Critiques

Jojo Rabbit (+ vlog)

Grüß dich, ami cinéphile. Jojo Rabbit est un film de Taika Waititi, à qui l’on doit notamment Thor Ragnarok. Le pitch : Berlin, 1945. Jojo, jeune garçon solitaire au point de s’être inventé un meilleur ami imaginaire ayant l’apparence d’Adolf Hitler, voit son endoctrinement sévèrement malmené par sa rencontre avec Elsa, jeune Juive que sa mère planque dans leur maison. Original, vous en conviendrez. Résultat ? Dans l’ensemble, très, très agréable. Un mélange du cinéma de Wes Anderson, de l’humour des Monty Python, et du Journal d’Anne Frank. Vous avez entendu.

Lien vers mon vlog consacré à Jojo Rabbit

 

 

 

La guerre, c’est moche

Évacuons tout de suite la question de la « polémique » qu’a suscité le film auprès de mal lunés professionnels sous prétexte que son choix du registre humoristique humaniserait les Nazis – j’ai lu un article complètement à la ramasse du New Yorker qui reproche au film d’inviter à la clémence vis-à-vis des électeurs de Trump, la psychose est à son comble. Délire complet, évidemment : d’une, flash info, les gars, tous les Allemands n’étaient pas des dévoreurs d’enfants, et comprendre n’est pas excuser ; de deux, dans son film, Waititi CRITIQUE le nazisme. Ce n’est PAS un film subversif, j’y reviendrai. Genre, du tout. Pour penser ça, il faut vivre à Disneyland, ou à Neverland, selon son rapport aux enfants. D’ailleurs, Jojo Rabbit a plus généralement été vendu comme un film « anti-haine », aussi tarte que cela puisse sonner. La haine, c’est MAL (enfin, sauf la haine du nazisme, cette partie-là n’est jamais très claire) : avouez qu’on a connu plus radical. D’ailleurs, sa critique est-elle seulement intéressante ? Parce que bon, taper sur le nazisme, c’est un peu comme donner une claque à sa grand-mère, pour reprendre l’expression de Karl Marx. Il fallait simplement à Jojo Rabbit un angle un tant soit peu original. Ce qui est, fort heureusement, son cas.

Un feel-good movie avant tout (mais oui)

Jojo Rabbit est donc un « feel-good movie », comme on dit. Et un très joli à voir. J’ai tout d’abord beaucoup aimé sa palette de couleurs, qui donne parfois l’impression d’être dans un magasin de bonbons, ce qui est normal, puisqu’on est dans l’univers d’un enfant, et les enfants, ça aime les bonbons (sans connotation creepy). Par exemple, le petit héros s’entraînant à crier « heil Hitler ! » sous les encouragements de son « ami » fictif, ça a des airs potaches de comédie teen des années 80, le tout sur un bande originale mêlant Beatles et Ella Fitzgerald ! Waititi s’est foutu des anachronismes et des emprunts culturels, son film est un bouillon pop. Le ton est très vite annoncé, et la mécanique est plutôt simple : quand Jojo sera de bonne humeur, l’histoire nous sera contée avec l’humour assez sommaire d’un garçon de dix ans… donnant quelque chose de parfois gentillet il est vrai, ne vous attendez pas à de l’humour noir corbeau, on tapera plutôt dans le blanc lapin, ce sera essentiellement mignon. Malgré tout, même d’un point de vue adulte, la majorité des blagues feront mouche, des rabbins utilisant les prépuces comme boules Quiès au jeu de mot sur les bergers allemands – depuis le temps qu’il fallait que quelqu’un la fasse, félicitations à eux. L’Adolf Hitler imaginaire du film est un des éléments dont l’appréciation est déterminante : Waititi, qui joue complètement le personnage, à la fois de façon délirante et super premier degré, avec sa frange, sa fausse moustache, et ses lentilles bleues un peu glauques, les scénettes du premier acte où le dictateur fait son « motivational speaker »… le spectacle est délicieusement désopilant, d’autant que le cinéaste ménage bien les apparitions du personnage, pas trop nombreuses, et sans effets superflus. Le cinéaste a un bon timing comique, qu’illustrait déjà son What we do in the Shadows, nettement plus convaincant que le surestimé Thor Ragnarok.

