’est trop souvent le cas. Non, cette fin ne ruine pas ce qui a précédé. AU PIRE, elle n’apportera rien.

On peut en revanche reprocher à cette fin son exécution. Si le travail d’effets spéciaux est admirable, a fortiori pour un film doté d’un tel budget, si la mise en scène de Trachtenberg brille dans l’action comme elle brillait dans la tension souterraine alors que cela n’a rien d’évident, et si l’esthétique des extraterrestres ne ridiculise pas instantanément le film, l’écriture, elle, flanche en revanche un peu au moment de l’attaque à proprement parler, dont le personnage de Michelle réchappe… en pompant un des plus mauvais moments de la Guerre des Mondes de Spielberg, celui où Tom Cruise lance une grenade dans la gueule de l’alien pour le faire exploser. J’ai beau me ranger parmi les défenseurs de ce dernier acte, il est difficile de nier le grand moment d’incrédulité que ça a été : d’abord, elle parvient à bricoler un cocktail molotov en cinq secondes, ensuite, elle parvient à viser juste, et pour finir, elle sort indemne de la chute de dix mètres de sa bagnole – que les tentacules ont amorti un peu, certes ? Ce mauvais point a conforté dans leur opinion ceux qui désapprouvaient ce changement de registre. Comment leur en vouloir ? Mais la faute n’est pas impardonnable. L’idée de confronter une Michelle désormais sans peur aux créatures ennemies n’est pas mauvaise en soi : ce faisant, elle s’affirme en potentielle héritière de Ripley, celle qui en a suffisamment vu pour conchier la reine xénomorphe à la fin d’Aliens, le retour… Enfin, on peut trouver un peu convenue la résolution du conflit de l’héroïne, qui passe d’un point A, où elle fuyait en voiture ses responsabilités, à un point B, où elle décide d’aller rejoindre la « résistance », mais cette résolution a le mérite d’appeler à un troisième opus sur un ton archi-ludique, sans manquer de rappeler la fin de Terminator avec ses éclairs menaçants à l’horizon…

Alors, donc, tout est dit. Enfin, beaucoup, un peu trop au goût de certains, sans doute, m’en fous. 10CL n’en mérite pas moins. Ne laissez pas esprits chagrins précités le réduire à l’image qu’ils s’en font de série B du samedi soir, réduire des personnages comme Michelle et Howard à des vignettes. Par sa combinaison de savoir-faire indéniable et d’originalité rare, 10 Cloverfield Lane est, précisément, ce qui permet d’aimer encore le divertissement hollywoodien. Celui qui est généreux et plein de ressource, celui qui t’autorise à manger tes Maltesers tant que tu ne mets pas ton cerveau en veille. Celui qu’on peut montrer à des étudiants en cinéma avant de leur dire : « vous voyez, les enfants ? VOILÀ comment on fait un film avec trois kopeks ». On le répète une dernière fois, la comparaison avec Cloverfield est une perte de temps. Il a sa propre existence, et nous ne sommes pas près de l’oublier.

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