L’humour a aussi une dimension visuelle et absurde prononcée : il n’y a qu’à voir la scène où « heil Hitler ! » est répété une quinzaine de fois, avec l’excellent Stephen Merchant en croque-mort de la Gestapo : c’est du Mel Brooks. Immense accomplissement avec Rebel Wilson en matrone zélée : c’est la première fois que je la trouve supportable. Si-si, c’est possible. On est loin de Cats. En même temps, la RÉALITÉ est loin de Cats.

J’ai également évoqué le cinéma de Wes Anderson. Waititi lui a emprunté sa dominante pastel, par exemple, mais aussi… son pittoresque. Les influences de l’épatant Moonrise Kingdom sautent aux yeux, notamment à chaque excellente apparition du meilleur ami du héros, l’affable petit joufflu Yorki. Et puis, il y a Scarlett Johansson dans une adorable tenue tyrolienne… ça aussi, c’est coloré.

Affreux Jojo

Tout ceci ne veut pas dire que les personnages sont appréciables. Pendant une bonne moitié du film, le jeune Jojo, tout innocent soit-il, agit littéralement comme un fanatique, en recrue zélée des jeunesses hitlériennes. On ne le lui reproche pas, mais ça ne donne juste pas envie d’être son meilleur ami, et ce petit bousculement de notre rapport par défaut à un personnage d’enfant est, mine de rien, assez intéressant. Au tout début du film, il se dit : « aujourd’hui, tu deviens un homme »… ce qui veut dire « nazi », dans sa tête. Le film n’est pas intello, mais sa peinture de l’endoctrinement est bien fichue. On est dans la tête de Jojo lorsqu’il s’entraîne à devenir un adorable petit psychopathe. La première apparition de la jeune Juive, Elsa, pas encore libérée ni délivrée (pardon), est filmée comme si cette dernière était carrément la Sadako de Ring. L’Adolf fictif du film n’est, en fin de compte, rien d’autre que son garde-chiourme mental.

Le fait que le jeune héros soit élevé par une mère célibataire n’est pas anecdotique : l’absence de la figure paternelle crée souvent une brèche dans laquelle l’État a tendance à s’engouffrer pour s’y substituer. Jojo Rabbit, c’est un film sur la fin de l’innocence, conté d’une façon des plus originales, car l’innocence est synonyme ici de la malléabilité des jeunes cerveaux. Du coup, quand finit ladite innocence, ce n’est pas une MAUVAISE nouvelle : ça marque, au contraire, l’émancipation de Jojo, dans un contexte des plus tragiques. Et c’est précisément pour ça que le film fonctionne également sur le plan dramatique… bon an, mal an.

Un peu trop timoré ?

Parce que Jojo devient par moment très sérieux, ce qui n’est pas plus mal, vu son sujet… mais fonctionne-t-il aussi bien lorsque les choses se gâtent, aussi bien dans le dramatique que dans l’humoristique ? Est-il une réussite en tant que comédie DRAMATIQUE ? On peut déjà dire que les deux dimensions ne se parasitent pas, problème courant dans ce registre, ce qui est déjà, en soi, un accomplissement… mais qu’en est-il de la substance ?

Très tôt dans le film, dès la scène de l’entrainement des jeunesses hitlériennes, le capitaine K, quoiqu’objet de quelques passages comiques et joué avec une suprême coolitude par Sam Rockwell, promet quelque chose sur ce plan, avec sa gravité à moitié dissimulée d’officier allemand qui croit à sa patrie… mais pas à son idéologie. La scène de la gestapo mise de côté (avec son gag improbable des « heil Hitler ! »), le personnage est d’une intensité qui m’a rappelé, pour d’obscures raisons peut-être, le cinéma de Spielberg, dont l’ombre plane sur le film – citons le mésestimé Empire du Soleil.

Mais le résultat n’est qu’à moitié convaincant. Le film est censé conter un périple, celui qui mène justement à la perte de l’innocence susmentionnée… et à ce jeu, Waititi s’avère un chouïa moins inspiré. Par exemple, d’aucuns trouveront un peu faible le second acte, celui où Jojo « étudie » la condition juive au côté d’Elsa, et où rien d’exceptionnel ne se dit – pourquoi excluent-ils la mère, au juste ? Les raisons ne tiennent pas. D’aucuns trouveront trop sommaire le tiraillement intérieur du môme vis-à-vis de la jeune Juive. Sans oublier le côté un peu approximatif du déroulement de l’intrigue, surtout vers la fin. Le film a juste quelque chose d’inoffensif qui pourra décevoir certains, vues ses ambitions. La scène où l’on découvre en même temps que Jojo la mort de sa mère, comme ça, sans transition, ne m’a plu qu’à moitié : d’un côté, c’est très poétique, Waititi ne montrant que les pieds du personnage, pendu sur la place publique comme un vulgaire quartier de viande, donnant l’impression qu’on est au XIVème siècle, encadré de maisons fermées dont les vitres sont autant d’yeux observant le spectacle (EXCELLENTE trouvaille visuelle)… et de l’autre, c’est un peu trop pudique. Certains louent le talent du film à mettre en scène la barbarie nazie sur un ton poétique… mais on ne voit justement pas vraiment ladite barbarie. On aurait DÛ la voir, la mère canée, Scarlett Johansson le visage gonflé et la langue pendante. Cash. Je ne demandais pas du Ned Stark, mais rien ne vaut un bon vieux reality check. Et c’était d’autant plus justifié que le monde est filmé à hauteur de Jojo. En même temps, le Waititi nous a pondu un film interdit aux moins de douze ans, donc, il ne fallait pas trop en attendre sur ce plan-là…

Jojo Rabbit n’est donc pas une comédie dramatique dont vous sortirez essorés, tout comme il n’est pas un bijou postmoderne culte en puissance. POUR AUTANT…

De l’émotion

Mais d’une, aspirait-il seulement à devenir un culte postmoderne ? Et de deux, était-ce une si mauvaise idée que de le rendre accessible aux collégiens ? Jojo Rabbit est avant tout un conte moral sous forme de chronique d’enfance simplement troussée d’une façon insolite, sans prétention autre que celle de servir de mise en garde contre l’embrigadement idéologique. Et l’on revient à l’importance de comprendre que Waititi a filmé à hauteur d’enfant, comme l’était E.T.. Les couleurs chaudes de la photographie parlent d’elles-mêmes. Le cahier de croquis des clichés juifs ne révolutionne rien, mais il n’est que la moquerie d’une adolescente à l’intention d’un garçonnet. Le film est à certains endroits maladroitement lyrique, lors de l’attaque alliée par exemple, mais le plan au ralenti du capitaine K. fièrement dressé dans son uniforme, sa cape rouge flottant au vent, c’est la réalité amplifiée par la sensibilité de Jojo. Et à partir du moment où l’on cesse d’attendre du subversif à tous les coins de plan, on peut apprécier sans modération l’émotion douce-amère qui imprègne les relations entre les personnages.

Le film est émaillé de scènes touchantes, essentiellement entre Jojo et sa mère, à commencer par celle au bord du canal (où la légère insistance de Waititi sur les chaussures de cette dernière ont donné un mauvais pressentiment aux plus perceptifs d’entre nous…), mais aussi entre Jojo et Elsa, dont la relation finit par fonctionner dans le dernier acte. Sans surprise, le cast n’est pas pour rien dans le fait que la sauce prend. Le petit Aryen en chef Roman Griffin Davis, physiquement très crédible en fils de Scarlett et ressemblant étrangement au gamin du Tambour, fait un excellent boulot, et Thomasin McKenzie, qui joue la jeune Juive, est clairement un talent à suivre ; dans l’ensemble, Waititi a donné l’occasion à ses acteurs de JOUER, jusqu’à Scarlett, qui a ici droit à une super scène dans laquelle elle joue le père absent du héros pour se donner (avec succès) de l’autorité. Le MCU l’occupe décidément trop…

Conclusion

Jojo Rabbit est un film peut-être pas toujours certain de ce qu’il est, un peu inégal, capable de finir à la fois sur quelque chose de terriblement académique, une citation de Rilke (et même pas géniale en plus), et sur un choix musical topissime (la version allemande de Heroes chantée par David Bowie en personne), qui en fait une des plus belles fins de film de mémoire récente à mes yeux. Mais il sera de bout en bout animé par le même entrain et la même générosité. La même envie de danser. Au risque de pécher par excès de candeur, j’y vois un des films qui m’ont inspiré le plus de sympathie, de mémoire récente, et félicite sa qualité d’étrangeté dans un paysage hollywoodien de plus en plus formaté. Au pire, c’est mignon, comme un lapin. Sur ce, bis später.

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